Sommaire
La K-pop a révolutionné le marché de la musique, local et international les deux. Elle fait partie importante du soft power sud-coréen. Et avant la K-pop ? Quel type de musique et de culture divertirent les générations précédentes des Coréens ? Il s’agit du trot !
Histoire
Le trot (트로트 teuroteu), appelé aussi ppongjjak (뽕짝), est un genre musical coréen, né à l’époque de l’occupation japonaise (1910-1945). Il mélange des éléments coréens, japonais et américains. Son nom vient du foxtrot, « danse et musique de danse à 4/4, d’origine nord-américaine, caractérisée par une suite de pas rapides et rythmés ». (Larousse, 2021) Pour autant :
Le trot n’a pas toujours été considéré comme un genre musical sur la scène musicale populaire en Corée. Le nom vient de l’abréviation du foxtrot mais cette musique fut différente de ce qu’on connaît comme le genre de foxtrot. Il était très en vogue dans les années 1930 aux États-Unis. (…)
Ce genre musical fut introduit en Corée à cette époque-là et les Coréens le connurent. Néanmoins, le trot coréen n’a aucun lien avec le genre américain à l’exception du nom.
Chang, 2016, p. 61
Changga, chansons à l’occidentale
Malgré les atrocités de l’occupation japonaise, c’était une période de modernisation intensive sur la péninsule. Comme la modernisation fut inséparable de l’occidentalisation, des éléments des cultures occidentales telles que française, anglaise, américaine ou encore allemande, arrivèrent en Corée à travers le Japon, la musique y comprise.
Le terme changga (창가 ; 唱歌) dénote le curriculum musical dans les écoles coréennes sous l’occupation japonaise, mais aussi toutes les chansons à l’occidentale de l’époque, accompagnées par les paroles en coréen.
Au début, le changga fut étroitement lié aux chants protestants ou d’autres missions chrétiennes. Au fil du temps, les chansons devinrent des porteurs artistiques de la pensée patriotique ce qui donna naissance au sous-genre d’aeguk changga (애국창가 ; 愛國唱歌), immédiatement censuré pas les Japonais. (Son, 2006, p. 53)
Dans les années 1920, un nouveau sous-genre apparut, yuhaeng changga (유행창가 ; hanja : 流行唱歌), ce qui peut être traduit comme « chansons en vogue ». Ce terme s’applique à toutes les chansons, connues et populaires à cette époque-là, par exemple l’enka (演歌), genre japonais dérivé des traditions musicales de la haute époque de Meiji (1868-1912). La pièce la plus connue de ce sous-genre-là, est Hymn of Death ou In Praise of Death (사의 찬미 Saui changmi), popularisée par Yun Sim-deok (윤심덕 ; 尹心悳, 1897-1926), la première chanteuse soprano professionnelle de la Corée. À rappeler le drama sud-coréen de 2018 sous le même titre, Hymn of Death, inspiré par cette chanson.

Maturation
Selon la théorie de saturation et maturation de Peter Manuel, les diffusions transculturelles suivent le processus de saturation et maturation détermine l’adaptation d’une musique étrangère (d’habitude occidentale) aux traditions musicales locales, avec certaines modifications stylistiques, qui est reconnue comme native à la fin. Dans cette optique-là, le trot a été développé à la base des traductions des chansons occidentales et japonaises, mais performées en utilisant des techniques vocales typiquement coréennes. (Son, 2006, p. 56)
Le trot eut besoin de quelques décennies pour saturer, maturer et obtenir une forme menant vers la naturalisation coréenne.
Naturaliser le trot
Dans les années 1950, après la guerre de Corée, le trot a été « naturalisé », reconnu en tant que genre musical « purement coréen ». Cependant, son origine posa toujours des problèmes. Par exemple, dans les années 1960, le gouvernement sud-coréen a banni la chanson La Demoiselle aux camélias (동백아가씨 Tongbaek agassi ; en anglais : Camellia Girl) de Lee Mi-ja (이미자, née 1941), surnomée la reine du trot, à cause des éléments japonais présents dans cette pièce. Il s’agit, entre autres, de yonanuki (ヨナ抜き音階 ; ヨナぬきおんかい yonanuki onkai), système tonal pentatonique japonais. La chanson a été réhabilitée uniquement en 1987, après les manifestations démocratiques de juin (6월 민주항쟁 Yugwol minju hangjaeng). (Son, 2006, p. 57-58) Le discours des années 1980, questionnant la « coréanité » du trot, est connu aussi sous le nom du débat de ppongjjak.
Il faudrait dire que la coréanisation du trot comporte également le han (한 ; 恨), ce genre de sentiment, émotion ou état d’esprit qu’on appelle parfois « le regret coréen ». Les paroles ainsi que la ligne mélodique de nombreuses trot chansons correspondent avec la philosophie et l’esthétique du han, semblablement au cas du pansori (판소리).

À la veille de la K-pop
Le trot peut être considéré comme « l’ancêtre de la K-pop » actuelle parce qu’il est la première forme de musique populaire coréenne moderne dans l’histoire de la Corée. (KBS World, 2020) En tant que genre musical accessible à tous, fusion des éléments locaux et étrangers (surtout occidentaux), il diverta et exprima les sentiments et goûts musicaux de plusieurs générations des Coréens. La chanson Cet homme de la rue Sinsa (신사동 그 사람 Sinsadong keu saram ; en anglais : That Man of Sinsa Street) de Ju Hyeon-mi (주현미, née 1961), diffusée en 1988, a marqué un changement dans l’histoire du trot et a ouvert la porte pour de nouveaux genres et styles.
Le trot a perdu sa popularité dans les années 1990 en faveur de la K-pop qui a commencé à pénétrer graduellement le marché de la musique sud-coréen. Enfin, la K-pop est devenue une partie importante du hallyu (한류) au début du XXIème siècle.
Le néotrot ?
Depuis 2018, la Corée du Sud témoigne un nouveau phénomène culturel qui s’appelle le newtro (뉴트로 nyuteuro – « nouveau retro »). C’est une mode qui reprend les éléments de la culture des époques précédentes, surtout au sein des styles vestimentaires, arts visuels, musique et théâtre. Le trot ou plutôt le néotrot y fait partie. De plus :
Le « trot » est souvent considéré comme un genre de musique destinée aux mamies et papis. Pourtant, il commence à rajeunir grâce à l’apparition de nouvelles stars dans la vingtaine et la trentaine. (…) C’est l’émission Miss Trot diffusée sur TV Chosun qui contribue à ce rajeunissement, attirant les jeunes spectateurs devant la télé. Avec une part d’audience moyenne de 14,4 %, ce télé-crochet est devenu le programme le plus populaire des chaînes du câble.
KBS World, 2019
Miss Trot (내일은 미스트롯 Naeileun Miseu Teurot ; littéralement : Demain, Mademoiselle Trot) est un télé-crochet musical, diffusé en Corée du Sud en deux saisons (2019 et 2020). Le nom ainsi que le contenu sont dans une certaine mesure « une résurrection » du trot, mais dans un autre contexte socio-économique et artistique. Il faudra attendre au moins quelques années pour voir si le (néo)trot revient sur le marché de la musique et dans quelles circonstances.

Bibliographie
- (2019) Le trot, un genre de musique traditionnelle coréenne, prend un coup de jeune. KBS (Korean Broadcasting System) World, 19.05.2019
- (2020) Trot (1) : l’ancêtre de la k-pop n’a pas pris une ride, KBS (Korean Broadcasting System) World, 27.06.2020
- (2021) Larousse – Dictionnaire de la langue française
- Chang Yujeong (2016). A study on the traditionalism of ‘‘trot” – Focused on Yi Nanyǒng’s ‘‘Tears of Mokp’o”. In: Journal of Marine and Island Cultures, 5, p. 60-67.
- Son Min-jung (2006). Regulating and Negotiating in T’ûrot’û, a Korean Popular Song Style. In: Asian Music, volume 37, number 1, p. 51-74.
Illustrations
- Image liminaire : Lee Mi-ja lors de son concert de charité en 2019, Pohang, Corée du Sud
- ill. 1. Livret de partition avec les chansons sin yuhaeng changga (신유행창가 ; 新流行唱歌 – « nouvelles chansons populaires / en vogue »), arrangées par Lee Sang-jun (이상준 ; 李尙俊), 1929
- ill. 2. Lee Mi-ja lors d’une performance solo, les années 1970
- ill. 3. L’affiche officielle de l’émission Miss Trot (내일은 미스트롯 Naeileun Miseu Teurot), saison 1
Articles similaires
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.
Pingback: Les 7 piliers du soft power sud-coréen - Planète Corée
Pingback: Pourquoi la Kpop est difficile à faire apprécier ? - Univers Kpop
Pingback: La kpop : de quoi ça parle ? - Univers Kpop
Pingback: Le fil rouge du destin - Planète Corée