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Existe-t-il quelque chose plus compliquée que les émotions, humaines et animales ? On parle du développement de la psychologie et psychiatrie ainsi que d’autres domaines que les accompagnent, tels que les sciences cognitives ou encore la neurophysiologie, qui permettent de comprendre mieux comment fonctionnent et réagissent les êtres vivants. Les émotions sont parfois très complexes, parfois très simples ; parfois compréhensibles, parfois pas du tout ; parfois rationnelles, parfois irrationnelles. Mais imaginons qu’on ne ressent aucunes émotions… Qu’est-ce qui se passe ? Voici le roman sous le titre Almond (아몬드) de Son Won-pyeong (손원평),1 écrivaine et réalisatrice sud-coréenne contemporaine.
C’est à cause des amandes
Seon Yun-jae (선윤재) est un garçon particulier. À première vue, il est comme les autres enfants : il fréquente l’école, il apprend les choses selon son âge et il tient à sa famille. Pourtant, on découvre très vite quelle est « sa particularité » et qu’est-ce qui le distingue des autres. C’est l’alexithymie, une difficulté ou incapacité d’identifier et exprimer ses émotions ainsi que de les ressentir. À ne pas confondre avec les troubles du spectre de l’autisme malgré certaines ressemblances. Selon les études étiologiques, elle est provoquée par des troubles émotionnels et comportementaux de l’enfance, le trouble de stress post-traumatique (TSPT) ou par la hypoplasie de l’amygdale, c’est-à-dire un développement insuffisant de la partie cérébrale, responsable pour l’identification et l’accueil des émotions.
Le titre du roman correspond avec le terme médical de l’amygdale, mais aussi avec le passage où Seon Yun-jae metionne que sa mère le nourissait aves les amandes.
Ma famille meurt mais je ne ressens rien
Seon Yun-jae n’a que sa mère et sa grand-mère. Après avoir découvert la difficulté émotionnelle chez l’enfant, la mère applique de nombreuses méthodes pour faire développer l’amygdale de son fils. Elle lui apprend quelles émotions les gens ressentent normalement dans telle ou telle situation ; elle lui pose des questions qu’est-ce qu’on dit si on reçoit un cadeau ou un compliment etc. Une méthode est notablement intéressante dans ce contexte culturel-là : la mère écrit quelques caractères de hanja (한자 ; 漢字), donc les caractères chinois adaptés à la langue coréenne, sur des feuilles de papier séparées et ensuite elle les colle sur les meubles, sur le mur de la maison pour que Seon Yun-jae mémorise leur sens. Par exemple, 愛 (애 ae) qui signifie l’amour ou 福 (복 bok) qui dénote le bonheur et la bonne chance. Cela n’est pas surprenant, les sinogrammes s’appliquent bien à ce genre d’exercices grâce à leur aspect visuel et symbolique. Au fil du temps, Yun-jae apprend à intellectualiser les émotions.
L’évènement qui marque toute l’histoire et permet d’exposer encore plus le problème du personnage principal, est le meurtre de sa famille qu’il témoigne. La mère se retrouve à l’hôpital dans le coma avec peu de chance pour s’en sortir et la grand-mère meurt sur place. À la suite à cette tragédie, il passe pour un psychopathe dans les médias et à l’école, quelqu’un horrible qui n’a rien fait pour sauver sa famille. Pire encore, il ne ressent ni tristesse, ni chagrin après la perte des proches.
Un jour, le destin croise son chemin avec celui de Gon (곤), adolescent problématique qui a vécu plusieurs années aux centres de rééducation différents. Leur première rencontre est brutale mais au fil du temps, ils construisent une relation qui devient à la fin, dans une certaine mesure, une amitié.
Entre temps, Dora (도라) apparaît. C’est le premier l’amour de Seon Yun-jae. Alors, la question se pose : comment la personne affectée par l’alexithymie ressent l’amour ? Évidemment, il ne reconnaît pas les symptômes tels que rougir ou le cœur qui bat trop vite dans la présence de cette personne sur le plan émotionnel. Il décide de se confier au Docteur Sim (심 박사 Sim Baksa), vieil ami de sa mère et son tuteur, et il apprend qu’il est tombeux amoureux de Dora…
Toujours un tabou ?
La structure et la narration du roman montrent qu’on lit les mémoires de Seon Yun-jae. On entre dans son univers à travers le texte et on regarde le monde avec ses yeux. C’est une expérience aussi particulière que le personnage principal lui-même car on attend souvent de confronter ou comparer ses propres sentiments avec ceux des personnages du livre lors de la lecture. Dans ce cas, on se plonge dans l’esprit plein de pensées, analyses et réflexions qui donnent l’impression de l’indifférence. Cependant, il est impossible de considérer Yun-jae comme indiférent ou froid. Il possède quand même sa personalité et son caractère.
L’une des raisons pour lesquelles Son Won-pyeong soulève la question des émotions et des troubles psychosomatiques, peut être la tabouisation des problèmes psychologiques et psychiatriques en Corée du Sud. Le roman présente l’alexithymie dans une perspective de recherche contemporaine mais aussi comment l’auteur perçoit personnellement le problème. Les recherches récentes ont prouvé que la capacité de l’amygdale à reconnaître et transmettre les émotions, la peur y comprise, peut être stimulée par un entraînement régulier.
À rappeler une série sud-coréenne, It’s Okay to Not Be Okay (사이코지만 괜찮아 Saikojiman gwaenchana, 2020), qui touche la question de la santé mentale et des troubles neurodéveloppementaux comme l’autisme et qui les détabouise. Le titre coréen, avec un peu d’humour, signifie littéralement : « Je suis psycho mais ça va ».
L’édition française du livre n’est pas encore disponible. Pour ceux qui lisent en coréen ou en anglais, nous vous invitions à découvrir l’une de deux :
Addenda
1D’après la romanisation révisée du coréen que nous essayons d’utiliser conséquemment dans nos articles, le nom de l’auteur est écrit « Son Won-pyeong ». Cependant, en fonction des préférences des Coréens et des systèmes de transcription qui sont utilisés (correctement ou pas), on trouve des versions différentes des noms propres de même que les termes coréens comme la fête de Chuseok (추석) ou le rite chamanique gut (굿). Pour autant, dans les cas où les noms propres très connus ont été romanisés selon la transcription McCune-Reischauer, ou ont été transcrits en fonction d’autres méthodes, nous gardons la version déjà diffusée pour des raisons pratiques.
Illustrations
- Image liminaire
- ill. 1. 《아몬드》, 손원평, 2017년, 창비 / Almond, Son Won-pyeong, 2017, édition sud-coréenne
- ill. 2. 《아몬드》, 손원평, 2017년, 창비 / Almond, Son Won-pyeong, 2017, édition sud-coréenne
- ill. 3. Almond, Son Won-pyeong, 2017, édition anglaise, Changbi Publishers
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.
Bonjour, Ce livre, ce récit, fait penser à la série Somebody qui passe actuellement sur Netflix. Si ce n’est que là, l’héroïne est dite souffrant d’asperger et paraît attirée par le crime. Sa mère lui a appris à reconnaître les opinions. Elle va rencontrer un jeune tueur en série qui l’a fascinera. Il y a également une chamane dans cette série, parfois vraiment effrayante et pas toujours facile à comprendre.