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« Quand les baleines se battent, les crevettes ont le dos brisé », le fameux proverbe coréen revient de nouveau. Cette fois-ci, il apparaît dans le contexte d’un drama sud-coréen Mr. Sunshine (미스터 션샤인 Miseuteo Syeonsyain, en français : Monsieur Le Soleil, 2018), réalisé par Lee Eung-bok (이응복) qui présente la situation géopolitique de la Corée au tournant du XIXème au XXème siècle. Joseon, comme la Corée était appelée à l’époque (à noter que ce nom est toujours utilisé par la Corée du Nord aujourd’hui), doit faire face aux pays impérialistes qui veulent la dominer : le Japon, les États-Unis et partiellement la Russie.
Le colonialisme en fleurs
Bien que la majorité des personnages de la série soit fictive, le fond historique reste vrai. À la fin du XIXème et au début du XXème siècle, le colonialisme occidental et japonais fleurit : l’Angleterre, les États-Unis, la France, l’Allemagne et la Russie furent les décideurs politiques les plus puissants parmi tous les pays occidentaux qui participaient aux processus de colonisation ; et le Japon de Meiji (明治時代 Meiji-jidai, 1868-1912), l’époque d’une grande modernisation, lança une politique impériale ayant pour but de soumettre les pays voisins – Joseon en premier.
La Corée commença à être perturbée régulièrement par les étrangers à partir de 1871. Ce fut l’année de Shinmiyangyo (辛未洋擾, 신미양요), ceci dit de « la perturbation occidentale en l’an de Shinmi » quand des troupes américaines étaient venues sur l’île de Ganghwa (강화도). La victoire des États-Unis a ouvert Joseon par la force aux influences extérieures.
En 1897, il fut proclamé l’Empire coréen ou l’Empire de Daehan (大韓帝國, 대한제국 Daehan jeguk ce qui signifie littéralement « le pays impériale de la Grande Corée ») – Joseon fut transformé du royaume en empire. Cependant, cette réforme a initié le début de la fin. En 1905, la Corée devint un protectorat japonais et cinq ans plus tard, elle fut entièrement incorporée par le Japon qui avait déjà des forces militaires modernes, des nouvelles technologies industrielles et économiques ; et principalement, il connaissait déjà l’idée impérialiste occidentale de son côté raciste.
Il existe une hypothèse que le Japon s’est inspiré du modèle prussien pour se moderniser. Probablement, la constitution japonaise moderne a été « une réécriture » de celle prussienne, adaptée au contexte culturel local. Au regard de cette liaison, il est possible que les Japonais ont repris aussi le modèle colonial allemand, appliqué sur les terrains polonais, pour coloniser la Corée. Leur stratégie ressembla beaucoup à la politique d’Otto von Bismarck (1815-1898), chancellier et ministre-président allemand : pour soumettre « un peuple inférieur », d’abord il faut tuer son esprit et sa culture.Cette hypothèse est importante en fonction des études postcoloniales qui introduisent une nouvelle vision anthropologique du colonialisme. D’après les anciennes théories, le colonialisme désignait un processus de soumettre un peuple et sa terre native hors de la civilisation du colonisant. Un exemple classique est l’Angleterre qui a colonisé l’Inde. Selon l’orientialisme d’Edward W. Saïd (1935-2003), auteur de l’ouvrage célébre L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident (en anglais : Orientalism, 1978), fondamental pour les recherches sur l’Asie et d’autres cultures non-occidentales, l’Orient a été créé par l’Occident pour justifier la colonisation hors la civilisation occidentale chrétienne. Malgré la contribution de la théorie saïdienne au monde académique, elle a réduit le problème à une relation dichotomique : l’Occident chrétien – l’Orient non-chrétien. Les cas de l’Irlande, de la Pologne et surtout de la Corée montrent que le colonialisme peut être introduit également au sein de la même civilisation où les différences entre les cultures ne sont pas autant remarquables.
Qui est Mr. Sunshine ?
Choi Yu-jin (최유진) est un enfant des esclaves, né dans les années 1860. Il travaille avec ses parents pour une famille des yangban (양반), ceci dit l’aristocratie coréenne qui est une classe sociale dominante depuis cinq cents ans. Historiquement, on dit que Joseon était un pays des yangban car ils eurent un vrai pouvoir politique et économique. Petit Yu-jin perd ses parents et s’enfuit aux États-Unis après le fameux Shinmiyangyo, où il grandit et devient un soldat. Il revient à Joseon en tant qu’Eugène Choi dans les années 1890 et commence à travailler dans la légation américaine. Mais son retour a pour but aussi de venger la mort de ses parents.
Pendant son séjour sur la Péninsule, Eugène rencontre Go Ae-sin (고애신), demoiselle yangban qui est une membre secrète de l’Armée vertueuse (의병 Uibyeong) à la fois, armées irrégulières historiques qui combattaient pour garder l’indépendance du pays. Leurs chemins se croisent souvent et malgré l’origine et les visions différentes, ils tombent amoureux l’un de l’autre.
Ae-sin est fascinée par le côté occidental d’Eugène. Elle commence même à apprendre l’anglais dans une nouvelle école moderne et elle essaie de se reinsegner sur d’autres éléments de cette culture étrangère. C’est comment elle tombe sur un mot anglais sunshine qu’elle applique après sur Eugène qui devient de cette façon « Mr. Sunshine », Monsieur Le Soleil. Dans le même temps, elle reste fière d’être Coréenne ce qu’elle manifeste par porter son hanbok (한복) et par utiliser son palanquin, accompagnée par sa bonne et d’autres serviteurs.
Un jour, Eugène raconte son histoire à Ae-sin et lui pose une question pour qui sera Joseon qu’elle veut sauver : est-ce qu’il y aura toujours des esclaves et des bouchers maltraités (d’ailleurs, l’un des personnages, Gu Dong-mae [구동매], est un enfant des bouchers qui s’est enfui au Japon pour revenir en Corée en tant que rōnin [浪人], c’est-à-dire un samouraï sans maître) ? Ae-sin est perturbée par sa confession et sa question mais elle ne quitte pas le chemin qu’elle a choisi.
Finalement, Eugène qui était indifférent envers Joseon et son futur, décide à soutenir Ae-sin. Malgré sa rancœur pour le passé et le pays, il devient un allié de l’Armée vertueuse et il se lance dans une bataille contre les Japonais.L’un des motifs intriguants qui revient pendant toute la série, est le motif de boîte à musique. Eugène a acheté une aux États-Unis : elle diffuse une mélodie anglaise très connue, Greensleeves, qui a une connotation courtoise ainsi que sexuelle. La symbolique de la boîte à musique implique aussi l’élégance et la nostalgie, où celle deuxième est signifiante dans ce contexte historique.
Mr. Sunshine – les personnages historiques
À rappeler, la majorité des personnages du drama est fictive. Les personnages historiques sont suivants :
- Le Roi Gojong (고종) / L’Empereur Gwangmu (광무제, 1852-1919) – le dernier roi de la dynastie de Joseon et le premier empereur de la Corée. Pendant son règne les réformes Gabo (갑오) furent introduites ce qui a permis d’abolir l’esclavage et la position privilégiée des yangban. Les Gabo sont mentionnées dans la série.
- Itō Hirobumi (伊藤 博文, 1841-1909) – un homme politique japonais, résident-général de Corée en 1905, l’un des responsables pour l’annexion de Joseon. Il fut assassiné par un résistant coréen An Jung-geun (안 중근) en 1909.
- Ahn Changho (안창호, 1878-1939) – un militant coréen et possiblement l’auteur des paroles d’Aegukga (애국가), la chanson qui est devenue après l’hymne national de la Corée du Sud.
- Heungseon Daewongun (흥선대원군, 1820-1899) – prince Daewongun (대원군) et le père du roi Gojong.
Dans le drama, les cinq traîtres d’Eulsa, les hommes politiques coréens qui ont signé le traité d’Eulsa de 1905 (을사늑약 Eulsa neugyag), ont été présenté également : Ministre de l’Éducation Yi Wan-Yong (이완용, 1858-1926), Ministre de l’Armée Yi Geun-taek (이근택, 1865-1919), Ministre de l’Intérieur Yi Ji-yong (이지용, 1870-1928), Ministre des Affaires étrangères Park Je-sun (박제순, 1858-1916) et Ministre de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie Gwon Jung-hyeon (권중현, 1854-1934).
Construire une image patriotique
Le patriotisme est un leitmotiv de toute la série. Même si le drama a été critiqué pour certaines inexactitudes historiques, il met en valeur l’identité nationale et culturelle des Coréens, et leur courage. Mis à part les cinq traîtres d’Eulsa et des individus qui cherchent un profit financier facile et rapide chez les Japonais, la nation se réunit pour montrer leur force spirituelle et leur han (한) – l’essence de la culture coréenne ainsi que la nostalgie qui exprime l’amour pour la patrie. Il est intéressant que dans l’un des épisodes, Go Ae-sin parle d’une « romance de la Corée ». Vu le contexte, c’est une erreur dans la traduction. Il s’agit probablement du romantisme en tant que mouvement culturel, transposé de l’Occident en Corée. « Le paradigme romantique avec son potentiel d’émancipation, introduit une nouvelle vision de l’identité nationale aux Coréens ce qui exige une redéfinition profonde des anciens modèles, surtout de la hiérarchie sociale. De toute façon, la fin du drama donne cette impression aux spectateurs.
Et vous, qu’avez vous pensé de Mr. Sunshine ?
Les illustrations :
- Image liminaire : Le titre du drama
- ill. 1. La carte de l’Empire coréen ou de l’Empire de Daehan (大韓帝國, 대한제국), 1907
- ill. 2. Une photo d’archives qui présente des soldats japonais à cheval à Séoul, 1904
- ill. 3. L’affiche de la série Mr. Sunshine (미스터 션샤인Miseuteo Syeonsyain, 2018). De haut en bas : Lee Byung-hun (이병헌) dans le rôle de Choi Yu-jin / Eugène Choi (최유진) et Kim Tae-ri (김태리) dans le rôle de Go Ae-sin (고애신).
- ill. 4. Lee Byung-hun (이병헌) dans le rôle de Choi Yu-jin / Eugene Choi (최유진) adulte, capitane des troupes américaines
- ill. 5. Kim Kang-hoon (김강훈) dans le rôle de Choi Yu-jin / Eugène Choi (최유진) enfant, esclave en Corée. Dans cette scène, il est battu par ordre de son propriétaire et il voit aussi la mort de son père, tué par le même ordre. Devant lui, il y a un norigae (노리개) de la propriétaire, pendentif qui marquera toute sa vie avec les mémoires de l’esclavage.
- ill. 6. Jeon Jin-seo (전진서) dans le rôle de Choi Yu-jin / Eugène Choi (최유진) adolescent, protégé d’un missionnaire protestant aux États-Unis. Néanmoins, il doit faire face au racisme des garçons blancs pour lesquels tous les Asiatiques sont « des Chinois dégueulasses ». Dans cette scène, il coupe ses cheuveux ce qui est un geste symbolique – il coupe sa liaison avec Joseon car d’après la tradition confucéenne, les cheuveux étaient un don des ancêtres et il fallait les garder pour toute la vie.
- ill. 7. Le Roi Gojong (고종) / L’Empereur Gwangmu (광무제, 1852-1919) habillé en robe royale, 1907. Au fond, derrière le trône : ilwolobongdo (일월오봉도), le paravent royal qui exprime symboliquement le pouvoir du souverain.
- ill. 8. Lee Seung-joon (이승준) dans le rôle du Roi Gojong (고종) / de l’Empereur Gwangmu (광무제)
- ill. 9. Itō Hirobumi (伊藤 博文, 1841-1909), une photo de 1909
- ill. 10. Kim In-woo (김인우) dans le rôle d’Itō Hirobumi
- ill. 11. L’une des dernières scènes du drama : les membres de l’Armée vertueuse tiennent le drapeau de l’Empire coréen.
étudiant en design graphique et design industriel, passionné par la Corée sur toutes ses formes. et nous vous faisons découvrir ce pays merveilleux et sa culture chaque semaine.
J’ai regardé cette série avec beaucoup d’attention étant très attiré par le côté historique. Le jeu des acteurs a été très bien. Les vues en extérieur donnent envie d’en voir plus. Bravo
Pingback: Hymn of Death - Planète Corée
Bonjour Maria Anna
J ai beaucoup apprécié ce film avec de bons jeux d acteurs et une belle mise en scène
J ai découvert ce site il y a peu : des articles de grandes qualités !! C’est un plaisir de découvrir la Corée
Bonjour Offee,
je vous remercie pour votre commentaire et pour votre appréciation. Je suis contente que vous ayez découvert une nouvelle chose grâce à mon article. Le plaisir est réciproque !
j’aimerai pouvoir lire un livre sur cette épisode de l’histoire de la Corée, mais il est difficile de pouvoir réellement trouver une bonne traduction et à la fois un livre qui soit historiquement réaliste en tout point … avez-vous des livres à conseillés? Qu’ils soient en anglais ou en français?
Bonjour à vous,
merci pour votre message. Nous vous proposons les textes suivants concernant la fin de l’époque Joseon et le début de l’occupation japonaise :
1. « Histoire de la Corée. Des origines à nos jours », Pascal Dayez-Burgeon, 2017, Éditions Tallandier, Paris. Les chapitres : 13. « Quand les baleines chahutent », 14. « Oublier Joseon », 15. « Royaume ermite ! Ô Pays du Matin Calme », 16. « Chôsen »
2. « History of Korea », Hwang Kyung-moon, 2010, Palgrave Macmillian, London. Chapters: 14. « 1894, A Fateful Year », 15. « The Great Korean Empire », 16. « The Japanese Takeover 1904-1918 »
3. « « Korea: Klucz Dalekiego Wschodu » (1905) and Wacław Sieroszewski’s View of Korea », Lee Yeong-mi, 2017. Published in: « International Journal of Korean Humanities and Social Sciences », vol. 3/2017. C’est un article qui présente l’image de la Corée dans un livre d’un voyageur-prisonnier polonais, Wacław Sieroszewski (1858-1945), qui est allé en Corée pendant son emprisonnement en Sibérie au début du XXème siècle. Si vous souhaitez de lire cet article, nous pourrons vous l’envoyer par e-mail.
Nous espérons que les sources ci-dessus seront utiles pour vous. Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas à nous contacter. Bonne lecture !