Un calligraphe, peintre, poète, mécène d’art, collectionneur d’art et… un membre de la famille royale. Il s’agit du Prince Anpyeong, connu aussi sous les noms ou pseudonymes Yong, Bihaedang, Eunsong et Lee Hwi. Fils du roi Sejong et l’un des… personnages principaux de la série sud-coréenne Grand Prince.
Biographie
La vie du Prince Anpyeong (안평대군 이용 Anpyeong Daegun Yi Yong ; en hanja : 安平大君李瑢, 1418-1453) est peu étudiée en comparaison avec son activité culturelle dans les recherches non-coréennes. Cependant, les analyses esthétiques de ses œuvres contiennent certaines informations biographiques. Il fut le troisième fils du fameux roi Sejong (세종대왕 Sejong Daewang ; en hanja, 世宗大王, 1397-1450) qui est à l’origine du hangeul. Son nom écrit en hanja signifient « la paix » et « la tranquilité » : 安 – an et 平 – pyeong (les caractères ont gardé ce sens jusqu’à aujourd’hui en chinois, mais dans un orde inversé, donc 平安, en tant qu’adjectif ou locution adverbiale signifiant « en paix » ou « en sécurité »). Ensuite, le mot daegun (대군 ; en hanja : 大君) est un titre royal qui signifie littéralement « grand homme » dans le sens intellectuel, moral et spirituel. Il fonctionne comme un équivalent du « prince » en Europe. Après, on trouve encore un nom plus personnalisé, mais rarement utilisé, Yi Yong, qui indique son appartenance à la dynastie royale Yi (이 ; en hanja : 李 ; d’autres formes transcrites possibles sont Li et Lee).
Il est dit que le Prince Anpyeong « aima bien étudier et il fut bien éduqué dans la poésie et la prose. Sa calligraphie fut magnifique, la meilleure du monde entier. Il fut bien éduqué dans la peinture et la musique également. Il eut un esprit ouvert. Il adora l’antiquité et il étudia des belles vues. » (Chen-Courtin, 1979, p. 16 – 23 ; d’après : Lee, 2009, p. 30). De plus, il fut un vrai mécène ainsi qu’un collectionneur d’art.
En 1453, le futur roi Sejo (조선 세조 ; 朝鮮世祖, 1417-1468), un autre fils du roi Sejong et un frère du prince Anpyeong, organisa un coup d’État. Il devint un nouveau roi et comme la plupart des souverains des pays confucéens, après la saisie du trône, il commença à éliminer des concurrents potentiels. En conséquence, Anpyeong fut emprisonné, ensuite condamné à l’exil et finalement, condamné à la mort. (comparer à : Portrait of Sin Sukju, Kristen Chiem)
Un homme de « la Renaissance »
Le règne de Sejong est considéré comme une époque de la « Renaissance coréenne »*. C’était une vraie période de fleurissement culturel, comparable avec l’humanisme italien qui se développa simultanément en Europe. Le modèle intelectuel du XVème et du début XVIème siècle en Corée, n’était qu’une continuation du modèle chinois des Tang (唐朝, 618-907)** et ensuite, de la dynastie Song (宋朝, 960-1279). Cela apporta un concept d’un lettré confucéen qui devait savoir peindre, écrire des poèmes et créer des calligraphies ainsi que contempler la beauté d’un texte, d’un objet ou d’un paysage.
Le prince Anpyeong, comme chaque descendant masculin royal ou aristocratique, fut élevé conformément au curriculum confucéen. Il développa son talent surtout au sein de la calligraphie ce qui lui apporta un titre du myeongpil (명필 ; 名筆), ceci dit un titre du maître calligraphe. Il est dit que son style venait de celui de Zhào Mèngfǔ (趙孟頫, 1254-1322), lettré, peintre et calligraphe chinois, actif sous le règne de la dynastie Yuan (元朝, 1271-1368) en Chine.
Outre ses noms attribués en fonction de l’étiquette royale, le roi Sejong lui donna un pseudonyme officiel en plus, Bihaedang (비해당 ; 匪懈堂), ce qui peut être traduit comme un « maître de non-négligence » (Jungmann, 2011, p. 123). Le dernier fait référence au style élégant et élaboré des œuvres du prince.
Le prince Anpyeong en tant que mécène et collectionneur d’art, fut intéressé par la calligraphie ainsi que par la peinture de paysage. Selon le Hwagi (« 화기 » ; « 畵記 », 1445) de Sin Sukju (신숙주 ; 申叔舟, 1417-1475), la Chronique de la peinture, sa collection fut créée entre 1435 et 1445. Elle compta 220 rouleaux suspendus (족자 ; 簇子 jokja) parmi lesquels dominèrent des œuvres chinoises, avec dix-sept peintures de fameux Guō Xī (郭熙, 1020-1090). On y trouve également 30 œuvres d’An Gyeon (안견 ; 安堅, actif 1440-1470), peintre de court coréen, ami et protégé du prince. (Lee, 2009, p. 63)
En 1447, le prince Anpyeong eut un rêve qu’il raconta ensuite à An Gyeon (il est intéressant que ce rêve ressemble au conte d’un ancien lettré chinois qui s’appelait Táo Yuānmíng [陶淵明, 365-427]). Cela devint une inspiration pour l’une des plus grandes œuvres de la peinture coréenne classique : Un voyage de rêve au Pays des Fleurs de Pêcher (몽유도원도 ; 夢遊桃源圖 ; en anglais : Dream Journey to the Peach Blossom Land) d’An Gyeon, créée la même année. Le paysage n’a aucun staffage et la présence humaine est à peine signalisée par un petit bateau ancré, demi-ombré et deux pavillions parmi des pêchers. C’est un paysage intime d’une vue panoramique. (Lee, 2009, p. 32) De plus :
une œuvre significativement poétique et un mérite artistique, Un voyage de rêve au Pays des Fleurs de Pêcher, elle est aussi signifiante pour le contexte de sa création, particulièrement pour un dévoilement du processus artistique, d’une relation dynamique entre le peintre de court et son patron royal, et de sa réception ainsi que de l’approbation par l’élite intelectuelle de l’époque. (…) Une preuve de son importance et son impact est le fait que la peinture est suivie par vingt-un colophons, écrits par vingt lettrés-calligraphes et un moine, tous contemporains à l’artiste et son patron. La pratique d’ajouter des commentaires à une peinture existe depuis longtemps dans l’Asie de l’Est, surtout en Chine. Un voyage de rêve au Pays des Fleurs de Pêcher reste enracinée incontestablement dans cette ancienne, noble tradition. (Lee, 2009, p. 32)
Un voyage de rêve au Pays des Fleurs de Pêcher évoque aussi le vide, concept philosophique et esthétique chinois, d’après lequel :
« le Trait tracé, aux yeux du peintre chinois, est réellement le trait d’union entre l’homme et le surnaturel. Car le Trait, par son unité interne et sa capacité de variation, est Un et Multiple. Il incarne le processus par lequel l’homme dessinant rejoint les gestes de la Création. (L’acte de tracer le Trait correspond à celui même qui tire l’Un du Chaos, qui sépare le Ciel et la Terre.) Le Trait est à la fois le Souffle, le Ying-Yang, le Ciel-Terre, les Dix-mille êtres, tout en prenant en charge le rythme et les pulsions secrètes de l’homme. » (Cheng, 1991, p. 73)***
Cette tension entre « Un et Multiple » ou « l’être humain et l’univers » est un élément fondamental de la philosophie chinoise, et celle-ci, a remarquablement influencé la philosophie et l’esthétique coréenne.
Drama
Une série sud-coréenne historique Grand Prince (대군 – 사랑을 그리다 Daegun : Sarangeul Geurida) de 2018 est inspirée par la biographie du prince Anpyeong. Elle raconte une histoire de deux princes (Anpyeong et son frère Jinyang) qui tombent amoureux d’une demoiselle, Seong Jahyeon (성자현), tous les deux. Au fond de cette romance, une lutte politique se déroule…
L’image du prince Anpyeong présentée dans ce drama est suffisamment crédible. On découvre ses talents dans la poésie et la peinture ainsi que son âme sensible. Cependant, la fin de la série en tant que « happy end classique », ne correspond pas avec les faits historiques : prince Eunsong (le nom Anpyeong n’apparaît pas dans la série à l’exception des sous-titres explicatifs) restaure une monarchie légitime et mène une vie paisible avec sa famille à l’extérieur du palais royal…
Addenda
*L’usage des termes comme le Moyen Âge, la Renaissance ou le Romantisme hors du contexte occidental est problèmatique car ce sont les noms propres des époques ainsi que des styles artistiques, qui marquent uniquement l’histoire de la culture européenne. Bien qu’ils soient utilisés plutôt comme des métaphores (par exemple, « la Renaissance coréenne » dans le titre du livre Art of the Korean Renaissance, 1400-1600 révisé par Lee Soyoung, ou « le Moyen Âge japonais » dans une méthode de périodisation alternative de l’histoire japonaise), ils ne correspondent pas avec la vraie chronologie de la Corée et son développement culturel.
**Le règne de la dynastie Tang fut interropmu par un interrègne de Wǔ Zétiān (武則天, 624-705) entre 690 et 705. Néanmoins, elle fut un membre des Tang par mariage.
***D’habitude, l’usage de lettres majuscules pour les noms de certaines catégories philosophiques dépend de l’auteur d’une thèse. François Cheng écrit conséquemment les noms de tous les concepts philosophiques en majuscule.
Bibliographie
- Chiem Kristen, Portrait of Sin Sukju
- Cheng François (1991). Vide et plein. Le langage pictural chinois. Paris : Éditions du Seuil.
- Jungmann Burglind (2011). Sin Sukju’s Record on the Painting Collection of Prince Anpyeong and Early Joseon Antiquarianism. In : (2011) Archives on Asian Art, no. 61. Durham : Duke University Press, p. 107-126.
- Lee Soyoung (2009). Art of the Korean Renaissance, 1400-1600. New York : The Metropolitan Museum of Art.
Illustrations
- Image liminaire : Une calligraphie du Prince Anpyeong, XVème siècle
- ill. 1. Probablement un portrait officiel du Prince Anpyeong, 1453
- ill. 2. Une partie du Sosang palgyeong sicheop (소상팔경시첩 ; 匪懈堂 瀟湘八景詩帖), recueil de poèmes de Bihaedang ou le Prince Anpyeong, 1442
- ill. 3. Un voyage de rêve au Pays des Fleurs de Pêcher (몽유도원도 ; 夢遊桃源圖 ; en anglais : Dream Journey to the Peach Blossom Land), An Gyeon, 1447, encre sur soie. En : Jungmann Burglind (2011). Sin Sukju’s Record on the Painting Collection of Prince Anpyeong and Early Joseon Antiquarianism. In : (2011) Archives on Asian Art, no. 61. Durham : Duke University Press, p. 107-126 ; p. 108.
- ill. 4. L’une des affiches officielles de la série Grand Prince (대군 – 사랑을 그리다 Daegun : Sarangeul Geurida, 2018). De droite : le prince Eunsong (은성대군) vel Lee Hwi (이휘) ; de gauche : le prince Jinyang (진양대군), le futur roi Sejo.
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.
un magnifique article très bien documenté et avec une iconagraphie somptueuse.
Merci pour votre commentaire !