L’art sacré de la narration ou la pratique de copier des textes reconnus comme sacrés (Sagyeong encoréen.) existe dans l’histoire des différentes cultures. En Europe à l’époque du Moyen Âge, les moines
chrétiens réécrivirent la Bible. Les musulmans pratiquèrent et pratiquent toujours l’art du Khatt Islami (en arabe : خط إسلامي ), la calligraphie arabe utilisée pour copier le Coran. Dans le judaïsme, depuis des siècles, le Sofer Sta »m (en hébreu : סופר סת »ם) est le scribe professionnel qui copie la Torah et écrit des textes légaux selon la loi religieuse. En Corée, les moines bouddhistes réécrivirent les sutras. Cela montre que l’acte même de reproduire des textes sacrés est important et qu’il ne peut pas être confié à n’importe quelle personne. Il exige une formation précise et surtout une spiritualité profonde.
Histoire
Le Sagyeong (사경 ; en hanja : 寫經; les caractères chinois traditionnels signifient
respectivement : 寫 x iě – écrire, 經 j īng – l’écriture sacrée et les textes classiques),
c’est l’art coréen de copier les sutras bouddhistes. « Du point de vue artistique, cela implique la littérature, l’iconographie et le design à la base de la calligraphie ; du point de vue spirituel, c’est un acte pieux de la pratique religieuse pour méditer et purifier son propre esprit en silence et par dévotion. » (Korea Art Forum, 2014)
Le bouddhisme parvint officiellement en Corée au IVème siècle même s’il existe une
hypothèse selon laquelle il y avait été apporté par la princesse Heo Hwang-ok déjà au Ier siècle.
Quoi qu’il en soit, c’est seulement à partir du IVème siècle que la littérature et l’iconographie bouddhistes apparurent sur la Péninsule Coréenne. Cet « art sacré de la narration » (Asian Art Museum, 2012) se développa dans la période Goryeo (918-1392) et se trouva au pic de floraison au XIIIème siècle : « les volumes entiers des écritures bouddhistes, le Tripitaka, furent minutieusement copiés, sculptés sur les blocs et imprimés ; ce fut un acte de dévotion et une prière au Bouddha pour protéger le pays contre les attaques régulières aux frontières du
nord. » (McKillop, 1998, p. 159)
Du fait de l’intensité croissante de la pratique religieuse parmi les nobles, les artistes commencèrent à fabriquer des miniatures avec l’image de Bouddha enseignant, accompagné par des personnages divins et ses disciples. Cette scène s’appelle en coréen byeonsang (변상 ; en hanja : 變相 où les caractères chinois signifient respectivement : 1. déguisé, 2. une couverture) et elle constitua une introduction visuelle aux recueils de sutras suivants : Sūtra du lotus , Sūtra du diamant et Avataṃsaka sūtra (Sutra de la guirlande de fleurs). (McKillop, 1998, p.159)
À l’époque Joseon (1392-1910) à cause de la marginalisation, voire de la « démonisation » du bouddhisme en faveur du confucianisme, l’art du sagyeong commença à décroître mais heureusement, il ne disparut pas complètement. Sous l’occupation japonaise (1910-1945), toutes les formes d’arts traditionnels locaux furent condamnées du fait de la politique de dénationalisation menée contre les Coréens.
Aujourd’hui en Corée du Sud, cet art est apprécié de nouveau. Oegil Kim Kyeong-ho (김경호, né 1962), maître de sagyeong très respecté et président de l’Association des recherches sur les sutras coréens transcrits (Korean Transcribed Sutra Research Association), maintient la tradition : « Kim Gyeong-ho a commencé à copier les sutras en espérant les transmettre à la génération suivante. De plus, il voulait explorer des façons créatives pour succéder à la tradition reconnue comme un patrimoine important. L’un des ses efforts, c’est la transcription des textes bouddhistes en caractères chinois traditionnels en alphabet coréen, et aussi la révision des illustrations qui accompagnent les textes. » (Kang, 2017)
Philosophie
Des cultures différentes ont créé leurs propres modèles de vie contemplative. À titre d’exemple, dans le monde chrétien latin, la vita contemplativa fut en relation avec la vita activa, ce qui permit de rassembler deux extrêmes de l’existence terrestre et de les harmoniser. La contemplation esthétique et existentielle et la méditation permirent d’équilibrer le côté actif, pratique et
impulsif.
Psychologiquement, tout ce qui est écrit semble être « plus réel » par rapport à la communication orale. L’une des grandes révolutions dans l’histoire de la civilisation, c’est l’invention de l’écriture complexe. La possibilité de pouvoir enregistrer des mots sous la forme d’idéogrammes, de hiéroglyphes ou de lettres ouvre une nouvelle porte de la vie sociale. Ceci dit, la langue écrite renforce la communauté parce qu’elle crée une relation linguistique très puissante parmi les membres qui savent lire et écrire. Benedict Anderson (1936-2015), un historien américain, décrit ce phénomène comme « l’imaginaire national » en donnant un exemple du genre littéraire romanesque.
Réécrire des textes sacrés, c’est un acte individuel et collectif dans le même temps. Le scribe doit réfléchir sur chaque mot à copier et chaque trace ou point à faire. Il agit un peu comme un musicien : il ressent le rythme et il fait des pauses ; il écoute le silence ; il respire tranquillement et son coeur s’ouvre à la richesse de ce qu’il reproduit. C’est pourquoi le scribe doit aussi reconnaître et croire en ces valeurs transmises par le texte.
Bibliographie et webographie
● Asian Art Museum San Francisco (2012). Illuminated Manuscripts: The
Sacred Art of Narration lesson , 21.12.2019
● Kang Shin-jae (2017). Guargian of Heritage: The Infinite Zen of Extremely
Fine Lines. In: (Winter 2017) Koreana, vol. 31, no. 4 21.12.2019
● Korea Art Forum (2014). Oegil Kim Kyeong-ho : Art of 사경 (sagyeong; 寫經) , 21.12.2019
● Mc Killop Beth (1998). A Korean Buddhist Illuminated Manuscript . In: (Spring
1998) British Library Journal , 24, I, p. 158-167.
Illustrations
● ill. 1. La pratique judaïque de copier les textes sacrés ou préparer des documents
légaux d’après la loi religieuse 21.12.2019
● ill. 2. Sūtra du lotus , Goryeo (918–1392), vers 1340, or et argent, indigo
papier, Metropolitan Museum of Art, New York , 21.12.2019
● ill. 3. Le maître Oegil Kim Kyeong-ho (김경호 né 1962) en train de travailler 21.12.2019
● ill. 4. Le statue du Bouddha, temple Gakwonsa, Corée du Sud
étudiant en design graphique et design industriel, passionné par la Corée sur toutes ses formes. et nous vous faisons découvrir ce pays merveilleux et sa culture chaque semaine.