Sommaire
Cet article fait partie des recherches académiques de l’auteur sur la réinterprétation de la spiritualité et les êtres surnaturels coréens dans les dramas sud-coréens contemporains. À souligner que les recherches sont en train d’être réalisées et elles peuvent toujours apporter de nouveaux résultats et interprétations.
Gwisin (귀신), sasin (사신), retrouver quelqu’un dans la prochaine vie… Ces mots ou expressions apparaissent régulièrement dans les dramas sud-coréens contemporains de genres variés. D’où viennent-ils ? Quelles informations apportent-ils ? Il s’agit de l’univers des êtres surnaturels coréens d’origine folklorique, parfois mythique, incorporés dans l’eschatologie et la sotériologie bouddhiste avec les éléments chamaniques et venant des croyances chinoises.
Se rapprocher de l’invisible
Parler des êtres surnaturels, c’est parler de l’un des aspects de ce qu’on appelle l’invisible dans la philosophie, la psychologie et les sciences des religions. L’invisible comporte plusieurs dimensions de la spiritualité humaine, animale et même végétale (conformément au système philosophique ou religieux). Que ce soit une culture occidentale, asiatique ou venant encore d’une autre région, elle doit toujours évoquer les questions concernant l’invisible où la spiritualité est prioritaire.
Spiritualité
La spiritualité comporte tout ce qui est invisible, immatériel et qui fonctionne hors des lois terrestres. On pourrait dire que « la spiritualité est l’art de la transfiguration », transfiguration interminable et continuelle. (O’Donohue, 2004, p. 57) Elle renvoie à l’ordre divin, qui peut varier en fonction de la culture et de l’époque, à travers des sentiments, pensées et d’autres expériences psychiques, parfois indicibles. C’est l’espace dans lequel la religion, la philosophie, la psychologie et même la psychiatrie se retrouvent pour comprendre mieux l’esprit de tous les êtres vivants ainsi que… surnaturels. Il faut rappeler ici, que malgre tout le scepticisme postmoderne pour les systemes religieux et tout ce qui est spirituel en Occident, la présence des personnages folkloriques, mythiques ou divins dans les différentes cultures, préservée au fil des siècles, transmet un message important à l’Homme d’aujourd’hui.
Âme
Chaque être vivant possède un âme ou autre forme de qualité spirituelle qui maintient son élan vital. Il faudrait rappeler la pensée freudienne et jungienne pour constater que :
Freud et Jung ont montré la vaste complexité de l’âme. L’individu n’est pas un simple, unidimensionnel soi. Il y a un labyrinthe à l’intérieur de l’âme.
O’Donohue, 2004, p. 88
L’image de l’âme change selon les cultures et les époques. Cependant, son idée principale reste universelle grace aux archétypes :
Ce sont des figures universelles et intemporelles qui émergent, lorsque les conditions le permettent, dans les différentes cultures. Celles-ci se les réapproprient ensuite en fonction de leurs spécificités pour s’en enrichir et les magnifier par l’imagination. Ces fictions ainsi élaborées à partir d’une semence du monde du sens, enrobées dans les systèmes de croyances des peuples et des individus, deviennent opératives et produisent l’histoire. Les grandes images du héros, de la licorne, du magicien, du sorcier, des jumeaux, de l’anima, de l’animus et du vieux sage apparaissent sur tous les continent.
Bigé, 2020, p. 46
Les êtres surnaturels coréens
On distingue plusieurs types d’êtres ou créatures surnaturels coréens, parmi lesquels les gwisin, les sasin ou jeoseong saja et les déités.
Gwisin
Les gwisin (귀신 ; 鬼神 où 鬼 signifie simplement « un fantôme » ou « un démon » et 神 signifie « une déité » ainsi qu’« une âme » ou « un esprit » ; en anglais, les gwisin sont traduits comme ghosts ou spirits) forment un groupe de fantômes qui viennent des défunts. Ce sont des âmes issues des corps et qui vagabondent entre les univers différents.
Si une âme ne peut pas partir de la terre pour des raisons variées (par exemple, son corps n’a pas été correctement enterré), elle s’installe quelque part en espérant de pouvoir partir vers l’au-delà. Elle cherche parfois de la nourriture car même en tant que gwisin, elle doit toujours manger et boire. C’est pourquoi il est essentiel de tenir le rituel de jesa (제사) pour les défunts. Sinon, l’âme souffre et devient de plus en plus malheureuse.
Wonhan, esprit vengeur
Le wonhan (원한 ; 怨恨) est une âme qui garde rancune à quelqu’un parmi les vivants. Ce terme est souvent traduit comme « vengenful ghost » en anglais car la plupart des wonhan qu’on peut retrouver dans les séries telles que Hotel del Luna ou The Tale of Arang (qui seront analysées dans la partie suivante de cet article) veulent se venger de leurs malfaiteurs. À noter que son nom partage le mot « han » et le caractère de sa version hanja avec le concept coréen de han (한 ; 恨), genre de sentiment, émotion ou état d’esprit qui se positionne quelque part entre la tristesse, le regret, le chagrin et le ressentiment.
Chonyo gwisin, fantôme vierge
La chonyo gwisin (처녀귀신 ; 處女鬼神 ; en anglais : maiden ghost) est un fantôme vierge, l’ame issue de la femme non-mariée. Vu la position des femmes dans l’ancienne Corée où le mariage fut essentiel pour mener une vie respectueuse et stable, cet être est particulièrement tragique. Selon la tradition, si une femme était morte avant son mariage, son âme ne resta pas en paix et vagabonda parmi les vivants en cherchant vengeance.
Sasin ou jeoseung saja
Les sasin (사신 ; 死神) ou jeoseung saja (저승 사자 ; ? 使者 ; en anglais : Grim Reaper) jouent un rôle de la Mort ou de la Faucheuse occidentale. Néanmoins, les deux ne sont pas identiques car la Faucheuse reprend la vie d’un humain ainsi qu’elle guide son âme après ; les sasin ne sont pas responsables de la mort – leur fonction est seulement d’amener l’âme dans l’endroit prévu par les déités.
Dans les dramas sud-coréens
The Tale of Arang
The Tale of Arang (« 아랑사또전 » Arangsattojeon, 2012) est un drama historique qui raconte l’histoire de la coopération entre une chonyo gwisin, Arang (아랑), et un jeune homme qui s’appelle Kim Eun-o (김은오). Arang ne se souvient pas des circonstances de sa mort à l’exception des fiançailles, mais elle veut retrouver l’image de sa vie en tant qu’être humain. Elle s’échappe toujours des sasin qui doivent l’envoyer vers l’au-delà. Quant a Kim Eun-o, il cherche sa mere pour découvrir une vérité incroyable sur son origine à la fin…
Arang négocie les conditions de sa mission sur la terre avec deux grands dieux, issus de la tradition chinoise, l’Empereur de jade (玉皇 Yù Huáng) et le roi Yanluo (chinois traditionnel : 閻羅王 Yánluó wáng). Elle est autorisée de revenir sur la terre comme un être humain, mais le temps pour trouver la réponse qu’elle cherche est limitée. Cette partie de la série reproduit l’image des déités avec lesquelles il faut souvent négocier les conditions existentielles, caractéristiques pour les croyances dans tous les pays confucéens. D’ailleurs, le système normatif divin reflète les éléments du confucianisme dans le monde humain.
Hotel del Luna
Hotel del Luna (« 호텔 델루나 » Hotel delluna, 2019) est une série qui raconte l’histoire Jang Man-wol (장만월), propriétaire de l’hôtel pour les… gwisin qui ne sont pas encore partis vers l’au-delà pour des raisons personnelles. Elle doit repentir pendant les siècles pour ses crimes commis à l’époque Silla unifié.
La fonction de l’hôtel est de consoler les gwisin en leur fournissant l’accès à tous les services dont ils n’avaient jamais pu profiter en tant qu’êtres humains. On y trouve de nombreux wonhan, donc esprits vengeurs, qui ne peuvent pas pardonner à leurs malfaiteurs. Une fois, on recontre aussi une chonyo gwisin qui a besoin de yonghon gyeolhonsik (영혼결혼식 ; 死婚式). C’est-à-dire, une cérémonie de mariage pour les âmes.
ill. 3. Jang Man-wol (장만월), propriétaire de l’Hôtel del Luna, dans la série Hotel del Luna (2019) ill. 4. Un esprit vengeur de la fameuse chambre 13 de l’hôtel ill. 5. Une chonyo gwisin qui est en train de couper le fil rouge (signifiant la communion de deux destins) pour libérer son fiancé de sa promesse et le renvoyer entre les vivants. En conséquence, le yonghon gyeolhonsik n’est pas accompli donc elle partira comme un fantôme vierge…
Une question intriguante arrive : Jang Man-wol, qui est-elle en vrai ? Un être humain qui vit longtemps ? Un gwisin qui ne peut pas encore partir vers l’au-delà et se renaître ?
L’arbre planté dans le jardin de l’hôtel est une réponse partielle à cette question. Il représente le destin de Jang Man-wol par les changements dans son cycle végétal ou par leur absence. À remarquer que la symbolique de l’arbre apparaît dans la plupart des cultures qui ont été formées dans les zone climatiques boisées. Elle apporte le sens suivant :
Chaque arbre pousse en deux directions en même temps : vers l’obscurité et vers la lumière avec le nombre des branches et des racines dont il a besoin pour satisfaire ses désirs sauvages.
O’Donohue, 2004, p. 122
Cette ambiguïté correspond avec la situation de Jang Man-wol, cette condition ontologique particulière. Le macrocosme des arbres mythiques tels que Yggdrasil, l’Arbre Monde de la mythologie nordique, mène vers le microcosme de l’individu.
À la recherche du « temps éternel »…
L’univers des êtres surnaturels coréens montre que le monde empirique et l’invisible coexistent. On pourrait dire que « la réalité éternelle et celle mortelle ne sont pas parallèles mais elles sont plutôt alliées. » (O’Donohue, 2004, p. 90) Il est interéssant d’observer comment ces etre-la sont réinterprétes et recontextualisés ; quelles fonctions et qualités elles gardent et quels nouveaux éléments leur sont attribués. Cela révèle quel potentiel sémantique et symbolique porte la tradition – dans ce cas, tradition coréenne.
Bibliographie
- Bigé Luc (2020). Carl Gustav Jung. Portrait céleste. Pensée jungienne et lecture astrologique. Paris : Éditions Dervy.
- O’Donohue John (2004). Anam Ċara. A Book of Celtic Wisdom. New York: HarperCollins Publishers.
Illustrations
- Image liminaire : Une photo du pont au bord de la rivière Bukhan (북한강철교 Bukhangang cheolgyo) qui joue un rôle du pont au bord de la rivière Samdo (삼도천 Samdocheon)
- ill. 1. Arang (아랑), chonyo gwisin, dans la série The Tale of Arang (2012)
- ill. 2. Muyeong (무영), sasin ou jeoseong saja, dans la série The Tale of Arang (2012)
- ill. 3. Jang Man-wol (장만월), propriétaire de l’Hôtel del Luna, dans la série Hotel del Luna (2019)
- ill. 4. Un esprit vengeur de la fameuse chambre 13 de l’hôtel
- ill. 5. Une chonyo gwisin qui est en train de couper le fil rouge (signifiant la communion de deux destins) pour libérer son fiancé de sa promesse et le renvoyer entre les vivants. En conséquence, le yonghon gyeolhonsik n’est pas accompli donc elle partira comme un fantôme vierge…
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.
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