Sommaire
- 1. Danses chinoises : tangak chŏngjae (당악 정재)
- 2. Danses coréennes : hyangak chŏngjae (향악정재)
- 3. Les danses (re)créées par le roi Sejong
- 4. Les danses (re)créées par le prince Hyomyŏng
- 5. Les danses de fêtes privées
- En conclusion
- Bibliographie et webographie
- Notes
A l’ère Chosŏn, le répertoire de cour se divisait en deux catégories [1] : les tangak chŏngjae (당악정재) importées de Chine (당악) sous la dynastie Koryŏ, ou créées en Corée à la manière chinoise, et les hyangak chŏngjae (향악정재), musique et danses natives de Corée (향악). Les premières s’accompagnaient de poèmes chinois chantés et employaient des éventails et des ombrelles, tandis que les hyangak chŏngjae (향악) évoluaient au rythme de chants en coréen, sans accessoires, avec des révérences initiales et finales adressées au roi.
En outre, une troisième catégorie de danses était interprétée lors des fêtes privées tenues par l’aristocratie (yangban, 양반)[2]. Héritières des chŏngjae, elles s’en démarquèrent dans leurs formes et leurs traditions, au contact d’un environnement extérieur au palais.
1. Danses chinoises : tangak chŏngjae (당악 정재)
Ces danses originaires de Chine se reconnaissaient à la présence d’un régisseur muni d’un long bâton en bambou (chugganja, 죽간자), qui réglait l’entrée en scène et la sortie des danseurs, et récitait une préface orale et un épilogue [3]. Les chants chinois se composaient d’un refrain d’ouverture (kuho, 구호) et d’une chanson de louange au roi (ch’iŏ, 치어).
Les formalités et la musique de la dynastie Tang, ainsi que l’inspiration taoïste de ces thèmes qui articulent le merveilleux et le politique, visaient à légitimer l’avènement de la nouvelle dynastie, notamment dans les danses Hŏnsŏndo et Monggŭmch’ŏk. Le caractère protocolaire et solennel des chŏngjae, soumises aux impératifs du yŏak (여악), constituait un cadre propice à la diffusion de tels messages. Puis, au fil du temps, ces danses se coréanisèrent.
P’ogurak (포구락), danse du lancer de balle
Cette danse est l’une des plus anciennes et des plus connues. Elle a plus de 900 ans d’existence [4], puisqu’elle remonte à l’ère Koryŏ (고려, 918-1392)[5]. Elle est issue du rêve d’un poète qui vit en songe des femmes jouer à la balle, dans un pavillon au milieu d’un étang [6].
De ce fait, P’ogurak est à la fois une danse et un jeu. Elle tire son origine du jeu de balle chinois pogu, qui fut pratiqué sous la dynastie Tang (618-907) et devint populaire sous la dynastie Song (960-1279), époque à laquelle il fut transmis en Corée. Il est d’ailleurs similaire au jeu coréen kŭmhwan (금환) qui était l’un des cinq sports majeurs de Silla (신라, 668-935).
Deux équipes de danseuses disposées en deux colonnes lancent une balle (ch’aegu, 채구) à travers l’ouverture d’un portail recouvert de fleurs, au centre de la scène. Celles qui réussissent reçoivent une fleur, celles qui échouent sont gratifiées d’un trait de peinture sur la joue ! Le chant qui accompagne cette gracieuse compétition ressemble davantage à un commentaire sportif qu’à la narration d’une chanson de cour.
Hŏnsŏndo (헌선도), danse de l’offrande de la pêche
Hŏnsŏndo est également une danse très ancienne. Originaire de la cour des Tang, elle aurait été introduite en Corée sous le règne du roi Munjong de Koryŏ (문종, règne 1046-1083). Elle narre la venue sur terre d’une Reine Mère qui offrit au roi une pêche céleste – fruit qui, selon la légende, donne la vie éternelle et ne se cueille que tous les trois mille ans [7] – et le bénit en lui accordant une longue vie. Cette danse, comme la suivante, est destinée à asseoir la légitimité de la dynastie des Yi.
Bien
que les rôles principaux soient habituellement attribués aux danseurs
masculins, le divin est ici représenté par une femme, et c’est ce qui rend
cette danse unique en son genre. Pour louer la grandeur du royaume et de la
Reine Mère, Hŏnsŏndo se déploie à
grande échelle et met davantage l’accent sur le jeu d’acteur, le chant et la
splendeur des séquences que sur les mouvements individuels. La figure divine, escortée
par deux danseuses, y est centrale, même si ses gestes sont en eux-mêmes extrêmement
limités : déposer une pêche sur la table, pivoter sur place et revenir à
sa position d’origine.
Comme dans la plupart des chŏngjae, ce n’est pas tant la chorégraphie que la scénographie qui importe. Cette production requiert 18 accessoires ou uimul (의물), parmi lesquels un plat d’argent garni de trois pêches représentant le ciel, la terre et l’homme, ainsi qu’une table hexagonale dont les six côtés représentent le nord, le sud, l’est, l’ouest, la terre et le ciel. De nombreux éventails, masques et lampes agrémentent également la danse.
Dans les versions plus anciennes, les ch’angsa jouaient également un rôle très important, qu’ils soient chantés en solo par la reine mère ou scandés avec le chœur des danseurs secondaires, à l’instar des récits épiques à la gloire des rois. Comme tous les chŏngjae, Hŏnsŏndo comporte des prières pour la bonne fortune, la santé et la longévité du roi ainsi que des vœux pour la prospérité et la paix du royaume.
Monggŭmch’ŏk (몽금척), le rêve du sceptre d’or
Kŭmch’ŏk, qui signifie littéralement « sceptre d’or », tire son origine du rêve de Yi Sŏnggye (이성계) ou roi T’aejo (태조), fondateur de la dynastie des Yi (1392-1910)[8]. Un Immortel taoïste descendit du ciel et lui tendit un sceptre en or en lui ordonnant de diriger la nation. Il lui révéla qu’il deviendrait un modèle pour les lettrés autant que pour les armées, et qu’il gagnerait la confiance du peuple. L’histoire de cet oracle fut mise en vers en 1393 par Jŏng Do-jŏn (정도전), conseiller du roi et artisan de cette nouvelle ère.
Comme la précédente, cette danse célébrait les hauts faits du roi en démontrant que l’avènement des Yi émanait de la volonté divine. Pour asseoir la légitimité politique et morale de la nouvelle dynastie, justification pressante à l’époque, Monggŭmch’ŏk reprenait à son compte les formalités et la musique de la cour des Tang, bien qu’elle fût originaire de Corée.
Rivalisant de splendeur avec les autres chŏngjae, Monggŭmch’ŏk comporte des dispositifs et des séquences d’envergure. La performance est accomplie par 16 ou 18 danseuses rangées en deux colonnes face au roi, avec des objets de cérémonie en main. Un porteur de rouleau et deux chugganja les précèdent et s’avancent pour entonner le refrain d’ouverture. Une danseuse isolée se tient au centre, le fameux sceptre d’or à la main. Elle est escortée par quatre danseuses munies d’ombrelles.
2. Danses coréennes : hyangak chŏngjae (향악정재)
Les hyangak chŏngjae sont des danses autochtones très anciennes, introduites par une préface chantée. A la différence des tangak chŏngjae, l’ouverture de la danse et de la musique n’est pas marquée par un signal de départ [9]. Les artistes s’inclinent au début et à la fin, en direction du roi assis au nord. Ils n’utilisent pas d’accessoires de cérémonie et leurs chants sont en coréen.
Mugo (무고) , danse du tambour
Selon Kim Malborg, la plus ancienne danse de tambour en Corée, Takmu (닥무), daterait du royaume de Paekche (백제, 18 av. JC – 660 ap. JC). Mais la version qui est parvenue jusqu’à nous est Mugo (무고), dont l’origine remonte au roi Ch’ungryŏl (충렬, 1274-1308) de la dynastie Koryŏ [10]. Un officier de haut rang nommé Yi Hon (이혼) fut exilé à Yŏnghae (영해) au nord de la province du Kyŏnsang (경상) et il construisit un tambour avec un radeau échoué sur la plage. Plus tard, lorsqu’il fut réintégré au palais, il aida les artistes de cour à en faire une danse.
La composition d’ensemble est simple autant que puissante. Un tambour circulaire est placé au centre de la scène et les danseuses le frappent avec de longues baguettes, au rythme du changgu, tambour en forme de sablier (장구). La danse commence sur un tempo très lent qui s’accélère progressivement pour culminer et prendre fin brusquement – à l’encontre des autres chŏngjae où le tempo décélère in fine. D’anciens documents décrivent les danseuses de Mugo comme des « papillons dansant autour de fleurs ». Au milieu de l’ère Chosŏn, les quatre danseuses principales (won-mu, 원무) utilisaient de longues baguettes, entourées de quatre ou huit danseuses secondaires (hyŏp-mu, 협). Depuis les années 1920, ces dernières tiennent aussi des fleurs.
Avec la danse intitulée Tongdong (동동) ou Ahbak (아박), c’est la pièce la plus dynamique des hyangak chŏngjae et ces deux danses eurent une place essentielle dans les festivités royales de la fin de l’ère Chosŏn.
Comme on le sait, les danses de cour coréennes connurent une renaissance et un âge d’or à l’ère Chosŏn, sous le règne du roi Sejong (세종), puis sous la régence du prince héritier Hyŏmyong (효명).
3. Les danses (re)créées par le roi Sejong
Ch’ŏyong-mu (처용무) ou « danse du fils du dragon »
Issue d’une légende de la fin du 9e siècle, à l’époque du Grand Silla, Ch’ŏyong-mu est la plus ancienne des chŏngjae [11]. Elle est de surcroît la plus riche de toutes au plan symbolique et spirituel, en ce qu’elle cristallise différentes croyances, fonctions et représentations religieuses propres à l’histoire de Corée. Enfin, c’est la seule danse masquée du répertoire de cour qui était exécutée aussi bien par les artistes professionnels que par les gens du commun [12].
La légende rapporte que le roi Hŏn’gang (헌강, règne 875-886) rencontra un jour le Dragon de la mer de l’Est et son fils Ch’ŏyong. Ce dernier accompagna le roi au palais, fut nommé officiel de haut rang et se vit attribuer une belle femme. Mais le dieu de la maladie convoitait son épouse : il prit forme humaine et se glissa dans son lit. Ch’ŏyong lui pardonna généreusement sa trahison et le dieu lubrique en fut si ému qu’il promit de ne jamais entrer dans une maison où se trouverait le portrait de Ch’ŏyong. C’est ainsi que ce dernier fut vénéré comme un dieu qui repousse les esprits du mal [13].
Originaire de Kyŏng-ju (경주, au sud-est de la péninsule), la danse était exécutée à la cour durant le festival Narye (나례), la veille du Nouvel An lunaire, comme un rituel d’exorcisme contre la maladie et la mauvaise fortune [14]. Les courtisans comme les gens du commun attachaient un portrait de Ch’ŏyong sur les portails [15] et tous exécutaient une danse de masques. Cette tradition se poursuivit jusqu’à la fin de l’ère Chosŏn.
Sous la dynastie Koryŏ, Ch’ŏyong-mu était accomplie lors des cérémonies d’État comme P’algwanhoe (팔관회) et Yŏndŭngho (연등회). Elle fut intégrée dans les sandae-chapgŭk (산대 잡극, théâtre et danse masqués) et interprétée avec Hŏnsŏndo, parmi d’autres spectacles (acrobaties en haut d’un mât et feux d’artifice), avant de devenir une danse à part entière.
C’est sous le règne de Sejong que Ch’ŏyong-mu entra officiellement dans le répertoire de cour. Alors qu’elle se dansait en solo, puis en duo sous la dynastie Koryŏ, le nombre de danseurs augmenta au début de la dynastie Yi pour former un quintet. La danse prit le nom de Obang-Ch’ŏyongmu (오방 처용무, danse de Ch’ŏyong des Cinq directions) pour illustrer la théorie confucianiste des Cinq Eléments et du Yin-Yang qui présida à la création de nombreuses chŏngjae.
Les cinq danseurs masculins, vêtus de costumes aux couleurs cardinales, symbolisent les Cinq Agents cosmiques : bleu pour l’Est et le Bois, rouge pour le Sud et le Feu, blanc pour l’Ouest et le Métal, noir pour le Nord et l’Eau, et jaune pour le Centre et la Terre [16] .
La pensée cosmologique qu’ils incarnent a pu s’inspirer de la compilation chinoise des Écrits de Maître Guan (Guanzi, 管子), écrite entre le 4e siècle et la fin du 2e siècle avant notre ère. En voici un extrait, cité et étudié par Marc Kalinowski [17] :
Le secteur Est désigne (yue) les astres, sa saison est (yue) le printemps et son souffle est (yue) le vent ; le vent engendre (sheng) le Bois et les os.
Le secteur Sud désigne le soleil, sa saison est l’été et son souffle le Yang (le temps clair, sec) ; le Yang engendre le Feu et la force vitale.
Le secteur Ouest désigne la lune, sa saison est l’automne et son souffle le Yin (le temps couvert, humide) ; le Yin engendre le Métal et les ongles.
Le secteur Nord désigne les marqueurs sidéraux, sa saison est l’hiver et son souffle le froid ; le froid engendre l’Eau et le sang ».
Portant le masque de Ch’ŏyong, les danseurs évoluent sur une musique lente et solennelle qui proviendrait d’une chanson chamanique, selon Eleanor King. Ils exécutent d’abord des séquences individuelles avant d’affronter l’un après l’autre la figure centrale avec des gestes martiaux, puis de tourner tous ensemble.
Ch’ŏyongmu était une chŏngjae très prisée lors des banquets royaux de l’ère Chosŏn et elle devint un spectacle essentiel du répertoire des fêtes de cour, souvent interprété en clôture de banquet, du fait de l’énergie qu’elle déploie et suscite, à la différence des autres chŏngjaes, plus en retenue. Le déplacement des danseurs est similaire à celui des arts martiaux et le mouvement cinglant des hansam est spectaculaire [18].
Enregistrée en tant que Patrimoine culturel immatériel de la Corée n° 39 par le gouvernement sud-coréen en 1971 [19], Ch’ŏyong-mu fut interprétée au Palais Kyŏngbokgung (경복궁) en 1972, afin de faire revivre l’atmosphère des danses de cour. Le Bureau de l’administration du patrimoine culturel du ministère de la Culture et des Affaires publiques (문화공보부 문화재관리국) fit réaliser ce documentaire sur les costumes, la musique, les mouvements et les séquences des chŏngjae. La performance était supervisée par Kim Ch’ŏn-hŭng (김천흥), qui était alors membre du Comité du patrimoine culturel (문화재위원) et détenteur d’une section de la musique rituelle du sanctuaire royal de Chongmyo (종묘, Patrimoine culturel immatériel n° 1), ainsi que titulaire de la conservation des masques et de la danse de Ch’ŏyong [20].
Hakyŏnhwadae-mu (학연화대무), danse de la grue et des fleurs de lotus
Hakmu (학무), danse de la grue, a été créée sous la dynastie Koryŏ, d’après le Akhak Kwebŏm (악학궤), traité sur la musique et la danse de cour, compilé en 1493, sous le règne du roi Sŏngjong (성종, règne 1469-1494) et répertoriant 19 danses de cour [21]. C’est la seule danse de cour où les danseurs portent un masque d’oiseau [22].
Des vases de pivoines, eux-mêmes ornés de fleurs et de feuilles de lotus, décorent la scène. Au centre, une pièce aquatique avec des lotus et des lanternes, et de chaque côté une grande fleur de lotus dans laquelle se cache une jeune fille. Deux danseurs portant des masques de grues entrent sur scène et dansent autour des fleurs en hochant la tête et en piquetant le sol comme des oiseaux. Ils ouvrent les fleurs de lotus avec leur bec et les jeunes filles en surgissent en les regardant d’un air médusé. Les grues s’enfuient et c’est alors que commence la performance de la danse des fleurs de lotus, Yŏnhwadae-mu (qui désigne l’étang avec des fleurs de lotus).
La grue est un symbole de longévité en Corée, en Chine et au Japon, elle est autant présente dans les arts vivants folkloriques que dans les spectacles de cour. En Corée, elle fait partie des dix signes de longévité (sip changsaeng, 십장생), aux côtés de la tortue, du pin, du cerf, du bambou, de la roche, de l’eau, des nuages, du soleil et de l’herbe d’immortalité (pulloch’o, 불로초). La grue est aussi un symbole de paix, de pureté et de simplicité car elle fraie son chemin dans les eaux boueuses de la rivière, attrape de la nourriture dans son bec, la rince dans l’eau et rejette ce qui n’est pas comestible. Elle représente la droiture et la manière dont on doit se comporter dans la vie : choisir la voie morale et pure et rejeter ce qui est mauvais et immoral. C’est pour cela que les officiers civils de la dynastie Yi (1392-1910) portaient le symbole de la grue à l’avant et à l’arrière de leur costume [24].
Selon Christine J. Loken, danseuse et universitaire, experte en danses traditionnelles asiatiques, Yŏnhwadae-mu, aurait donné naissance à la danse de la grue qui la précède scéniquement. Comme beaucoup de danses anciennes, elle a pour but de chasser les esprits maléfiques. Le lotus est un symbole bouddhiste d’illumination, car il croît dans des eaux boueuses et fleurit de manière lumineuse à la surface ; il représente la victoire sur les maux et tentations séculaires et ne retient que la pureté. C’est ainsi que les deux grues délivrent les jeunes filles pour apporter bonheur et prospérité au roi.
Yŏnhwadae-mu serait originaire d’Inde et aurait été transmise en Corée par la Chine [25]. Elle fut enregistrée dans le Akhak Kwebŏm comme tangak chŏngjae, étant originaire d’un pays de Chine occidentale appelé « Royaume de Sŏk », et était exécutée au début de l’ère Koguryŏ. De ce fait elle est aussi appelée Sŏkjimu (석지무). Les danseuses portent un chapeau qui n’est ni chinois ni coréen : on l’appelle homo (du nom donné au chapeau des barbares du nord et de l’est) ou haplip (chapeau en bambou qui tinte au rythme de la danse)[26]. Le caractère unique et l’importance historique de cette danse lui ont valu d’être classée comme Patrimoine culturel immatériel n°40 en 1971[27]
Les chŏngjae se diversifièrent sous le règne du roi Sejong et parfois plusieurs d’entre elles s’assemblaient pour ne former qu’un seul et grand spectacle que l’on appelait hapsŏl (합설). C’est ainsi que Ch’ŏyong-mu, Hakmu et Yŏnhwadae-mu, étaient exécutées de concert lors d’une grande production intitulée Hak-Yŏnhwadae-Ch’ŏyongmu hapsŏl (학연화대처용무합설), la nuit précédant le dernier jour du 12e mois lunaire, durant le rituel Narye, afin de chasser les esprits du mal. Ch’ŏyong-mu et Ch’ŏyong-ga (chant de Ch’ŏyong) constituaient la pièce centrale à laquelle vinrent s’adjoindre Hak-mu et Yŏnhwadae-mu. Le hapsŏl s’ouvrait et s’achevait sur Ch’ŏyong-mu, qui encadrait les deux autres danses. Cette production très élaborée requérait 70 interprètes : musiciens, danseurs, chœur et porteurs d’accessoires. L’ensemble s’achevait sur des chants bouddhistes, selon Christine J. Loken [28].
Ahbak-mu (아박무) ou Tongdong (동동), danse des castagnettes en ivoire
A l’origine, cette danse était exécutée avec le Tongdongsa (동동사), une ballade de Koryŏ, d’où le nom initial de Tongdong. C’est au début de l’ère Chosŏn qu’elle a pris le nom de « Ahbak »[29], par référence aux castagnettes utilisées dans la chorégraphie, en rythme avec la musique – castagnettes qui, de façon générale, marquaient le début et la fin des danses de cour. A la fin de l’ère Chosŏn, cette chŏngjae était interprétée par quatre danseuses au rythme d’un chant appelé Ch’irŏn-chŏlgui (치런절기), quatrain comportant sept caractères chinois par vers.
Après une profonde révérence, les danseuses lèvent les castagnettes et entonnent le premier chant de Tongdongsa, accompagnées par un chœur de vingt kisaeng et par un orchestre. Ensuite elles s’agenouillent et rangent les castagnettes à la ceinture. Puis elles se redressent et commencent à danser tout en chantant Tongdong-chŏngwŏlsa (동동정월사)[30] . Ensuite, elles brandissent les castagnettes en avançant et en reculant. Elles les font claquer en se faisant face puis en se tournant le dos, puis vers la droite et vers la gauche, et les font parfois tinter contre leurs genoux ou leurs bras, pour ponctuer les mouvements de danse. Les castagnettes s’harmonisent avec les paroles du chœur qui décrivent les changements du paysage au cours des douze mois de l’année.
Ponglaeui (봉래의), danse du Phoenix
Cette danse fut créée sur l’ordre du roi Sejong à la gloire des pères fondateurs du royaume [31]. Il écrivit d’abord les paroles de La chanson des dragons volants (용비어천가, yongbiŏch’ŏnga) avant de composer la musique et la danse de Ponglaeui, qui devint une production à grande échelle, interprétée à partir de 1445.
Le roi y combina les influences des tangak chŏngjae et des hyangak chŏngjae. La musique d’accompagnement, la présence de chugganja et l’absence de révérences initiales et finales, rapprochent également cette danse des tangak, même si elle est native de Corée. Cette tentative artistique illustre la volonté de créer un genre spécifiquement coréen, avec le degré le plus élevé de formalités et d’esthétique qui sied au thème de la fondation de la nation.
Cependant, la spécificité de Ponglaeui repose moins sur les danses que sur la reprise régulière du Chant des dragons volants, qui célèbre la fondation de la dynastie Chosŏn comme fruit de la volonté céleste et qui prie pour la paix et la prospérité du royaume. C’est en quelque sorte un opéra épique augmenté de séquences dansées. Surtout, Yongbiŏch’ŏnga fut écrit en hangŭl (한글), l’alphabet nouvellement créé à l’initiative du roi. Toutefois, à la fin de l’ère Chosŏn, ce chant fut remplacé par une trentaine de chansons écrites en hangeul et en chinois. Quand les séquences musicales s’étiraient, des chanteurs venaient s’aligner devant les musiciens pour accompagner les danseurs.
4. Les danses (re)créées par le prince Hyomyŏng
Comme on le sait, nombre de danses furent ajoutées au répertoire de cour par le prince Hyomyŏng, qui créa 23 hyangak chŏngjae entre 1828 et 1829 [32], et coréanisa les tangak chŏngjae en privilégiant la chorégraphie aux formalités.
Kŏm-mu (검무), danse du sabre
Si la danse de sabre coréenne la plus ancienne est représentée sur les fresques murales des tombeaux de Koguryŏ qui datent du 4e siècle après J.-C.[33], c’est la danse kŏm-mu ou Hwangchangrang-mu (황창랑무) qui est parvenue jusqu’à nous. Elle tire ses origines de l’histoire d’un jeune noble éponyme de Silla, au 7e siècle, avant l’unification des Trois Royaumes. Hwang Chang-rang (황창랑) était si célèbre pour sa danse du sabre qu’il fut invité à l’exécuter devant le roi du royaume rival de Paekche (백제, 18 av. JC – 660 ap. JC). Durant sa performance, il tenta de tuer le roi mais fut neutralisé et emprisonné. Eu égard à son jeune âge, le roi l’épargna et, de retour à Silla, il fut envoyé sur le champ de bataille pour devenir un guerrier accompli. Mais le Général Kyebaek (계백) de Paekche le captura et le tua [34]. La danse de Hwang Chang-rang fut alors interprétée par le peuple de Silla pour honorer sa bravoure, sous la forme d’une danse masquée exécutée par les gens du commun. Ce n’est que bien plus tard que le prince héritier Hyomyŏng la sélectionna et la transforma pour en faire une chŏngjae sans masques. Cette danse d’origine populaire était très prisée, tant par les nobles que par les classes moyennes.
Les danseurs portent des chapeaux et des uniformes de soldats et font tournoyer les épées pour créer une tension dramatique. Les mouvements sont puissamment synchronisés pour donner l’illusion d’un jeu de guerre. D’abord modérés, ils se font rapides et frénétiques, et cette accélération constitue le point d’orgue de la danse. A la différence des autres danses de cour, kŏm-mu ne comporte pas de chant ni au début ni à la fin, probablement pour mettre en avant les talents de bretteurs des danseurs.
A l’origine masculine et animée, cette danse s’est progressivement transformée en une performance féminine gracieuse. A partir du 20e siècle, elle fut interprétée par des kisaeng, avec des épées plus courtes munies de poignées pivotantes, et les mouvements devinrent plus doux et le rythme d’ensemble plus modéré.
Lorsqu’elle est exécutée par des femmes, les danseuses tiennent un sabre dans chaque main. A l’ouverture de la danse, les danseuses s’agenouillent et attrapent des sabres dont les courtes lames sont reliées à leurs mains par petits fils. Le cliquetis des lames confère grâce et exotisme à la performance. A la différence de son contrepoint d’Asie du Sud, la danse du sabre coréenne ne requiert pas de réelles compétences martiales.
Les danses de sabre traditionnelles coréennes imitent souvent les mouvements des guerriers : brandir et lancer l’épée, la faire tourner en rythme avec des mouvements tranchants, sont autant de gestes qui créent une tension dramatique [35]. Certaines d’entre elles sont des jeux guerriers où les danseurs, d’abord rangés en lignes de formation, les brisent brusquement à l’apogée de la performance. Les danses du sabre coréennes sont différentes des autres formes d’Extrême-Orient : celles de Chine sont exécutées avec de longues épées et des mouvements acrobatiques, et celles du Japon utilisent des éventails comme des épées. En Corée, elles sont plus vivantes, dynamiques et variées, dans les gestes comme dans le rythme.
Sŏnyourak (선유락), danse du bateau
Cette danse s’inspire des fêtes aquatiques très prisées des aristocrates de Silla. Elle évolua ensuite pour devenir une performance du festival P’alganhwoe à l’ère Silla et Koryŏ. Sous le règne du roi Sunjo, le prince Hyomyŏng ressuscita cette danse en l’adaptant aux formalités du répertoire de cour. Elle fut alors interprétée à tous les grands banquets du palais jusque dans les dernières années de la dynastie Chosŏn [36]. C’était une production spectaculaire à très grande échelle.
Une cohorte de kisaeng tire un bateau multicolore en chantant Ŏsbusa (엇부사) et Isŏnga (이선가). Deux d’entre elles, en habits militaires et chapeaux à plumes, armées d’un arc et d’une épée, crient des ordres à l’avant du bateau. Un orchestre militaire, avec des instruments assez rares dans le répertoire de cour (gongs, cymbales, cors…) donne le départ de la danse. Aux trois coups du tambour, le bateau se met à voguer et les danseuses entonnent la chanson des pêcheurs. Deux fillettes, en proue et en poupe du bateau, tiennent le gouvernail et l’ancre. Six kisaeng portent les cordes d’amarrage, et trente-deux jeunes filles entourent le bateau et avancent sous les ordres des commandantes en chef.
C’est la plus baroque de toutes les danses de cour. La musique d’accompagnement de style militaire, les bateaux splendides et chamarrés, la multitude de danseuses et les chants qui décrivent les douze mois de l’année en font une pièce grandiose.
Les danses lyriques inspirées de la nature
Grand poète et monarque littéraire, le prince Hyomyŏng privilégiait des motifs lyriques inspirés de la nature [37].
Ch’unaeng-jŏn (춘앵전), danse du rossignol de printemps
A l’exception des autres chŏngjae, cette danse très exigeante et très lente est exécutée par une seule artiste, sur une natte aux motifs floraux (hwamunsŏk, 화문석) de moins de deux mètres de long. Le prince Hyomyŏng créa cette pièce en 1828 pour le 40e anniversaire de la reine Sunwon (순원), et il l’intitula Ch’unaeng-jŏn, par référence à la tradition chinoise. Les paroles lui furent inspirées par le chant d’un rossignol sur une branche de saule pleureur un après-midi de printemps. Et c’est cette scène poétique que la danseuse interprète métaphoriquement avec des mouvements d’oiseau.
Le prestige de cette danse repose sur un mouvement très rare dans les chŏngjae : faire claquer ses mains dans le dos en souriant. Cette prouesse en constitue le point d’orgue, tant la qualité du sourire, joyeux et lumineux, révèle celle de la danseuse [38]. Vêtue d’une robe jaune (aengsam, 앵삼) et de hansam multicolores, et coiffée d’une couronne florale aux couleurs cardinales, la danseuse dévoile son élégance et sa beauté avec douceur, de face, de côté et de dos.
Kainjŏnmokdan (가인전목단), danse des pivoines
Dans cette hyangak chŏngjae créée en 1828, de belles femmes dansent en cueillant des pivoines dans un vase. Le prince s’est probablement inspiré d’une danse de cour de la Chine des Song au nom similaire [39]. De tous les ornements floraux des chŏngjae, la pivoine était la fleur la plus élégante et la plus majestueuse, en parfait accord avec les décors et les costumes de la cour royale coréenne.
Réparties en deux groupes, les danseuses évoluent autour d’un vase placé au centre de la scène. Selon les archives, leur nombre n’était pas fixé et pouvait varier de 4 à 12 ou 18 personnes. Ornées de couronnes de phœnix dorés et vêtues de costumes colorés, elles dansent en direction des pivoines et retournent à leur position d’origine, puis avancent et reculent, le dos tourné aux fleurs. La subtilité de la composition, l’ondulation des hansam et les mouvements circulaires réhaussent le lyrisme de cette pièce, tandis que la musique d’accompagnement, appelée t’aryŏng-changdan (타령장단), s’accorde parfaitement à l’atmosphère festive.
Pakjŏpmu (박접무), danse des ailes de papillon
Créée en 1828, cette danse lyrique s’articule autour d’un thème similaire à Ch’unaeng-jŏn (춘앵전), Kainjeonmokdan (가인전목단) et Yŏnhwadae-mu (연화대무)[40]. Elle a pour origine un rite de passage appelé « le jeu du Papillon », qui se tenait le 2e mois de l’année lunaire au début du printemps.
Vêtues de robes recouvertes de papillons imprimés, et coiffées de couronnes à plumes, six danseuses avancent et reculent en musique. Elles chantent également un ch’angsa en chinois, en agitant doucement les hansam. Elles forment d’abord trois duos, à l’avant, au centre et à l’arrière. Puis le groupe du milieu se scinde pour figurer des ailes de papillon, composition audacieuse et inhabituelle dans les danses de cour qui privilégient des lignes uniques.
Musanhyang (무산향), danse du parfum de la montagne dansante
La danse du parfum de la montagne qui danse a été créée par le prince Hyomyŏng et le musicien de cour Kim Chang-ha (김장하) pour un banquet de cour appelé chinjak (진작), en 1828. Musanhyang s’inspire d’une histoire ancienne, celle du roi Chin du royaume de Yŏnam. Un jour, tandis que le roi dansait, une fleur tomba sur son chapeau et y demeura.
Cette danse, qui représentait le roi, était surtout interprétée par des hommes, ou par de jeunes garçons (mudong, 무동). Elle ressemble à celle du rossignol à plusieurs titres : elle était interprétée en solo, sur un lit en écailles de tortues appelé taemoban (대모반), comme Ch’unaengjŏn l’est sur une natte. Cette surface brillante, utilisée aux origines, formait une scène surélevée qui rendait la danse plus visible.
L’absence d’accessoires confère aux gestes une qualité artistique supérieure qui tire vers l’abstraction. Les costumes et mouvements sont similaires à ceux de Ch’unaengjeon, de même que le ch’angsa. En revanche, le costume est vert et les gestes sont plus énergiques et virils, avec des mouvements aériens de rotation et de tourbillon, à l’instar du yŏnpungdae (연붕대) de la danse du sabre.
Koguryŏ-mu (고구려무), danse de Koguryŏ
Koguryŏ-mu, (re)créée en 1828, serait originaire de l’ère Koguryŏ, et destinée à commémorer les anciens temps. Le poète Li Po (ou Yi Po) l’immortalisa dans ses vers après l’avoir vue à la cour des Tang. Selon sa description, la danse s’ouvrait et s’achevait sur un ch’angsa et les danseuses exécutaient les mêmes mouvements que ceux de la danse du sabre… sans les sabres.
Les castagnettes donnent le départ de la danse, et six danseurs entrent sur scène, vêtus de robes fluides et plissées avec des hansam. Une fois qu’ils sont en place, la musique s’arrête et le ch’angsa commence.
A l’origine, les interprètes formaient trois duos et dansaient en cercle, face à face et dos à dos. On dit qu’occasionnellement ils chantaient le poème de Li Po. Les mouvements, très dynamiques et puissants, rappellent les figures guerrières murales de l’ancien tumulus de Koguryŏ. Cette danse fut ultérieurement interprétée par des kisaeng habillées en hommes, avec des gestes plus modérés.
5. Les danses de fêtes privées
Le danseur Kim Ch’ŏn-hŭng (김천흥, 1909-2007) et le musicologue Alan C. Heyman (Hae Ŭiman, 해의만, 1931 – 2014) [41] ont consacré une étude à cette forme de danses exécutées lors des fêtes privées de yangban [42]. Hérité de la cour mais influencé par la couleur locale, ce type de danses évolua en fonction des régions et des époques, et se distingua notamment par une hybridation entre le costume de cour et le costume quotidien du peuple.
Chinju kŏm-mu (진주검무), danse du sabre de Chinju
Cette danse se démarque de la performance de cour, par des rythmes musicaux plus variés et par l’accélération du tempo et des mouvements finaux. Toutefois, elle reste très distincte de sa variante folklorique. De toutes les danses coréennes, elle est la plus ancienne et la plus singulière. Elle a pour origine la légende d’un jeune hwarang de Silla qui aurait bravement combattu les armées de Paekche et sacrifié sa vie pour son pays. Pour lui rendre hommage, le peuple de Silla aurait exécuté une danse de sabre avec un masque à son effigie [43].
Jusqu’à l’époque de Koryŏ, cette danse fut très prisée des gens du commun. Puis le masque fut progressivement abandonné et la forme évolua pour intégrer le répertoire de cour sous la dynastie Yi. Elle fut alors exécutée par quatre danseuses qui brandissaient le sabre avec des gestes spectaculaires, en se faisant face. Au début du 19ème siècle, cette danse fut introduite dans la région de Chinju par les kisaeng officielles du district de Chinju. Elles la modifièrent et la transmirent aux générations suivantes. La danse du sabre de Chinju fut exécutée lors de grands banquets et festivités de la région.
Les danseuses portent la tenue ordinaire des femmes coréennes sur laquelle elles enfilent une redingote militaire de l’ancien temps (chonbok, 존복) avec une large ceinture bleue (chondae, 존대). Le chapeau qu’elles portent (chollip, 졸립) provient également de l’ancien uniforme militaire. Des hansam multicolores dissimulent leurs mains. Au début de la danse, les quatre danseuses occupent le centre de la scène et se font face deux par deux. Sur un rythme yŏmbul (염불), le rythme 6/4 qui correspond à une invocation bouddhiste), les bras des danseuses s’élèvent lentement, s’étirent et chacune avance vers l’autre avant de revenir à sa position initiale. Chaque pas requiert trois battements sur ce rythme, schéma similaire à celui de la danse de cour.
Sŭngjŏn-mu (승전무), danse de la victoire
Cette danse est aussi appelée T’ongyong Puk-ch’um (통영북춤), danse du tambour de T’ongyong, d’après le nom d’une ville du sud de la province de Kyŏngsang (경상). Elle ressemble au Mugo de cour par la couleur des costumes, les mouvements des danseurs principaux, et les accessoires utilisés (le tambour circulaire au centre de la scène, ainsi que les baguettes). Toutefois, dans la danse de cour, le won-mu et les danseuses secondaires dansent ensemble, tandis que dans Sŭngjŏn-mu, seules les hyŏp-mu chantent sans danser.
Cette danse s’inspire de la même légende que Mugo : celle de Yi Hon (이혼) qui, exilé à Yŏnghae (영해) au début du 14e siècle, remarqua un énorme radeau en rondins, alors qu’il se promenait au bord de la mer. Il en fit un très grand tambour qui émettait un son étourdissant, incitant les gens à danser, et donna naissance à la création de Mugo.
Plus tardivement, durant l’invasion japonaise de la Corée conduite par Hideyoshi à la fin du 16e siècle, l’amiral Yi Sun-sin (이순신), qui demeurait dans le district de T’ongyong, ordonna aux kisaeng d’exécuter une danse pour relever le moral des troupes. Elles interprétèrent le Mugo de cour qu’elles transformèrent en péan à la gloire de l’amiral Yi. Le ch’angsa devint ainsi une supplication en faveur de la victoire, puis un chant d’acclamation lorsque celle-ci fut acquise et c’est ainsi que la danse prit le nom de Sŭngjŏn-mu (danse de la victoire). Par la suite, elle fut souvent exécutée pour célébrer une victoire militaire, puis, après la mort de l’amiral Yi, elle fut dédiée à sa mémoire, lors des cérémonies de commémoration de sa mort et de sa naissance, au mémorial de ses reliques. La danse fut transmise aux générations suivantes par les kisaeng du district de Chinju (진주), même si elle put s’étendre ultérieurement à la région de T’ongyong.
Un très grand tambour est placé au centre de la scène, avec quatre paires de longues baguettes. Le won-mu est interprété par quatre danseuses portant une redingote aux couleurs cardinales par-dessus le costume féminin ordinaire. Elles ont des hansam aux couleurs de l’arc-en-ciel et sont coiffées d’une petite couronne de couleur vive appelée hwagang (화강, couronne de fleurs). Le hyŏp-mu se compose de quatre danseuses vêtues d’une robe blanche ordinaire.
En conclusion
Sur un ensemble de 53 danses de cour à la fin de l’ère Chosŏn, subsistent aujourd’hui la danse de la grue et du lotus (Hakyŏnhwadaemu), ainsi que Ch’ŏyong-mu mais aussi la danse du sabre (Kŏm-mu)[44]. Certaines d’entre elles ont été protégées par le gouvernement coréen et enregistrées comme Patrimoine culturel immatériel en 1971, pour qu’elles se perpétuent, et leurs interprètes ont reçu le titre de Trésors culturels vivants, ultime distinction décernée aux maîtres des arts et de l’artisanat traditionnels coréens. La danse de Ch’ŏyong-mu a également été inscrite en 2009 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, aux côtés de la musique rituelle de Chongmyo (2008), mais aussi de certains arts folkloriques coréens.
Cette préservation de la mémoire des arts du spectacle coréens tient à l’engagement d’experts passionnés comme Kim Ch’ŏn-hŭng et Sŏng Kyŏng-nin, ainsi qu’Alan C. Heyman et tant d’autres, qui ont suscité ou soutenu les missions de la Société de musique traditionnelle coréenne (한국국악학회) et de l’Institut national coréen de musique et de danses traditionnelles (국립국악원). Sous son nom actuel, le National Gugak Center constitue la scène de référence pour la diffusion des danses traditionnelles coréennes.
Florence Codet, 17 novembre 2019
Bibliographie et webographie
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Wikipedia.org, pour l’illustration liminaire de cet article. « Danse du tambour (Mugo 무고) en l’honneur du roi Kojong (광무) ». Artiste inconnu, 1902 :
https://en.wikipedia.org/wiki/Korean_dance#/media/File:Korea-Gojong_Imin_Jinyeondobyeong-02.jpg
Notes
[1] Kim Malborg (김말복) et Lee Young Jean (trad.), Korean dance, Seoul, Ewha Womans University Press, 2005. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[2] Kim Ch’ŏn-hŭng (김천흥) et Heyman Alan C. (해의만), « Korean traditional dance », dans Korean National Commission for UNESCO, Korean dance, theater, and cinema, Seoul, Si-sa-yong-o-sa Publishers, 1983.
[3] Sŏng Kyŏng-nin (성경인), « Korean Court Dance », dans Korean dance, theater, and cinema, op. cit..
[4] Selon Kim Malborg, la première occurrence de cette danse dans les Chroniques remonterait à la fin de la 27e année du règne du roi Munjong (문종, règne 1046-1083), pendant la célébration de P’algwanhoe au palais royal.
[5] A l’ère Koryŏ, la danse était traditionnellement exécutée par des femmes le jour de Tano (다노), 5e jour du 5 mois du calendrier lunaire. D’après The Korea Foundation, Korean dance, pure emotion and energy, Seoul selection, 2013.
[6] Korean dance, pure emotion and energy, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[7] Kim Malborg, Korean dance, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[8] Korean dance, pure emotion and energy, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[9] Loken Christine J., « Crane dances in Korea », dans Korean dance, theater, and cinema, op. cit.
[10] Kim Malborg, Korean dance, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[11] Han Man-yong (한만용), « Korean dance repertories », dans Korean dance, theater, and cinema, op. cit.
[12] Kim Malborg Korean dance, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source, sauf indication contraire.
[13] Plusieurs hypothèses ont cours au sujet de cette légende. Jeon Kung-wook (전경욱) évoque une similitude entre Ch’ŏyong et un dieu chinois (zhong khui) qui chasse les mauvais esprits et accueille la nouvelle année. Il mentionne aussi une autre version selon laquelle cette légende serait d’origine arabe : par les voies du commerce maritime, des marchands l’auraient répandue au large de la Corée durant la fin de la dynastie Tang. Traditional performing arts of Korea, Seoul, Korea foundation, 2008.
[14] King Eleanor, « Reflections on Korean dance », dans Korean dance, theater, and cinema, op. cit.
[15] Chong Pyŏng-hi (종평히) suggère également un rapprochement entre le mot chinois « cho-yong » et le mot coréen « je-un », désignant une figurine magique qui guérirait des maladies. Il rapporte qu’on introduisait dans les maisons une statuette en paille à l’effigie du malade pour attirer sur elle la maladie, avant de la jeter dans la rue. Cette coutume subsistait encore dans l’île de Cheju (제주) dans les années 1970. Danses masquées et jeux de marionnettes en Corée, Paris, France, Publications orientalistes de France, 1975.
[16] Chong Pyŏng-hi, Danses masquées et jeux de marionnettes en Corée, op. cit.
[17] Kalinowski Marc, « Astrologie calendaire et calcul de position dans la Chine ancienne. Les mutations de l’hémérologie sexagésimale entre le IVe et le IIe siècles avant notre ère », Extrême-Orient, Extrême-Occident, 1996, n°18. Article consultable en ligne : www.persee.fr/doc/oroc_0754-5010_1996_num_18_18_1020
[18] Kim Malborg, Korean dance, op. cit.
[19] D’après Heo, Young-Il (허융일), professeure de danse à la Korean National University of Arts (Korean National Institute of Cultural Properties). Notice de Ch’ŏyong-mu, Asia/Pacific Cultural Centre for UNESCO : http://www.accu.or.jp/ich/en/arts/A_KOR4.html
[20] Musicien et danseur, acteur majeur de la préservation et de la diffusion des arts de cour et des arts populaires aux côtés de Sŏng Kyŏng-nin (성경린), Kim Ch’ŏn-hŭng (1909-2007) a été reconnu comme Trésor national vivant par le gouvernement coréen en 1971, pour sa performance de Ch’ŏyong-mu. Il a été directeur du Gugak National Center, membre du Comité de la conservation culturelle du ministère de l’Éducation, commissaire à la culture du gouvernement métropolitain de Séoul. Il a enseigné notamment à l’Université nationale de Séoul, à l’Université Kyung Hee et à l’Université Ewha. A sa mort, ses héritiers ont fait don de ses documents au Korea Dance Resource Center (KDRC, 국가기록원), et ils ont été classés Archives nationales n°10 en 2013. D’après le site des National Archives of Korea (국가기록물) : http://theme.archives.go.kr/next/nationalArchives/subPage/nationalArchives9.do
[21] Sŏng Kyŏng-nin (성경인), « Korean court dance », dans Korean dance, theater, and cinema, op. cit.
[22] Kim Malborg, Korean dance, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source, sauf indication contraire.
[23] Dans la version de cour, les danseurs portent un costume à plumes avec un masque, tandis que la danse folklorique s’interprète en costume coréen traditionnel avec le kat (갓, chapeau en crins de cheval), le top’o (도포, manteau long traditionnel avec des manches carrées), le paji (바지, pantalon) et le chŏgori (저고리, veste). Alors que la danse de cour est appelée Hangmu ou Hakmu, la version folklorique porte le nom de Hak-ch’um (학춤), à rapprocher de Hallyangmu (한량무), la danse des yangban. Elle est dansée à Tongnae près de Pusan et de Yangsan, région où les grues sont nombreuses. D’après Christine J. Loken, « Crane dances in Korea », dans Korean dance, theater, and cinema, op. cit.
[24] Une paire de grues portant l’herbe d’immortalité et entourées de nuages multicolores, de vagues et de rochers était brodée sur les costumes des officiers supérieurs. Il n’y avait qu’une seule grue sur les costumes des officiers subalternes, d’après Christine J. Loken, « Crane dances in Korea », art. cit.
[25] Kim Malborg, Korean dance, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[26] Ibid. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[27] D’après Heo, Young-Il, professeure de danse à la Korean National University of Arts (Korean National Institute of Cultural Properties). Notice de Hakmu, Asia/Pacific Cultural Centre for UNESCO : https://www.accu.or.jp/ich/en/arts/A_KOR6.html.
[28] Loken Christine J., « Crane dances in Korea », art cit.
[29] Selon Kim Malborg, Ahbak a été enregistré comme Dongdong–chŏngjae jusqu’en 1449.
[30] Chant de janvier du Tongdong, soit 12 chansons décrivant les changements de saisons sur une année, d’après Kim Malborg.
[31] Kim Malborg, Korean dance, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[32] Sŏng Kyŏng-nin (성경인), « Korean court dance », art. cit.
[33] Kim Malborg, Korean dance, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source, sauf indication contraire.
[34] Le professeur Han Man-Yong se réfère à une autre version de cette légende du 7ème siècle, selon laquelle un brave du royaume de Silla nommé Hwang Chang-rang, tua un général ennemi en utilisant la tactique de la danse : cet acte sauva le pays d’une invasion des forces ennemies. « Korean dance repertories », art. cit.
[35] Korean dance, pure emotion and energy, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[36] Malborg Le développement qui suit est extrait de la même source, sauf indication contraire.
[37] Kim Malborg, Korean dance, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source, sauf indication contraire.
[38] King Eleanor, « Reflections on Korean dance », art. cit.
[39] Kim Malborg, Korean dance, op. cit. Le développement qui suit est extrait de la même source.
[40] Ibid.
[41] Musicien et musicologue américain, Alan Charles Heyman prit part à la guerre de Corée, et conçut plus tard une grande passion pour la musique coréenne au point de se faire naturaliser citoyen sud-coréen en 1995, sous le nom de Hae Ŭiman (해의만). Il étudia les arts folkloriques, chamaniques et de cour à la National Music Academy de Séoul. Puis, avec Kim Ch’ŏn-hŭng et d’autres musiciens, il fonda en 1964 le groupe de danses traditionnelles Sam Ch’ŏn Li (삼천리가무단). Aux Etats-Unis, il fit introduire nombre d’artistes coréens sur scène. Son engagement au service du Patrimoine culturel immatériel lui valut d’être nommé « Membre honoraire permanent » de la Royal Asiatic Society Korea Branch (RASKB). Les présidents Kim Dae-jun et Lee Myung-bak le récompensèrent pour son investissement, de même que le National Gugak Center et l’UNESCO. The Korea Times, 17 mars 2014 : « Korean music expert Heyman dies at 83 ». Article consultable en ligne : https://www.koreatimes.co.kr/www/news/issues/2014/03/178_152651.html
[42] Kim Ch’ŏn-hŭng et Heyman Alan C., « Korean traditional dance », art. cit. Les développements qui suivent sont extraits de la même source.
[43] Toutefois, Park Il-woo (박일우) indique une tout autre source : « Pendant les guerres du XVIe siècle, Jinju servait de forteresse et de quartier-général à l’armée. Grâce à l’environnement militaire, la culture de Kyobang fleurissait, puisqu’il offrait des occasions et des lieux où organiser des banquets et des cérémonies. En 1593, à la suite de la deuxième bataille de la forteresse de Jinu, Nongae, une célèbre kisaeng, se suicida avec un amiral japonais en se jetant dans les eaux du Nan. Depuis lors, les gwangi exécutent la danse de l’épée de Jinju en sa mémoire ». Park Il-woo et Schulte-Tenckhoff Isabelle (trad.), « Deux artistes coréennes. Contribution à l’histoire des arts de la scène en Corée », Cahiers d’ethnomusicologie, 18, 2005. Article consultable en ligne : https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/435?lang=en#tocto1n2.
[44] Sŏng Kyŏng-nin, « Korean court dance », art. cit.