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Les netizens, vous connaissez ? Un terme qui peut sembler barbare au premier abord, les netizens n’existent pas seulement en Corée. Mais c’est dans le Pays du Matin Clair que ce phénomène est le plus développé et a pris le plus d’ampleur. Il a permis de nombreuses avancées sociales, et permet aujourd’hui de répondre à une forte volonté de justice sociale de la part du peuple, vis-à-vis des classes les plus aisées (du moins en Corée du Sud).
Netizens – les origines
En Corée du Sud, Internet a une très forte influence sur la politique. Un pays où la technologie préfigure peut-être ce qui sera notre futur, grâce aux chaebol (재벌) et grandes entreprises qui font la fierté du pays. Dans ces halls la capitale, un monde nouveau prend forme façonnée par le réseau Internet le plus rapide de la planète. Son impact est sans équivalent par rapport à d’autres démocraties dans le monde. Ses capacités de diffusion de l’information et mobiliser l’opinion publique est sans équivalent dans le monde. Cela est d’autant plus vrai depuis l’apparition de la 5G dans le pays.
Le web est à l’origine d’une démocratie directe – un « cyber-populisme » pour ses détracteurs qui gênent le pouvoir et parfois lui viennent en aide. C’est sur cette constatation qui est fondé le mouvement netizens.
« – La justice ne fait rien ? »
« – Les institutions compétentes ne s’en sont pas occupées ou ne l’ont pas vu ? »
« – OK, pas de souci. Je vais les aider. »
Pour faire très simple, voici la constatation et la pratique principale de ce mouvement qui est mondial.
Mais c’est aussi pour des raisons plus pratiques. Pour les autorités, il est devenu pratiquement impossible de tout contrôler alors les citoyens ont été contraints de s’organiser. Le pays a donné naissance (malgré lui) à une nouvelle classe d’internautes engagés. On les appelle les netizens : ces netizens, ce sont de simples citoyens, les nouveaux justiciers d’Internet. En quelques années, ils sont devenus de véritables enquêteurs : ils font le travail des journalistes, de la police, de la justice, et ils combattent les trafics, enquêtes sur des catastrophes ou des détournements de fonds publics. Mais attention, il ne rendent jamais justice eux-mêmes, ils constituent des dossiers, font des enquêtes très approfondies, et livrent leur travail aux autorités compétentes qui elles, s’occupent de rendre justice. Cependant, le fait que les dossiers soient faits par de simples citoyens, cela permet de mobiliser plus facilement l’opinion publique et maintenir la pression sur les autorités jusqu’à ce que justice soit faite.
Une première pour tout
L’un des premiers faits ayant créé un précédent en Corée du Sud a eu lieu sous la présidence de Lee Myung-bak (이명박) qui a voulu pour l’exemple : l’arrestation le 8 janvier de l’internaute anonyme, baptisé « Minerve », qui a fait au cours des derniers mois des commentaires économiques acérés et des prédictions dont certaines étaient fondées : faillite de Lehman Brothers et effondrement du won. Surnommé le « président internaute de l’économie », auteur d’une centaine d’articles critiques du gouvernement en place à l’époque, largement diffusés grâce aux portails d’information et capacités de diffusion, il a été accusé de « propager de fausses nouvelles ».
Mais ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’un internaute est interpellé ; mais au vu de l’engouement des opinions pour Minerve, son arrestation relance la polémique sur les netizens, citoyens du net. Il a également permis de sérieusement remettre en question le projet de loi concernant la cyberdiffamation qui obligerait les internautes à dévoiler leur identité, dénoncée comme une atteinte à la liberté d’expression.
Dévoiler les fautes des autorités
Le naufrage du ferry Sewol (세월) le 16 avril 2014 a provoqué des réactions fortes en Corée du Sud. C’est le plus grand drame moderne depuis la guerre que la Corée ait connu. La colère de la société a augmenté davantage lorsque Zarro, netizen anonyme, a dévoilé les détails de la catastrophe. Après avoir travaillé, enquêté et étudié l’architecture navale, rencontré des experts sur le sujet, a fait grand bruits en sortant une vidéo de plus de 9h sur YouTube, se prénommant Sewol X.
Ce reportage soulève de grandes questions, peu ou pas abordées par les autorités sud-coréennes, suite au naufrage, qui ont préféré refuser de renflouer le ferry au lieu de faire une expertise sur les réelles causes du naufrage (sous la présidence de Park Geun-hye, mandat présidentiel : 25 février 2013 – 10 mars 2017). Les nouveaux ministres des affaires maritimes de l’époque n’ont pas voulu prendre la responsabilité et l’ont renvoyé au gouvernement précédent. On pourrait dire que le comportement des autorités sud-coréennes contemporaines ressemble beaucoup à celui des yangban à l’époque. C’est visible aussi dans la stratégie narrative des dramas historiques et modernes qui donnent une image critique de l’aristocratie coréenne.
Mais les exploits de Zarro ne se sont pas arrêtés en aussi bon chemin, ils ont même mené le 10 mars 2017 à la destitution de la présidente Park Geun-hye (박근혜). Les révélations au sujet du Sewol ont contribué aux charges, mais de nouvelles révélations comme le scandale Choi Soon-sil (박근혜 – 최순실 게이트) ont compliqué la situation.
Au tournant des années 2016-2017, les Sud-Coréens protestaient pendant des semaines. Cette « lutte des bougies » (촛불항쟁 Chotbul hangjaeng) ou « révolution des bougies » (촛불혁명 Chotbul hyeongmyeong), car des milliers de manifestants tenaient des bougies, avaient pour but la démission de la présidente qui avait commis plusieurs crimes : le détournement de fonds publics, l’affaire avec la fille du leader de la secte Yongsae-gyo (영세교), Choi Soon-sil (최순실) et dissimulation des détails sur le naufrage du ferry Sewol.Park Geun-hye (박근혜, née 1952) a été élue présidente en 2012.
À noter qu’elle est fille du dictateur militaire Park Chung-hee (박정희, 1917-1979), président de la République de Corée de 1962 à 1979 car cette liaison familiale a provoqué aussi des polémiques sur sa vie politique. Son impeachment a montré la puissance de la société sud-coréenne. Des millions de citoyens ont manifesté pour la démission de la présidente corrompue : le 9 décembre 2016 les députés ont finalement décidé de la déstituer.
Depuis lors, une branche au sein même de la police appelée les Nuricops a été créée et est désormais opérationnelle. Il s’agit de citoyens au service des forces publiques.
Molka 몰카
Les netizens se lancent aussi dans une lutte contre les molka (몰카, l’abréviation coréenne pour 몰래 카메라 Mollae kamera), forme de harcèlement qui est un grand problème en Corée du Sud aujourd’hui. Son but est de filmer avec une caméra cachée des personnes, d’habitude des femmes, dans leur moments d’intimité, et ensuite de distribuer ces vidéos sur les sites pornographiques ou dans d’autres espaces d’Internet. Les caméras sont installées dans les toilettes publiques, les moyens de transport et même dans certaines maisons privées.
L’importance du mouvement des netizens obligent les professeurs académiques à faire plus de recherches pour « comprendre les processus sociaux et politiques mis en œuvre avec Internet, plus particulièrement les ressources mobilisées par les individus, en Chine et Asie orientale. » (Arifon, Liu, Sautedé, 2009, p. 10) Le cas de Zarro montre aussi l’augmentation de la puissance individuelle (même si elle est soutenue par le collectif) : « l’individu est aussi fréquemment convoqué. D’abord il est acteur dans les mouvements sociaux et dans les associations, ce qui constitue un des fondements de la vie en société. Et aussi ce qui peut sembler plus nouveau dans des sociétés à caractère collectiviste, parce que des discours individuels et individualistes émergent. » (Arifon, Liu, Sautedé, 2009, p. 13) En plus, « en Corée, les espaces de l’Internet et de la téléphonie mobile ont rendu possible l’émergence de nouvelles formes de démocratie. » (Kim, 2009, p. 35) Ensuite, « l’utilisation d’Internet par la société civile dans ces trois pays [Chine, Japon, Corée] s’est développée par le biais de l’activisme, en particulier en Corée et en Chine. Internet a servi de moyen d’information et de communication pour les groupes de la société civile, afin de combler les lacunes de la sphère située entre la compétence régulatrice et administrative des différents niveaux de gouvernement, et les préoccupations et intérêts composant la sphère marchande. » (Tsujinaka, Tkach-Kawasaki, 2009, p. 91)
Au regard des théories anthropologiques et sociologiques, les netizens représentent entièrement un nouveau modèle humain – homo mobilicus, « l’homme ou l’humain mobile » qui commence à détrôner homo communicans – « l’homme ou l’humain qui communique ». (Kim, 2009, p. 31-32) En comparaison avec les anciens concepts (homo faber – « l’homme qui crée », homo viator – « l’homme-voyageur » etc.), celui-ci souligne le caractère mobile et le pouvoir de l’être humain qui participe aux migrations virtuelles permanentes, principalement grâce aux réseaux sociaux. Néanmoins, les évaluations sur la situation sont polarisées : « de l’esclavage à l’émancipation, de la liberté au contrôle. Les usages sont aussi variés : de l’usage religieux aux abus pornographiques, du paiement bancaire à la pêche. » (Kim, 2009, p. 32)On peut dire « qu’à l’âge des Netizens, l’information se donne plus que jamais comme l’incarnation de ‘ce qui est arrivé près de chez vous’, c’est-à-dire comme une information déconnectée de la notion d’événement. Apprivoisée, ‘proximisée’, à la portée de tous, pourra-t-elle longtemps conserver son attrait ? » (Deslandes, Maixent, 2009, p. 128)
Bibliographie :
- Arifon Olivier, Liu Chang, Sautedé Éric (2009). Introduction. En : Hermès, La Revue 3, no. 55, p. 9-14.
- Deslandes Ghislain, Maixent Jocelyn (2009). Quand l’audience est le média : les limites du modèle coréen « OhmyNews ». En : Hermès, La Revue 3, no. 55, p. 125-129.
- Kim Sung-do (2009). L’appropriation culturelle de la téléphonie mobile en Corée. En : Hermès, La Revue 3, no. 55, p. 31-37.
Tsujinaka Yutaka, Tkach-Kawasaki Leslie M. (2009). Internet dans la société civile : premier bilan au Japon, en Corée et en Chine (1997-2007). En : Hermès, La Revue 3, no. 55, p. 89-96, traduit de l’anglais par Séverine Bardon.
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