Sommaire
Le jokbo (족보), registre généalogique traditionnel coréen, constitue un élément fondamental de l’héritage culturel et historique de la péninsule coréenne. Ce document, dont les origines remontent à plusieurs siècles, offre une fenêtre unique sur l’évolution des structures familiales, des hiérarchies sociales et des valeurs culturelles qui ont façonné la société coréenne au fil du temps.
Origines et développement historique
L’origine du jokbo trouve ses racines dans la Chine ancienne, où des registres généalogiques de la famille impériale, appelés « 系 », existaient déjà. Cette pratique s’est transmise à la péninsule coréenne, où elle a pris une importance particulière. Le plus ancien jokbo coréen connu date de 1476 et appartient au clan Andong Kim, marquant ainsi le début d’une tradition qui allait profondément influencer la société coréenne.
La pratique du jokbo s’est considérablement développée à partir du 16e siècle, pendant la période Joseon (1392-1897). Cette expansion reflète l’importance croissante accordée aux lignées familiales dans la société coréenne de l’époque, une tendance qui s’inscrit dans le contexte plus large de l’influence néo-confucéenne sur les structures sociales et familiales.
Structure et contenu des Jokbos
Le jokbo, dans sa forme traditionnelle, est bien plus qu’une simple liste de noms et de dates. Il s’agit d’un document complexe et riche en informations, offrant un aperçu détaillé de l’histoire et de la structure d’un clan ou d’une famille.
Au cœur du jokbo se trouve le nom de famille, suivi du bongwan (본관), qui indique l’origine géographique du clan. Cette information est cruciale dans la société coréenne, où l’identité est étroitement liée à l’appartenance à un clan spécifique. Le document répertorie ensuite les membres de la famille de manière chronologique, en commençant par l’ancêtre fondateur et en descendant jusqu’aux générations actuelles.
Pour chaque individu, le jokbo fournit généralement le nom complet, y compris le nom de plume pour les lettrés, les dates de naissance et de décès, ainsi que la localisation de la tombe. Ces informations sont complétées par des détails sur les titres officiels, les réalisations notables et les alliances matrimoniales, offrant ainsi un tableau complet de la position sociale et des accomplissements de chaque membre de la famille.
Il est important de noter que la structure du jokbo a évolué au fil du temps. Les versions plus anciennes incluaient souvent les femmes de manière plus égalitaire, tandis que les versions plus récentes ont tendance à suivre une structure strictement patrilinéaire, reflétant ainsi les changements dans les normes sociales et les rôles de genre en Corée.
Signification sociale et culturelle
Durant la période Joseon, le jokbo jouait un rôle crucial dans la définition et le maintien des structures sociales. Il servait de preuve tangible d’appartenance à la classe yangban (aristocratie), permettant ainsi aux familles de maintenir leur statut social élevé. Cette fonction du jokbo illustre la rigidité de la hiérarchie sociale de l’époque et l’importance accordée à la lignée familiale dans la détermination du statut individuel.
Au-delà de son rôle dans la stratification sociale, le jokbo avait également une importance significative dans la vie familiale et culturelle. Il était fréquemment consulté pour les arrangements matrimoniaux, servant à éviter les unions entre proches parents et à assurer des alliances appropriées entre familles de statut comparable. Cette pratique souligne l’interconnexion entre les considérations généalogiques et les dynamiques sociales plus larges dans la société coréenne traditionnelle.
La possession et la transmission du jokbo étaient considérées comme un devoir filial important, reflétant les valeurs confucéennes profondément ancrées dans la société coréenne. Ce document jouait ainsi un rôle crucial dans le renforcement de la cohésion familiale et du sentiment d’appartenance à un clan, contribuant à la préservation et à la transmission de l’identité familiale à travers les générations.
Évolution et controverses du Jokbo
À la fin de la période Joseon et au début de l’ère moderne, le système du jokbo a connu des changements significatifs et a fait l’objet de critiques croissantes. L’un des problèmes majeurs qui a émergé est la falsification des registres. Certaines familles, désireuses d’améliorer leur statut social, ont cherché à s’attribuer des ancêtres prestigieux en modifiant leurs jokbo. Cette pratique a non seulement remis en question l’intégrité du système, mais a également révélé les pressions sociales intenses liées au statut et à la lignée dans la société coréenne.
Parallèlement, l’utilisation du jokbo comme outil de discrimination sociale a commencé à être remise en question par certains intellectuels de l’époque. Ces critiques reflétaient une prise de conscience croissante des inégalités inhérentes à un système qui déterminait le statut social principalement sur la base de la naissance plutôt que du mérite individuel.
Un autre aspect notable de l’évolution du jokbo est le changement dans la représentation des femmes au fil du temps. Les versions plus anciennes incluaient souvent des informations détaillées sur les membres féminins de la famille, mais cette pratique a progressivement diminué, reflétant les changements plus larges dans les rôles de genre et la structure patriarcale de la société coréenne.
Le jokbo dans la Corée moderne
Bien que son importance sociale ait considérablement diminué dans la Corée moderne, le jokbo continue de jouer un rôle significatif en tant qu’élément du patrimoine culturel coréen. Certaines familles poursuivent la tradition de mise à jour de leurs jokbo, adaptant parfois cette pratique ancienne aux technologies modernes en créant des versions numériques.
Du point de vue académique, les jokbo sont devenus des sources historiques précieuses. Les chercheurs les utilisent pour étudier la mobilité sociale, les structures familiales et les changements démographiques en Corée sur de longues périodes. Cette utilisation académique souligne la valeur continue du jokbo au-delà de son rôle traditionnel.
Il est intéressant de noter la divergence dans le traitement du jokbo entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. En Corée du Nord, la pratique du jokbo a été officiellement découragée après 1945, dans le cadre d’efforts plus larges visant à rompre avec les traditions perçues comme féodales. Néanmoins, certains registres ont été préservés pour leur valeur historique. En Corée du Sud, en revanche, la pratique perdure, bien que son importance sociale ait considérablement diminué par rapport à l’époque Joseon.
D’ailleurs simple observation sur la question des repartition des noms dans la société Coréenne, mais , kim
Conclusion
Le jokbo, en tant que registre généalogique traditionnel coréen, incarne la confluence entre l’histoire familiale et l’évolution sociétale de la Corée. Son rôle multifonctionnel – à la fois archives historiques, marqueur de statut social et outil de recherche – en fait un objet d’étude fascinant pour les chercheurs en sciences sociales.
L’évolution du jokbo au fil des siècles reflète les changements profonds dans la société coréenne, depuis la rigide hiérarchie sociale de la période Joseon jusqu’aux transformations rapides de l’ère moderne. La persistance de cette pratique, même sous des formes modifiées, dans la Corée contemporaine soulève des questions intéressantes sur la tension entre tradition et modernité dans les sociétés est-asiatiques.
En conclusion, l’étude du jokbo offre non seulement un aperçu unique de l’histoire et de la culture coréennes, mais fournit également des perspectives précieuses sur la façon dont les sociétés conservent, transmettent et adaptent leurs traditions face aux changements sociaux et technologiques. Ce faisant, le jokbo continue de jouer un rôle important dans la compréhension de l’identité coréenne, à la fois comme un lien avec le passé et comme un reflet des dynamiques sociales en constante évolution.
Sources :
- ill 1 : Registre-Jokbo-Kim
- ill 2 : « Yangsegyebo, » a genealogy of eunuch from Joseon Kingdom / Courtesy of National Library of Korea
Deuchler, M. (1992). The Confucian Transformation of Korea: A Study of Society and Ideology. Harvard University Press. (ici)
- Duncan, J. B. (2000). The Origins of the Chosŏn Dynasty. University of Washington Press.
- Kim, G. (2015). From Ancestor to God: A Study of Genealogy and Ritual in Pre-modern Korea. Harvard University Asia Center.
- Lee, S. M. (2003). The Genealogy of Korean Confucianism: A Study of the Korean Genealogical Records (Jokbo). Journal of Korean Studies, 8(1), 61-94.
- Palais, J. B. (1996). Confucian Statecraft and Korean Institutions: Yu Hyŏngwŏn and the Late Chosŏn Dynasty. University of Washington Press. (ici)
- Park, E. Y. (2014). Between Dreams and Reality: The Military Examination in Late Chosŏn Korea, 1600-1894. Harvard University Asia Center. (ici)
- Peterson, M. (1996). Korean Adoption and Inheritance: Case Studies in the Creation of a Classic Confucian Society. Cornell East Asia Series. (ici)
- Wagner, E. W. (1974). The Literati Purges: Political Conflict in Early Yi Korea. Harvard University Asia Center. (ici)
- Yang, J. (2008). The Construction of Confucian Culture in Chosŏn Korea: The Discourse of Filiality in Early Chosŏn. Asian Studies Review, 32(2), 171-188.
- Yi, T. (1998). The Dynamics of Confucianism and Modernization in Korean History. Cornell University East Asia Program. (ici)
étudiant en design graphique et design industriel, passionné par la Corée sur toutes ses formes. et nous vous faisons découvrir ce pays merveilleux et sa culture chaque semaine.