Le professeur Kim Jung-hee (김정희), maître de janggu (장구) et assistant en formation du Dongdaehan Pyeolsingut (동해안 별신굿), ensemble de rites chamaniques de la côte Est, s’est éteint à l’âge de 58 ans, le 13 décembre 2019.
Membre d’une famille héritière de ces traditions depuis quatre générations, Kim Jung-hee était détenteur du rituel chamanique des villages de pêcheurs, désigné Patrimoine culturel immatériel national de Corée (n°82-1) en 1985.
Le Dongdaehan Pyeolshingut est offert aux dieux, aux esprits et aux ancêtres dans les provinces de Gyeongsang (경상), en faveur d’une pêche abondante et de la protection des pêcheurs. Il s’accomplit selon un cycle saisonnier spécifique à chaque village, tous les trois à dix ans, et se distingue des autres gut par son improvisation collective, et par l’intercession relativement ludique de la mansin (만신, chamane aux dix mille esprits).
Le 6 décembre dernier, au Théâtre de l’Alliance française, les Parisiens ont eu l’immense chance d’assister à sa représentation sur scène par la famille Kim, dans le cadre du Festival de l’Imaginaire. La chamane Kim Dong-eon (김동언), majestueuse et bienveillante détentrice du Patrimoine culturel immatériel de Busan (n°23), était accompagnée par quatre musiciens : Jo Jong-hun (조종훈), Kim Dong-yeol (김동열), Kim Jin-hwan (김진환) et le défunt Kim Jung-hee. Les variations rythmiques des chants et des danses, du janggu (장구, tambour-sablier), du kkwaenggwari (꽹과리, petit gong) et du jing (징, gong plus grand) ont emporté les spectateurs dans une célébration joyeuse et salutaire. La générosité, l’énergie, la force et la fougue transmises par de tels interprètes n’auraient jamais pu laisser présager d’une telle fin.
Une semaine plus tard, le corps du professeur Kim Jung-hee a été retrouvé près du mont Bukhansan (북한산) à Séoul. Selon la formule des journalistes : « Il avait fait un choix extrême » (News.mt.co.kr).
Dans l’univers des arts traditionnels coréens, cette tragédie ravive une polémique issue de la révision de la loi sur l’enseignement supérieur, attisée notamment par les aléas de son application depuis l’été dernier. Le professeur Kim Jung-hee, qui avait enseigné pendant 20 ans, au Centre national des arts traditionnels (한국예술종합학교, Han Ye Jong 한예종), depuis sa fondation en 1998, y a donné ses derniers cours au premier semestre de l’année 2019.
© Université nationale des arts de Corée
Source : https://news.joins.com/article/22926031
Selon cette loi entrée en vigueur au mois d’août, le recrutement des enseignants exige désormais que ces derniers détiennent exclusivement des diplômes d’enseignement supérieur. Ce n’était pas le cas du défunt qui, aux dires de ses proches, de ses disciples et de ses collègues artistes, aurait reçu un avis de licenciement durant l’été et aurait été très choqué de ne plus pouvoir enseigner dans son école.
Affirmation réfutée par le Centre Han Ye Jong, qui rappelle que les responsables en charge de la transmission du patrimoine culturel immatériel sont composés d’étudiants boursiers, de stagiaires, d’assistants pédagogiques, de professionnels et de titulaires. Et selon le ministère de l’Éducation, dans une déclaration du 15 décembre dernier, le Centre a un statut particulier : « D’après la loi sur l’enseignement supérieur, Han Ye Jong correspond à une « école d’enseignement » qui peut recruter de manière flexible des enseignants en raison de la nécessité d’embaucher des professionnels sans diplôme » (News.joins.com).
En revanche, l’injonction, depuis l’été dernier, de candidater à un concours de recrutement pour pouvoir être réembauché, a pu apparaître à plus d’un comme une voie impossible.
© Yeonhap News (연합뉴스)
Source : https://www.yna.co.kr/view/AKR20191215001651004
Le professeur Kim Jung-hee n’avait pas fait de longues études et disposait de peu de revenus. En effet, d’après un artiste traditionnel proche du défunt, le gut ne laisse pas le temps d’étudier et les musiciens qui s’y consacrent peinent à gagner leur vie, « contrairement aux interprètes de gayageum (가야금) ou de lyre (거문) » (News.joins.com). La même source décrit la précarité du statut de l’assistant en formation : « Actuellement, parce qu’on ne peut pas donner de leçons privées et qu’il n’y a presque pas de gut, on sait que les assistants de formation doivent assurer leur subsistance avec un revenu de 600 000 wons par mois ».
Source : https://youtu.be/FQEZMolKybI
C’est l’image du joueur de janggu, fatigué mais souriant, vivante flamme de ce gut, qui restera dans nos mémoires. Et nous réécouterons ces vibrantes percussions, en souvenir de l’étoile de la côte Est.
Source : https://news.mt.co.kr/mtview.php?no=2019121610232594776
Florence Codet, 20 décembre 2019
Sources
23e Festival de l’Imaginaire, 2019
https://www.maisondesculturesdumonde.org/actualite/23e-festival-de-limaginaire
News.joins.com, article du 2019-12-15
https://news.joins.com/article/23657398#home
News.mt.co.kr, article du 2019-12-16
https://news.mt.co.kr/mtview.php?no=2019121610232594776
News.v.daum.net, article du 2019-12-18
https://news.v.daum.net/v/NrcUq75s2n?f=p
Nocutnews.co.kr, article du 2019-12-16
https://nocutnews.co.kr/news/5259376
Yeonhap News (연합뉴스) pour la photographie liminaire
https://news.joins.com/article/23657398#home
YNA.co.kr, article du 2019-12-15
https://www.yna.co.kr/view/AKR20191215001651004