Sommaire
Dans la variété des styles et types iconographiques de la peinture coréenne traditionnelle, on trouve un genre particulier, le chaekgado (책가도) ou le chaekgeori (책거리), appelé aussi le munbangdo (문방도). Ceci dit, la peinture de livres qui peut être considéré comme un sous-type de la nature morte* d’après la terminologie occidentale.
La peinture et l’ethos confucéen
Chaque style et genre de la peinture coréenne traditionnelle introduit une image de la réalité et ses aspects variés à travers des modèles esthétiques. Il existe un terme qui désigne ce phénomène, le hoehwagwon (회화권 ; en hanja : 繪畵圈), qui est traduit comme « une peinture-univers ». (Lee, 2005, p. 11) Ceci dit, le genre artistique ainsi que l’œuvre d’art individuelle fonctionnent comme un micro-univers où on retrouve une réalité différente de celle empirique. Ensuite, un autre terme qui s’applique dans ce cas, mais un peu plus vaste, est le munhwagwon (문화권 ; 文化圈), « univers culturel » qui n’est qu’une autre variante d’un micro-univers esthétique.
Le hoehwagwon et le munhwagwon font partie de l’esthétique et en conséquence, de l’ethos confucéen. Il faut souligner que d’une manière habituelle, la peinture de l’Extrême-Orient est définie comme pilmuk (필묵 ; 筆墨), ceci dit « pinceau et encre », deux éléments techniques, fondamentaux pour les arts visuels dans ce contexte-là, surtout pour la peinture de paysage. À rappeler qu’« à la base des toutes les théories sur la peinture chinoise se trouve la notion de Pinceau-Encre. » (Cheng, 1991, p. 74)
En outre, cela fait référence aux quatre trésors du lettré, les munbangsau 문방사우 ; 文房四友), qui sont : le papier (종이 jongi ; 紙), le pinceau (붓 but ; 筆), l’encre (먹 meok ; 墨) et la pierre à encre (벼루 byeoru ; 硯). (comparer à : Lee, 2005, p. 11-12) Ces quatre objets furent indispensables dans la salle d’étude du lettré confucéen, qui d’habitude fut un homme respectueux, venant de la classe des yangban (양반 ; 兩班) ou au moins des jungin (중인 ; 中人), où le deuxième désigne une classe moyenne dans l’ancienne société coréenne.
Peindre des livres
Chaekgado (책가도; 冊架圖) ou chaekgeori (책거리 ; en hanja : 冊距離), appelé aussi munbangdo (문방도; 文房圖), est un type de peinture classique qui présente des livres, accompagnés par d’autres objets qui dénotent l’activité intellectuelle. Les caractères chinois 冊架圖 signifient ensemble « image de l’étagère (à) livres » et les caractères 文房圖 – « image de la salle d’étude ». Il paraît que les termes chaekgado et munbangdo sont plus précis que le chaekgeori. Cependant, il existe aussi une autre explication pour préciser les termes ci-dessus.
Dans le hoehwagwon du chaekgado, on distingue trois sous-types : étagère à livres, isolé et amassé. Cela change l’application des termes en fonction du contenu de l’œuvre. Dans ce cas, on peut dire qu’il est plus correct d’utiliser les termes chaekgeori et chaekgado pour le sous-type d’étagère à livres, et le munbangdo comme un nom commun pour désigner ce genre artistique. (comparer à : Hyun, 2016)
Le premier sous-type présente des étagères à livres où des livres sont exposés ainsi que d’autres objets qui font partie de cet univers intelectuel confucéen : des pièces en céramique (chinoise et coréenne), des plantes soit-disant « exotiques » et d’autres objets trouvés comme des plumes d’oiseau ou des minéraux. Le deuxième présente les objets sur le fond vide ou plat. Contrairement aux images de l’étagère à livres, « chaque panneaux du sous-type isolé a une composition discrète. » (Hyun, 2016) Finalement, le troisième est un ensemble de panneaux encadrés où les objets sont plutôt amassés que dispersés. (Hyun, 2016)
Des chaekgado apparaissent parfois dans les dramas historiques. Par exemple, dans quelques épisodes de la série Grand Prince (« 대군 – 사랑을 그리다 » Daegun : Sarangeul Geurida, 2018), on voit un chaekgado dans la chambre du prince Eunsong (은성대군).
Une nouvelle mode pour les antiquités
Les premiers exemples du munbangdo apparurent à l’époque Joseon, circa les années 1780. Un échange diplomatique et par la suite culturel, entre la Corée et la Chine apporta une nouvelle mode pour collectionner des antiquités et d’autres objets qui permirent une contemplation esthétique et philosophique. (Hyun, 2016) Parmi eux, on retrouve aussi des importations européennes, par exemple des horloges ou des miroirs.
Le munbangdo et tout ce qu’il présente, correspond avec l’idée du cabinet de curiosités occidental. À partir de la Renaissance, les fameux cabinets, qu’on pourrait nommer « des musées domestiques » ou « personnels » (en italien : studiolo ; en allemand : Kunstkammern ou Wunderkammern), furent soit des meubles, soit une salle entière où le propriétaire exposa sa collection des objets considérés comme fascinants, inhabituels, étranges et rares. Cette corrélation intelectuelle entre la culture coréenne et européenne montre certaine dimension universelle de l’esprit humain.
Il existe aussi des munbangdo inhabituels avec une composition entièrement fermée par l’encadrement des panneaux et en plus, limitée par un rideau peint. De la perspective occidentale, on a l’impression de voir une mise un scène au théâtre ou… d’épier un espace privé.
ill. 6. Un munbangdo (문방도) qui représente un sous-type d’étagère à livres (donc un chaekgado [책가도] ou chaekgeori [책거리]) mais avec un rideau levé qui dévoile le contenu des étagères, Jang Hanjong (장한종 ; 張漢宗), fin du XVIIIème siècle, huit panneaux ill. 7. Un munbangdo (문방도) qui représente un sous-type amassé mais où on ne voit qu’une petite partie des objets parce que le rideau couvre la plupart des panneaux, artiste inconnu, début du XIXème siècle, huit panneaux
Addenda
*La nature morte est un terme propre à l’histoire de l’art occidental, et plus précisement, de la peinture européenne. Dans l’esthétique coréenne traditionnelle, il n’exista pas la même systématisation qu’en Occident. C’est pourquoi le chaekgado, le chaekgeori ou le munbangdo ne peuvent pas être considérés comme des équivalents littérals de la nature morte occidentale.
Bibliographie
- Cheng François (1991). Vide et plein. Le langage pictural chinois. Paris : Éditions du Seuil.
- Hyun Eleanor Soo-ah (2016). Korean « Munbangdo » Paintings. New York: Metropolitan Art Museum.
- Lee Dongju (2005). The Beauty of Old Korean Paintings. A History and Appreciation. London: Saffron Books. Translated by Robert Carrubba and Kim Kyong-sook.
Illustrations
- Image liminaire : Un chaekgado (책가도) ou chaekgeori (책거리), Yi Eung-rok (이응록 ; 李膺祿), XIXème siècle, huit panneaux
- ill. 1. Les quatre trésors du lettré confucéen
- ill. 2. Un munbangdo (문방도) qui représente un sous-type d’étagère à livres (donc un chaekgado [책가도] ou chaekgeori [책거리]), Yi Eungrok (이응록 ; 李應祿), entre 1860-1874, huit panneaux
- ill. 3. Un munbangdo (문방도) qui représente un sous-type isolé, artiste inconnu, ca. les années 1850, dix panneaux
- ill. 4. Un munbangdo (문방도) qui représente un sous-type amassé, artiste inconnu, début du XXème siècle, dix panneaux
- ill. 5. Le Cabinet de curiosités, Domenico Remps, 1690
- ill. 6. Un munbangdo (문방도) qui représente un sous-type d’étagère à livres (donc un chaekgado [책가도] ou chaekgeori [책거리]) mais avec un rideau levé qui dévoile le contenu des étagères, Jang Hanjong (장한종 ; 張漢宗), fin du XVIIIème siècle, huit panneaux
- ill. 7. Un munbangdo (문방도) qui représente un sous-type amassé mais où on ne voit qu’une petite partie des objets parce que le rideau couvre la plupart des panneaux, artiste inconnu, début du XIXème siècle, huit panneaux
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.
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Bonjour Maria Anna Dudek! Merci pour votre réponse, je me trouve hélas loin de Séoul, (je devais m’y trouver en avril passé, j’avais réservé un voyage mais because Covid tout est tombé à l’eau..de Han? 🙂 J’espère pouvoir aller à Paris (de Bruxelles) au Musée Guimet voir ce munbangdo….En février 20, j’ai vu une superbe expo au Guimet avec entre autres une artiste coréenne qui fait des vêtements modernes avec des robes traditionnelles (superbes) et une artiste (si je me souviens bien KIM SOO) qui travaille avec la lumière et qui expose également en ce moment à Bruxelles à la Fondation Boghossian (Expo Light house) Amicalement Eva Houdova PS Je suis en train de lire votre site et je vais m’abonner pour 5 euros par mois..Ce n’est pas grand-chose mais je trouve que votre projet est intéressant et vos articles de bonne qualité. On ne parle pas assez de l’Asie alors qu’il y a tellement de sujets intéressants. Personnellement je suis touchée par la Corée ce petit pays avec la tragédie de la séparation, des occupations et la guerre de Corée..
Bonsoir Eva Houdova !
Merci beaucoup pour votre message avec toutes ces informations intéressantes. Oui, nous sommes tous dans cette situation difficile… Moi aussi, j’avais planifié un voyage en Corée et finalement, j’ai dû changé mon plan à cause de la pandémie (à l’eau de Han, que c’est poétique ! Et on peut dire que nous ressentons tous le han [한] dans certain sens, surtout maintenant…). Mais courage ! Au nom de l’Équipe de Planète-Corée, je vous remercie infiniment pour votre soutien spirituel et matériel. Nous apprécions chaque mot gentil et chaque petite donation, et nous sommes heureux de vous avoir en tant que lectrice et personne passionnée par la Corée comme nous.
La Corée était longtemps un sujet négligé au sein des lettres et sciences humaines. Avant les années 2000, la plupart des spécialistes occidentaux restaient concentrés sur la Chine et le Japon, lorsque la Corée, comme « une crevette », a vraiment eu son dos brisé par les baleines voisines. Aujourd’hui, il y a plus de recherches profondes sur le Pays du Matin Calme ainsi que des centres culturels ou d’autres institutions, dédiées à la Corée à l’etranger (à noter que la contribution des célébrites de la K-pop est indéniable dans ce cas). Ce pays avec une belle histoire, mais aussi tragique en fonction de l’époque, a encore beaucoup de choses à dire et partager avec le monde entier.
Je vous souhaite une bonne visite au Musée Guimet bientôt et d’autres aventures coréennes à Bruxelles !
Bien à vous,
Maria Anna Dudek
Bonjour, je lis vos articles régulièrement, c’est un article très intéressant, à propos de munbangdo, merci beaucoup. Où est-ce qu’on peut voir un munbangdo en vrai? Au Centre culturel de Corée?
Amitiés Eva Houdova
Bonjour à vous,
au nom de l’Équipe de Planète-Corée, je vous remercie pour votre commentaire et de lire nos articles régulièrement ! Vu la situation pandémique, certains musées réorganisent leurs collections et changent leurs expositions, donc il est difficile de vérifier quels objets sont accessibles aux visiteurs en ce moment. Normalement, le Musée national des arts asiatiques Guimet à Paris expose un paravent-munbangdo à six panneaux du XVIIIème siècle (https://www.guimet.fr/collections/coree/paravent-a-six-panneaux/). D’après ma connaissance, le Centre Culturel Coréen à Paris ne possède pas de munbangdo ou au moins il ne les expose pas. À l’étranger, vous pouvez trouver des munbangdo, évidemment, au Musee national de Corée à Séoul (https://www.museum.go.kr/site/eng/relic/search/view?relicId=4261) ainsi qu’au Metropolitan Museum of Art à New York aux États-Unis (https://www.metmuseum.org/art/collection/search/73134).
Amicalement,
Maria Anna Dudek