Sommaire
- Coup d’état de Park Chung-hee : entre autoritarisme et censure
- Contrôle indirect mais renforcé
- Consolidation du contrôle et la préparation du Yusin
- Industrialisation des médias
- Restructuration médiatique sous Chun Doo-hwan
- La Basic Press Act et l’institutionnalisation de la censure
- Démocratisation et retour progressif à la liberté de la presse
- Sources
L’instabilité et la fragmentation de la Deuxième République, incapables de contenir les tensions sociales et de canaliser les excès médiatiques, ont fragilisé la liberté de la presse en Corée et ont préparé le terrain à un retour brutal de l’autoritarisme. C’est dans ce climat de crise que le général Park Chung-hee s’impose par un coup d’État militaire en mai 1961, marquant l’ouverture d’une ère de censure systématique et de contrôle renforcé des médias.
Coup d’état de Park Chung-hee : entre autoritarisme et censure
En 1961, le général Park Chung-hee (박정희) prend le pouvoir par un coup d’État. Il instaure ainsi une dictature militaire autoritaire marquant le début d’une longue période de censure et de répression de la liberté de la presse en Corée du Sud. Sous l’autorité du Conseil Suprême pour la Reconstruction Nationale (국가재건최고회의, SCNR1), une série de mesures législatives, notamment de décrets d’urgence, est adoptée pour museler les médias. Parmi celles-ci, le décret numéro 1 introduit la censure préalable sur toute une gamme de supports (BD, magazines, éditoriaux, journaux…etc.), tandis que le décret numéro 11 instaure un système de purge des journalistes ayant opéré sous le régime précédent. Entre le 16 mai 1961 et le 22 juin 1962, environ 960 pseudo-journalistes ont été arrêtés ou traduits en justice, parmi lesquels 141 cas étaient liés à des publications jugées contraires aux décrets en vigueur ou à la loi anti-communiste2. À Séoul uniquement, 64 quotidiens ont été supprimés, laissant subsister seulement 15 publications, tandis que toute nouvelle demande d’hebdomadaires ou de mensuels était systématiquement rejetée. Une véritable propagande s’installe : les diffuseurs radiophoniques et agences de communication sont mobilisés pour véhiculer la politique officielle du régime. Les oppositions sont réduites au silence dans un contexte de surveillance accrue.

Contrôle indirect mais renforcé
Après la levée de la loi martiale en 1962, la presse reprend une certaine autonomie. Certains journaux, notamment Kyunghyang Shinmun, se mettent à critiquer les décisions de Park, en particulier sa diplomatie en faveur de la normalisation des relations avec le Japon3. Ce choix alimente à la fois de fortes contestations étudiantes et une couverture critique de la presse. Pour y répondre, Park Chung-hee choisit de renforcer davantage le contrôle, le faisant cependant d’une manière plus indirecte, moins explicite. En juin 1964, un décret de loi instaurant le Comité de l’Éthique des Médias (언론윤리위원회)4 est promulgué. Ce dernier prétend promouvoir l’autorégulation de la presse, mais en restreint en réalité substantiellement l’autonomie, soumettant les médias à une surveillance rigoureuse et suscitant plusieurs dénonciations de la part de la presse et du public. En réaction à leur résistance, le gouvernement fait le choix de supprimer les abonnements institutionnels aux grands quotidiens tels que Chosun, Dong-a, ou encore Maeil, ainsi que de leur retirer tout avantage fiscal ou prêt à taux préférentiel. Aussi, le KCIA (중앙정보부, Agence Centrale du Renseignement de Corée)5, initialement chargé des violations de la loi anticommuniste, devient l’instrument central du régime pour contrôler toute forme d’expression critique. Ses agents sont mobilisés et placés au sein des bureaux de rédaction principaux, arrêtent et enquêtent sur tout journaliste à l’origine de critique du gouvernement. Ils analysent et surveillent les contenus publiés et leur positionnement, leur placement dans le journal, ainsi que plusieurs autres critères.
La fin des années 1960 est marquée par plusieurs évènements dans la continuité de cette dynamique, caractérisée par un contrôle constant, plus ou moins distinct :
-En 1966, le Kyunghyang Shinmun est forcé à la vente : son propriétaire est arrêté pour violation de la loi anticommuniste, et le quotidien transitionne, passant sous la direction de KIA Industry, proche du gouvernement, transformant ainsi immédiatement le journal en média pro-gouvernement.
-En 1967, Chosun Ilbo est coopté par le gouvernement après l’obtention d’importants prêts étrangers.
-En 1968, plusieurs journalistes de Dong-a Ilbo sont arrêtés pour violation de la loi anticommuniste.
Consolidation du contrôle et la préparation du Yusin
Ces événements témoignent d’un phénomène de subordination quasi totale des médias à l’autorité gouvernementale sur la scène nationale à cette période, étouffant la liberté de la presse en Corée du sud. Le gouvernement contrôle entièrement la presse, ce contrôle se traduisant par un ensemble d’indicateurs significatifs : une critique systématique de la campagne du parti d’opposition dans les publications officielles, une réduction significative du nombre d’articles exprimant des opinions critiques envers le gouvernement, ainsi qu’une couverture médiatique largement favorable à ce dernier. L’opposition est réduite au silence.
Ce renforcement de la censure prépare en réalité la mise en place de la constitution Yusin (유신헌법)6 par Park Chung-hee en 1972, moment à partir duquel le régime devient totalitaire. Park concentre davantage le pouvoir, tout comme il renforce son contrôle sur l’information nationale. En effet, en 1972, il réduit le nombre de journaux régionaux et ce denier passe de 22 à 14 seulement, soit un journal sur deux par province. Cette réduction du nombre de supports, au-delà de la simple entrave à l’accès à la presse, permet une supervision plus importante de la circulation de l’information par Park Chung-hee. Cette réforme est suivie en 1974 d’une interdiction de tout acte de publication relative à l’État, incitant par conséquent la démission de nombreux journalistes.
Cet enchaînement systématique de répression, de cooptation et d’instrumentalisation des médias a fondamentalement transformé la presse sud-coréenne. Il a mis en lumière une transition vers ce que beaucoup qualifient de “Dark age of Korean press” (l’âge sombre de la presse coréenne), une ère de soumissions des médias jusqu’au début de la démocratisation en 1987.
Industrialisation des médias
Sous le régime de Park Chung-hee (박정희), l’État impose l’édification d’infrastructures médiatiques essentielles (installations d’impression pour la production, installations pour la transmission et réception, agence de communication). Aussi, il met en place une séparation stricte entre journalistes et gestionnaires, limitant ainsi la liberté de la presse en Corée. Cette organisation conduit alors à l’éviction systématique des publications peu dotées en ressources économiques, tandis que les journaux jugés favorables au pouvoir bénéficient d’aides financières substantielles de la part du gouvernement. Un cercle vicieux se met alors en place : les journaux nécessitent des ressources financières pour exister, celles-ci étant fournies par l’État – la tendance de ces journaux doit alors être pro-régime. Ainsi, seuls les médias pro-gouvernementaux braqués sur la survie économique perdurent (exemple : Joongang Ilbo 중앙일보, fondé en 1965 par le groupe Samsung) par le biais d’un discours favorable au pouvoir. Les journalistes sont soumis à l’État. Les Chaebols (재벌) finissent par dominer le marché : Joongang, Chosun (조선일보) et Dong-a Ilbo (동아일보) sont à la tête du paysage médiatique à cette période, un fait attesté par leur position conservatrice et leur solidité financière.
Restructuration médiatique sous Chun Doo-hwan
Suite à l’assassinat de Park, Chun Doo-hwan (전두환) prend le pouvoir par un coup d’État et devient chef des services secrets sud-coréens en avril 1980 (année marquée notamment par le massacre de Gwangju). Dans la foulée, il lance un vaste plan de consolidation médiatique : en 1980, 28 quotidiens passent à 14, 29 chaînes de diffusion tombent à 3 et 172 périodiques ferment. Ces mesures entrainent la suppression de milliers d’emplois dans le secteur et mettent ainsi en lumière une problématique plus importante que la simple entrave à l’information. Le Defense Security Command (국군보안사령부, DSC, 1977) met en place le Plan de fusion et d’abolition de la presse, justifié comme une mesure de “redressement éthique”. Toutefois, il s’agit à nouveau d’une manière de neutraliser les organes médiatiques critiques envers le régime. Cette réglementation a notamment conduit à la fusion des agences de presse, la centralisation de KBS et la suppression des relais médiatiques indépendants.
La Basic Press Act et l’institutionnalisation de la censure
La répression atteint un point culminant par l’instauration de la Basic Press Act (언론기본법) en décembre 1980, marquant un durcissement sans précédent de la liberté de la presse en Corée du sud. Cette mesure instaure un cadre légal régissant la censure et la supervision des contenus médiatiques, qu’il s’agisse de presse écrite ou de contenus audiovisuels. Les autorités encadrent strictement les droits des journalistes, tandis que les organes de surveillance (KCIA, Defense Support Command, ministère de la culture et de l’information) agencent la censure à travers des directives quotidiennes appelées Podo Chich’im (보도지침). Celles-ci sont mises en place par Chun Doo-hwan afin d’encadrer les publications et leur contenu, en définissant par exemple les sujets à couvrir et à éviter, ou encore la taille des titres de couverture. Le respect de ces directives est assuré de plusieurs manières, celles-ci allant de simples appels téléphoniques à des intimidations plus violentes, voire des passages à tabac et interrogatoires envers les rédacteurs rebelles.
Les correspondants provinciaux deviennent interdits : seulement une agence de presse publique existe, les rédactions sont centralisées. L’accès aux salles de presse gouvernementales est restreint, dans la continuité des mesures mises en place par Park Chung-hee en 1963 et visant à consolider l’élite médiatique centralisée. (Ce dernier avait par exemple mis en place un système de carte de presse, réduisant drastiquement les accès aux conférences gouvernementales.)
Démocratisation et retour progressif à la liberté de la presse
La présidence de Roh Tae-woo (노태우) dès 1988 introduit une transition vers un retour progressif à la liberté de la presse en Corée : le Basic Press Act est aboli, au profit du Broadcasting Act of Korea, qui garantit la liberté et l’indépendance de la radiodiffusion, ainsi que de la loi sur les publications périodiques. L’entrée en vigueur de ces lois facilite la création de journaux indépendants, notamment en province, où les correspondants sont rétablis. L’un des principaux symboles de cette transition est la création du journal Hankyoreh (한겨레), fondé en 1988 par des journalistes licenciés et écrit entièrement en hangeul, sans hanja.
Petit à petit, un véritable marché des journaux s’installe :
Les institutions religieuses créent leurs propres journaux, tels que le Kukmin Ilbo (국민일보) créé par David Yonggi Cho (조용기), fondateur de Yoido Full Gospel Church (여의도순복음교회), ou encore Segye Ilbo (세계일보), créé par l’Unification Church (통일교). Les Chaebols prennent petit à petit la tête des médias en créant à leur tour leurs propres journaux : Kyunghyang Shinmun (경향신문) est racheté par le groupe Hanwha ; Hyundai crée Munhwa Ilbo (문화일보)…etc.
Sources
- Conseil Suprême pour la Reconstruction Nationale : Organe dirigeant après le coup d’État militaire de 1961. ↩︎
- Loi anti-communiste : Législation utilisée pour réprimer toute opposition, souvent sous prétexte de lutte contre le communisme. ↩︎
- Normalisation avec le Japon : Processus controversé ayant mené à la signature du traité de 1965 entre la Corée du Sud et le Japon. ↩︎
- Comité de l’Éthique des Médias (언론윤리위원회) : Organe de surveillance des médias instauré sous Park Chung-hee. ↩︎
- KCIA (Korean Central Intelligence Agency) : Agence de renseignement sud-coréenne ayant joué un rôle majeur dans la censure. ↩︎
- Constitution Yusin (유신헌법) : Révision constitutionnelle de 1972 établissant un régime autoritaire sous Park Chung-hee. ↩︎


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