Presse en Corée : émergence des médias et surveillance en ligne (3/4)

La liberté de la presse en Corée a connu de profondes mutations au cours des dernières décennies. Elle a oscillé entre ouverture démocratique et retour à des formes de contrôle étatique. L’essor d’internet a nourri de nouveaux espaces d’expression et favorisé un pluralisme inédit. Il a également suscité de nouvelles formes de surveillance et de censure. L’évolution du paysage médiatique coréen sous les présidences progressistes et conservatrices met en lumière les tensions persistantes entre indépendance journalistique, régulation gouvernementale et pressions politiques. Ces dynamiques façonnent les contours d’une démocratie encore fragile.

Émergence d’Internet et nouvelles problématiques

illustration liberté des médias et surveillance web

Presse sous les présidents progressistes

Sous les présidences de Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun, la Corée du sud connaît une reprise progressive de la liberté d’expression et un climat médiatique plus ouvert. Kim Dae-jung, élu en 1998, favorise un espace public pluraliste. Il réduit la censure héritée des régimes autoritaires et tolère davantage les critiques adressées au gouvernement. Son successeur Roh Moo-hyun poursuit cette dynamique. Il renforce la transparence de l’action politique par l’ouverture des conférences de presse. Il utilise aussi internet pour communiquer directement avec les citoyens. Cette période marque ainsi une transition vers une presse plus indépendante, même si certaines limites perdurent dans la pratique.

Presse sous les présidents conservateurs

Sous Roh Moo-hyun (노무현), internet se développe rapidement et devient un outil majeur pour la majorité des ménages en Corée du Sud. Cela soulève de nouvelles problématiques , liées à l’émergence des articles web et médias de radiodiffusions. Une grande partie de la population coréenne consomment désormais ces supports. Ils deviennent un ensemble de canaux surveillés de l’État, une surveillance qui se voit devenir abusive et illégale sous le régime de Lee Myung-bak (이명박).

Lee Myung-bak (2008-2013)

Lee Myung-bak annonçant l’ouverture des Jeux mondiaux d’hiver special olympics à PyeongChang, 2013 (source : Korea_Special_Olympics_Opening_100)

En 2010, Reporters Sans Frontières (RSF) dénonce « des lois draconiennes créent trop de restrictions spécifiques pour les utilisateurs du Web en remettant en cause leur anonymat et en encourageant l’autocensure » en Corée du Sud (The Korea Times, 2010). Le gouvernement impose la vérification du nom réel des internautes. Cette mesure s’inscrit dans un contexte de dégradation de la démocratie coréenne dès 2008.

L’indépendance des médias et la liberté d’expression se voient menacées par l’intervention accrue de l’État sur internet et dans les médias. Le gouvernement conservateur de Lee Myung-bak (이명박) s’immisce directement dans la gestion de grandes chaînes d’informations et de radiodiffusions. Il place certains hauts fonctionnaires et alliés à la tête de ces entreprises. Ces dirigeants contrôlent ensuite le contenu et les tendances politiques des médias.

Les sociétés contrôlées par l’État, notamment KBS, MBC et YTN, perdent leur indépendance éditoriale malgré l’opposition des journalistes. Lors de la réunion conjointe de la FIJ (Fédération Internationale des Journalistes) et de l’UNI Global en septembre 2010, il a été rapporté qu’environ “160 autres journalistes ont subi des sanctions disciplinaires depuis l’investiture du gouvernement Lee en 2008. Ces sanctions comprennent des suspensions, des baisses de salaire, des avertissements et des ordonnances de probation contre les employés de YTN, MBC et Korean Broadcasting System (KBS)” (International Federation of Journalists, 2010).

Ces dérives ont poussé de nombreuses associations, syndicats et associés de la FIJ à réclamer lors de cette réunion le respect de l’indépendance de ces médias. Cette mobilisation confirme la reconnaissance concrète et réelle d’une chute de la liberté de presse en Corée.

 Contrôle et surveillance sur internet

A cette période, l’Etat ne se limite pas au simple contrôle des médias. Il intensifie aussi la surveillance des activités en ligne. Comme précédemment mentionné, l’enregistrement obligatoire du nom réel sur internet réduit considérablement la confidentialité des données. Cette mesure constitue une atteinte à la vie privée des utilisateurs coréens, jusqu’alors protégée par l’anonymat.

Des journalistes de KBS en grève confirment cette pratique. Sur Reset KBS News 9, ils révèlent l’existence de 2 619 documents. Ces fichiers prouvent l’espionnage illégal de civils entre 2008 et 2010 par une équipe de hauts fonctionnaires.

Le gouvernement multiplie les mesures : implication d’alliés du président au sein des directions des entreprises des principaux médias, suppression de contenus anti-gouvernement (notamment suite à la décision de Lee Myung-bak (이명박) de relancer l’importation de bœuf américain). Ce contexte installe un véritable contrôle de l’information à la fin des années 2010. La démocratie recule nettement, et la liberté de la presse s’effondre : l’indice de la liberté de la presse en Corée est celui qui a le plus chuté dans le monde en 2010 (The Korea Times, 2011). Ce contexte est maintenu suite à l’introduction de Park Geun-hye (박근혜) au pouvoir en 2013.

Park Geun-hye (2013-2017)

Sous le régime de Park Geun-hye (박근혜), la censure perdure, et les efforts du gouvernement pour réprimer les oppositions et restreindre la liberté d’expression sont nombreux, notamment par un usage (plus tard jugé abusif par la Cour constitutionnelle de Corée) de la loi sur la sécurité nationale1 et de l’interdiction pénale de diffamation2. L’article 7 de cette dernière pourrait expliquer certains faits mentionnés ultérieurement dans cette section, puisque même après son amendement de 1991, elle accorde un pouvoir discrétionnaire substantiel pour poursuivre les personnes ayant des opinions dissidentes.

Ces lois strictes en Corée du Sud, par leur usage détourné du gouvernement, ont poussé de nombreux contenus à s’autocensurer, par crainte d’être poursuivis. Dans cette même logique, plusieurs mesures réglementaires visant à supprimer des articles, commentaires et contenus dits diffamatoires ou encore à limiter la publication de journaux en ligne ont vu le jour, remettant ainsi en cause le simple accès à des publications et informations entièrement neutres et indépendantes. Cette problématique ainsi que la question du lien étroit entre l’État et les médias sont soulevées encore une fois lorsque l’administration Park est accusée d’avoir manipulé MBC et KBS, en nommant des PDG conservateurs pro-Park à la tête de ces importants radiodiffuseurs (destitués ensuite suite à une grève).

Une chute de l’indice de liberté de la presse en Corée

Cette chute importante et alarmante de la démocratie et de la liberté de presse en Corée est explicitée et confirmée par Freedom House en 2016 : celle-ci classe le statut de liberté du Net en Corée comme « Partiellement libre », et lui donne un score de la liberté de la presse de 33/100 (0 étant le meilleur score, 100 le pire). Aussi, dans le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, la Corée du Sud est classée 70e sur 196 pays en matière de liberté de la presse en 2016 (Reporters Sans Frontières, 2016). Elle se situe en 43e place en 2018.

Selon The Korea Times, “les efforts des médias pour dénoncer la corruption de Park Geun-hye (박근혜), ainsi que les efforts du président Moon Jae-in (문재인) pour mettre fin aux grèves de la MBC et de la KBS, sont les principales raisons de cette amélioration” (The Korea Times, 2022).

excuses publiques de Park Geun-hye. Atteinte à la liberté des médias en Corée.
ill.1.Prise de parole de Park Geun-hye à la Maison Bleue présidentielle de Séoul-4 novembre 2016 (source : CNN World)

Un recul de la démocratie?

Finalement, les mandats conservateurs de Lee Myung-bak (이명박) et Park Geun-hye (박근혜) ont marqué un net recul de la liberté de presse et de l’indépendance des médias en Corée du Sud, notamment par le biais de pratiques de censure, de surveillance illégale et de manipulation des organes de radiodiffusion par le gouvernement. Le contrôle exercé par l’État sur les contenus médiatiques a non seulement remis en question la liberté d’expression, mais aussi affaibli les fondements de la démocratie sud-coréenne. Ce contexte de répression et de manipulation a entraîné une chute considérable de l’indice de la liberté de la presse du pays, précédant une légère amélioration sous la présidence de Moon Jae-in (문재인), celle-ci témoignant d’une volonté de restaurer les principes démocratiques fondamentaux.

Sources

  • The Assessment of Bureaucratic Corruption Control in South Korea:The Importance of Political Willin Government’s Anti-Corruption Efforts, KIM Sung-hwan, 2008
  • Korean Trust in the Media Remains Low, Despite Recent Victories for Press Freedom ; KEI, Jenna Gibson, 2018
  • Freedom of the Press 2016 – South Korea, Freedom House, 2016
  • Asia-Pacific Media Unions Demand Resolution of Korea Press Freedom Crisis, fédération internationale des journalistes, 2010
  • Free expression’s erosion, Korea Joongang daily, 2015
  • Rights Group Puts Korea on Internet Watchlist, The Korea Times, 2010
  • S. Koreas press freedom ranking falls, The Korea Times, 2011
  • Surveillance scandal emerges as key campaign issue, The Korea Times, 2012

Addenda

  1. Loi sur la sécurité nationale (국가보안법, Gukga Boanbeop) : promulguée en 1948, cette loi vise à criminaliser les activités considérées comme menaçant la sécurité de l’État, en particulier celles liées à la Corée du Nord. Elle est fréquemment critiquée pour son usage abusif et son impact sur la liberté d’expression. ↩︎
  2. Interdiction pénale de diffamation : en Corée du Sud, la diffamation peut être sanctionnée pénalement, même lorsqu’elle est fondée sur des faits avérés. Cette législation, rare dans les démocraties libérales, favorise une autocensure des journalistes et des citoyens. ↩︎


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