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Les sujets tabous changent selon les pays et les cultures. Malgré la mondialisation croissante, chacun porte son bagage culturel qui forme sa vision du monde, de la vie et des relations interpersonnelles. Il forme dès lors les tabous qui sont souvent enracinés dans les traditions locales.
Tabou
Le « tabou » vient du mot tabu ou tapu qui signifie « sacré » dans les langues polynésiennes. Dans les sociétés dites traditionnelles, le tabou dénote le « caractère d’un objet, d’une personne ou d’un comportement, qui les désigne comme interdits ou dangereux aux membres de la communauté. » (Larousse, 2021) On pourrait dire qu’à l’époque, le tabou se positionna au milieu de la tension entre le sacré et le profane : le tabou dénota l’espace considérée comme sacrée et inaccessible au peuple ainsi que l’espace de tout ce qui boulversait, terrifiait et dégoûtait.
Aujourd’hui, on parle des sujets tabous qui sont une forme du tabou séculier. Même s’ils viennent des anciens systèmes religieux ou traditions populaires, leur tabouisation n’a plus caractère rituel ou spirituel dans la plupart des cas.
Supersitions et stéréotypes
Les supersitions et partiellement stéréotypes font partie du tabou. Quant aux premières, ce sont les restes de la pensée magique dans la psychique humaine moderne. L’esprit en profite pour justifier « les règles » du destin et expliquer ce qui arrive dans la vie quotidienne, que ce soit la chance ou le malheur. Quant aux deuxièmes, ils sont des phénomènes plutôt psychologiques. Néanmoins, ils sont souvent enracinés dans la culture locale.
D’après Walter Lippmann (1889-1974), écrivain et journaliste américain qui fut l’un des premiers intellectuels pour définir le stéréotype, les stéréotypes sont des images simplifiées de la réalité que le cerveau crée lors des processus congnitifs. Par exemple, quand on pense Samsung, on pense la Corée du Sud et à l’inverse. En soi, c’est un processus naturel car il met en ordre les informations que le cerveau collectionne sans cesse. Le problème apparaît dans le moment où les stéréotypes deviennent la seule source de la connaissance et donnent naissance à des préjugés variés.
À noter que Lippman a repris le terme du langage de l’imprimerie où le stéréotype fut étymologiquement un type en relief et il vint de la stéréotypie, « branche de la clicherie qui permet la multiplication de formes de textes et de clichés typographiques par moulage à partir d’une matrice. » (Larousse, 2021)
Tabou en Corée
Le terme geumgi (금기 ; hanja : 禁忌) signifie tout simplement « tabou » en coréen. Il désigne toutes les normes, obligations et interdictions, liées au système de croyances et à la hiérarchie sociale. Il comporte également les choses qui font peur, le défigurement et l’écœurement. Le geumgi a pour source le chamanisme coréen, bouddhisme, taoïsme, confucianisme et d’autres traditions locales qui varient selon les époques et les régions. Aujourd’hui, ce sont aussi des sectes d’origine chrétienne.
Bujeong, impureté rituelle
Traditionnellement, bujeong (부정; 不淨) dénote l’impureté rituelle. Sa version en hanja signifie littéralement « pas propre / pas pur ». À souligner que la question de la pureté et impureté rituelle est très importante dans tous les pays confucéens, surtout dans les anciens Corée et Japon où le fait d’avoir enfreint les règles religieuses ou magiques provoqua une rupture dans l’harmonie céleste, et en conséquence sur la terre.
L’impureté peut être physique ou spirituelle. La première fait référence au chuak (추악 ; 醜惡), c’est-à-dire à tout ce qui concerne l’écœurement et la hideur. Ce sont le sang (surtout la menstruation), le cadavre ou en général la viande pourrie ainsi que les cicatrices laissées par une maladie ou un accident. La deuxième peut être causée par un facteur physique, biologique mais ses conséquences restent invisibles ou elles provoquent un désordre, voire une maladie mentale. Les situations dans lesquelles le contact avec le chuak est inévitable (l’accouchement, la mort, la menstruation, certaines maladies, même certaines dates considérées comme malchanceuses), demandent un rite de purification spécial.
Rites de purification
Bujeong peut être effacée par des rites de purification. Ils ont pour but d’enlever l’impureté de la personne « affectée » et de ramener l’harmonie céleste. Il en exsite deux types principaux : bujeong garigi (부정 가리기 ; 不淨 가리기), rites « avant la souillure » et bujeong gasigi (부정 가시기 ; 不淨 가시기) rites « après la souillure ».
Bujeong garigi
Bujeong garigi (부정 가리기 ; 不淨 가리기) est un rite pratiqué avant une souillure rituelle potentielle. Sa puissance enlève a priori l’impureté de quelqu’un.
Bujeong gasigi
Bujeong gasigi (부정 가시기 ; 不淨 가시기) est un rite pratiqué après une souillure. Sa puissance enlève a posteriori l’impureté de quelqu’un. L’un de ses sous-types est jabgwi puri (잡귀푸리 ; 雜鬼푸리), rite de purification et de guérison pour chasser un gwisin (귀신 ; 鬼神), probablement une âme d’un défunt. De fait, c’est un genre d’exorcisme qui est pratiqué dans la maison ou au temple. Un autre sous-type, c’est jeonghwa (정화 ; 淨化 ; littéralement « rendre propre / pur »).
Dans le cas de deux rites, le geumjul (금줄 ; 禁绳) et le hwangto (황토 ; 黃土), corde sacrée (à comparer avec le shimenawa [標縄 / 注連縄] au Japon) et lœss rouge, protègent contre l’impureté rituelle mais aussi il désigne l’espace sacré qui ne peut pas être souillé.
Tabou de la mort
La mort était toujours un sujet tabou dans les pays confucéens, plus qu’en Occident. Selon la tradition, les cérémonies funéraires, les symboles de deuil ainsi que les expressions linguistiques prévues pour parler de la mort, font partie du tabou. Néanmoins, la culture doit répondre à la question du mort et les gens doivent reconnaître la présence de la mort. De plus, les funérailles sont l’un des rites de passages basiques, la dernière étape sur le chemin existentiel et spirituel d’un individu. De la naissance à travers de rites d’initiation sociale et de procréation, l’individu accomplit sa vie au sens propre et figuré. Ce moment important est quand même célébré d’une manière spéciale avec un riche symbolique.
Aujourd’hui, on trouve des superstitions qui viennent de la peur contre mort. Par exemple, l’absence du quatrième étage dans les ascenseurs car la prononciation coréenne du caractère 四 qui signifie « quatre » (d’après le système de nombres sino-coréens) est pareille que celle du caractère 死 qui signifie « la mort ». Il ne faut pas non plus planter les baguettes dans le bol de riz parce que cela annonce la mort de quelqu’un.
Cependant, la mort est de plus en plus détabouisée en Corée du Sud. Les phénomènes tels que les fausses funérailles ou certains événements culturels, par exemple Biennale Internationale de la Céramique à Gyeonggi sous le titre « Narration, ode à la vie » où les artistes ont exposé les urnes qu’ils souhaiteraient avoir pour leur propre cérémonies funéraires, permettent d’apprivoiser la mort dans la conscience publique.
Sujets tabous
Dans le discours contemporain sur les sujets considérés comme tabous en Corée du Sud, on parle également de la homosexualité, l’identité des personnes non-binaires, le plafond de verre, les maladies mentales et d’autres troubles psychiatriques, les préjugés contre les immigrés ou encore les inégalités socio-économiques. Chacun de ces sujets-là est plus ou moins présent dans les réseaux sociaux sud-coréens et dans les dramas. À rappler l’activité de Hong Kali (홍칼리) qui est une chamane queer ou des séries telles que Life Is Beautiful (인생은 아름다워 Insaengeun areumdawo, 2010 : relations homosexuelles), It’s Okay to Not Be Okay (사이코지만 괜찮아 Saikojiman gwaenchana, 2020 : maladies mentales, troubles psychiatriques, handicap mental) ou encore fameux récemment Squid Game (오징어 게임 Ojingeo geim, 2021) et Hellbound (지옥 Jiok, 2021).
Bibliographie
- (2021) Larousse – Dictionnaire de la langue française
Illustrations
- Image liminaire : Garden for Cecilia, Kim Myung-rye (김명례 Gim Myeong-rye), 2017, urne funéraire. Exposée à la IXème Biennale Internationale de la Céramique à Gyeonggi, « Narration, ode à la vie ».
- ill. 1. Crédulité, superstition et fanatisme, William Hogarth, 1762. Cette gravure présente d’une façon métaphorique et satirique la croyance aux superstitions de l’époque en Europe.
- ill. 2. Un exemple du geumjul, corde sacrée
- ill. 3. Garden for Cecilia, Kim Myung-rye (김명례 Gim Myeong-rye), 2017, urne funéraire. Exposée à la IXème Biennale Internationale de la Céramique à Gyeonggi, « Narration, ode à la vie ».
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.