Paekche fait parti, avec le Koguryŏ et le Silla, des Trois anciens royaumes de la Corée ancienne. Il était localisé autrefois dans la région de Séoul et s’étendait jusqu’au sud-ouest de l’actuelle Corée du Sud. Ses dates traditionnelles sont -18 à 660, mais en réalité, Paekche va plutôt prendre la forme d’un État stable vers la moitié, voire la fin du IIIe siècle de notre ère. Il connait trois périodes importantes correspondant chacune aux trois anciennes capitales citées ci-dessous :
- La période de Hansŏng (280 ? – 475)
- La période d’Ungjin (475 – 538)
- La période de Sabi (538 – 660)
Ce qui constitue aujourd’hui le corpus de caractères du Paekche est extrêmement limité. Malgré les bonnes relations avec les dynasties chinoises du sud, il semble que les élites de ce vieux royaume coréen ont commencé à se familiariser aux idéogrammes chinois que très tardivement, c’est à dire vers le IVe siècle de notre ère. Deux évènements historiques majeurs vont toutefois venir bousculer la vie intellectuelle du Paekche et lui permettre de rattraper son retard et même de devenir, autour du Ve siècle, un des vecteurs importants de la diffusion de la civilisation chinoise dans l’archipel nippon.
Après plus de 400 ans d’occupation, le Koguryŏ finit par expulser la dernière garnison chinoise (dynastie des Jin occidentaux) vers le nord-ouest de la péninsule coréenne en 313. On suppose cependant qu’un certain nombre de ces Chinois ont fui en direction du sud apportant avec eux leur connaissance sur l’administration impériale héritée des Han. Un savoir-faire qui passait nécessairement par la maîtrise des hancha (caractères chinois, 한자 en coréen). Puis, on pourra également retenir la date de 382, qui marque l’introduction officielle du bouddhisme. L’importation de soutras en provenance de Chine viendra parachever le processus de sinisation des dirigeants du Paekche.
De la période Hansŏng (région sud de Séoul), on ne trouve quasiment aucun témoignage écrit. A cette époque, le Paekche était allié à la fois du Yamato (Japon) et du Silla. Ces trois royaumes faisaient face à la montée en puissance du Koguryŏ qui cherchait par tous les moyens à conquérir la totalité de la péninsule coréenne. La seule inscription de cette époque est l’épée à sept branches actuellement conservée au sanctuaire shinto Isonokami, à Nara, au Japon. L’arme blanche, désignée comme trésor national dans l’archipel nippon, est très abimée, et partiellement effacée. D’après le Nihon shoki, il s’agit d’un cadeau du Paekche au Yamato. L’inscription évoque d’ailleurs l’alliance éternelle entre les deux royaumes. L’épée daterait de l’an 369.
En 475, Paekche subit une sévère défaite face au Koguryŏ, la cour royale se replie alors en hâte vers le sud et fonde une nouvelle capitale à Ungjin (actuelle ville de Kongju, en Corée du Sud). Pour ce qui constitue la deuxième période du Paekche, la situation n’est guère mieux en termes de corpus. Il se limite essentiellement aux inscriptions retrouvées à l’intérieur du tombeau du roi Muryŏng au cours de l’été 1971. On y trouve notamment des épitaphes évoquant la disparition du couple royal, mais aussi un bracelet de la reine avec à l’intérieur une inscription en chinois classique de type pré-idu(이두en coréen).
Parmi les autres objets au sein de la sépulture, on peut aussi noter l’existence de trois magnifiques miroirs en bronze dont un qui porte une inscription en chinois classique faisant référence aux Immortels, laissant penser que les élites du Paekche étaient peut-être familiarisées au taoïsme. En voici la traduction :
尚方作竟眞大好 上有仙人不知老
Le miroir fabriqué sur cet objet royal est de très bonne facture. Ceux que l’on appelle les Immortels ne connaissent pas la vieillesse. S’ils ont soif, ils boivent de l’eau de jade, s’ils ont faim, ils mangent du jujube. Ils possèdent une existence aussi longue que le métal ou la pierre.
渴飲玉泉飢食棗 壽如金石兮
En 538, la cour du Paekche fait déplacer à nouveau la capitale à Sabi (actuelle ville de Puyŏ en Corée du Sud). Cette décision ne résultait pas cette fois-ci d’une énième menace venant du Koguryŏ, même si les tensions perduraient. Le souverain du Paekche souhaitait en effet faire de Sabi un carrefour religieux incontournable en Asie du Nord-Est. Des artisans et des architectes de la Chine des Liang viennent façonner la nouvelle capitale sur le modèle de Jiankang, haut lieu du bouddhisme à cette époque. C’est d’ailleurs à partir de ce moment-là que la doctrine de Bouddha sera diffusée du Paekche vers le Japon lors de la période Asuka.
Incontestablement, c’est au cours de cette dernière période que l’on retrouve un corpus de caractères un peu plus volumineux. On y répertorie une stèle en très bon état, un reliquaire de sarira en pierre sur lequel figure une inscription bouddhique mais aussi et surtout des tablettes en bois appelées mokkan (목간en coréen).
À ce jour, un peu moins d’une centaine ont été retrouvées dans les régions autrefois occupées par le Paekche. Les textes sur ces tablettes ont été généralement écrits avec des pinceaux. Le contenu peut varier. Il peut s’agir d’inscriptions liées aux marchandises à livrer dans tel ou tel village. Mais les mokkan servaient aussi à s’exercer à la composition écrite. Dans une moindre mesure, elles évoquaient, sous une forme de langage épistolaire, la situation géopolitique de la Corée, rappelant la menace toujours présente des ennemis jurés du Paekche. Elles servaient enfin à composer des incantations liées au bouddhisme ou même des références au confucianisme. Malheureusement, un bon nombre d’entre elles sont en très mauvais état et restent difficilement interprétables.
Voici la traduction d’une des mokkan du Paekche très bien préservée :
宿世結業同生一處是非相問上拜白來
Dans la vie d’avant, nos karmas se sont entremêlés, et nous nous rencontrons à nouveau aujourd’hui. Demandons-nous donc qu’est-ce qui est bien bien ou mal, je vous l’implore en m’inclinant devant vous.
1 Le Koguryŏ contrôlait militairement une partie de la Mer jaune limitant ainsi les échanges entre le Paekche et la Chine septentrionale. Par ailleurs, ces dynasties du nord avaient des « origines barbares », et c’est pour ces deux raisons que le Paekche était plutôt tourné vers le sud.
2 La Chine des Han occupe les ¾ de la péninsule coréenne dès -108 de notre ère.
3 Lors des années 1980, des fouilles archéologiques ont été effectuées au sud de Séoul. On y a trouvé des briques ou des tuiles avec un ou deux caractères datant de la période Hansŏng.
4 Ouvrage majeur de référence sur l’histoire du Japon datant de 720.
5 L’année 369 de notre ère fait généralement consensus dans les milieux académiques. Pourtant, le philologue japonais Murayama Masao dans son ouvrage « Enquête photographique de l’épée du sanctuaire d’Isonokami » (1996) croit distinguer des caractères chinois différents, notamment sur les chiffres censés indiquer la datation.
6 Le terme idu a eu plusieurs sens au cours de l’histoire de la Corée. Aujourd’hui, son acceptation générale désigne le phénomène grammatical qui consiste à déformer la syntaxe originale du chinois classique en l’adaptant aux exigences de la typologie coréenne.
7 Le bouddhisme du Grand Véhicule à cette époque est à son apogée sous le royaume de Paekche.
8 Capitale des Liang, actuelle ville de Nankin en Chine.
9 Des fouilles ont eu lieu récemment dans le sud-est de la Corée du Sud, permettant de mettre à jour de nouvelles tablettes en bois utilisées sous le Silla.
Références bibliographiques:
- Best Jonathan, A History of the Early Korean Kingdom of Paekche, Havard University Press, 2006.
- Chŏng Chae-yŏng, Chinese Characters under Paekche, Kugyŏl Journal, 2003.
- Burge Marjorie, Wooden Inscriptions and the Culture of Writing in Sabi Paekche, Asian Perspectives, 2019.