Sommaire
Chaque peuple a créé sa propre culture funéraire. Les funérailles sont l’un des rites de passages basiques* et elles restent la dernière étape sur le chemin existentiel et spirituel d’un individu. De la naissance à travers de rites d’initiation sociale et de procréation, l’individu accomplit sa vie au sens propre et figuré. Ce moment important est célébré d’une manière spéciale avec un riche symbolique, propre à une culture funéraire.
Rites de passage
La Toussaint tombe un jour après Halloween (à noter que le nom vient du mot dans l’ancien anglais « All Hallows’ Eve » ce qui signifie « la veille de la Toussaint ») et précède le 2 novembre, la Commémoration des fidèles défunts ou le Jour des morts dans la tradition chrétienne catholique. À l’occasion de cette fête, nous voudrions vous présenter la culture funéraire coréenne – l’ensemble des pratiques et des rites qui forment « ars moriendi coréen ».
Ars moriendi – culture funéraire européenne
Ars moriendi (en latin : « l’art du décès », « l’art de (bien) mourir ») est un ancien motif dans la culture européenne dont les origines remontent le Moyen Âge chrétien. À la naissance des nouvelles visions sotériologiques, une nouvelle esthétique fut introduite dans les arts visuels et dans la littérature. Par exemple, le squelette remplaça l’image précédente de la mort, une créature déformée qui sentit la mauvaise odeur (par exemple, l’image de la Mort présentée dans le texte De morte prologus, Dialogus inter Mortem et Magistrum Polikarpum du XVème siècle).
Au tournage du XVIème et XVIIème siècle, une autre représentation allégorique de la mort apparut – la vanité. Fondée sur une phrase biblique de l’Ecclésiaste « Vanitas vanitatum et omnia vanitas » (« Vanité des vanités, vanité des vanités, tout est vanité. », Ecc 1.2), elle devint un motif fréquent dans la peinture et dans la graphique. La mort fut accompagnée par des idées de la vacuité et de l’évanescence, exprimées par les objets suivants : crânes, mesures du temps, montres et sabliers, bougies, fleurs qui fanent, instruments de musique et libellules.
Une autre locution latine qui apparaît dans ce contexte-ci, est « memento mori » , ceci dit « souviens-toi que tu vas mourir » ou après avoir reformulé dans la langue française, « n’oublie pas que tu vas mourir ». Elle exprime bien le Leitmotiv de la culture funéraire occidentale.
La mort et les visions posthumes
En Corée du Sud,** l’image de la mort et les visions posthumes viennent de trois systèmes de croyances différents : du chamanisme coréen, du bouddhisme et d’un mélange du confucianisme et du taoïsme chinois. Ensuite, il existe aussi des pratiques folkloriques variées, propre à une région ou même à une seule famille. Néanmoins, ces trois fameuses traditions-là ont formé une grande partie des visions sotériologiques et eschatologiques dans l’ancienne Corée. Et par la suite, cet héritage spirituel se poursuit en tant que culture funéraire (sud)-coréenne encore de nos jours.
Trois grandes traditions
En tout premier lieu, il faut expliquer l’importance du chamanisme dans la culture funéraire coréenne parce qu’il est une tradition native sur la péninsule de Corée. D’après ce système, les âmes partent physiquement de la terre, mais elles restent en tant qu’individus invisibles qui peuvent aider ou déranger. Alors, il est important de célébrer les rites commémoratifs et les rituels de purification.
Ensuite, il est essentiel de présenter le bouddhisme qui apporta une nouvelle vision métaphysique et par la suite, une nouvelle vision de la vie posthume. Il introduisit le concept des cieux et des enfers ainsi que les questions morales avec la miséricorde, elle incluse. Cela permit de croire que malgré l’injustice de l’existence mortelle, il y aurait un lieu où les bienfaiteurs seraient respectés et heureux, et les criminels seraient punis et condamnés. L’une des fêtes bouddhistes qui rendent hommage aux personne mortes (surtout aux âmes souffrantes), est le Baekjung (백중).***
Enfin, c’est le confucianisme avec les éléments du taoïsme qui fait partie de la culture funéraire coréenne. Bien que la métaphysique confucéenne ne soit pas autant profonde et riche que celle bouddhiste, elle garde la mémoire des ancêtres. Et ceux-ci peuvent aider les vivants grâce à leur sagesse, fondée sur une longue éducation et leur expérience.
ill. 8. Une partie de la table avec les offrandes aux morts dans la tradition chamanique ill. 9. Les prières dans le temple bouddhiste à l’occasion du Baekjung (백중). Une autre pratique bouddhiste signifiante dans le contexte funèbre est brûler des papiers votifs. ill. 10. Wipae (위패), une tablette ancestrale dans la tradition confucéenne
Funérailles traditionnelles
À l’époque, les funérailles furent « un vrai théâtre » ou « une vraie performance des défunts » (à comparer avec l’ouvrage Theater of the Dead: a Social Turn in Chinese Funerary Art, 1000-1400 de Jeehee Hong, 2016). Cela ne concerna que la famille royale et les yangban (양반), donc l’aristocratie coréenne, car d’autres classes sociales ne purent pas ni payer ni obtenir l’autorisation pour une cérémonie funéraire somptueuse.
Le jour des funérailles précéda des longues préparations et la période du deuil qui dura parfois même quelques mois après l’enterrement (à noter que les règles changèrent en fonction du sexe, du status dans la famille et de la position sociale). Elle fut marquée par un caractéristique vêtement de deuil blanc, appelé le sobok (소복).
Les funérailles furent le dernier moment pour faire ses adieux officielles à la personne morte. Et comme on pouvait s’y attendre, le lieu de l’enterrement choisirent les géomanciens en fonction du pungsu (풍수).
Touchant aux questions de la culture funéraire coréenne, il ne faut pas oublier les kkokdu (꼭두), figurines funéraires, d’habitude utilisées pour décorer la mise en bière. Le concept des figurines funéraires en tant que compagnons du défunt sur son chemin vers l’au-delà, est trouvable dans de nombreuses cultures du monde entier.
ill. 11. Une photo de deux hommes habillés en sobok (소복), Séoul, 1904 ill. 12. Les figurines kkokdu (꼭두) installées sur une mise en bière
Tombes royales de Goguryeo
Un exemple les plus spectaculaire de la culture funéraire coréenne, est l’ensemble de soixante-trois tombes royales de Goguryeo (고구려 Ier siècle av. notre ère – 668). Situé en proximité de Pyongyang, la capitale du royaume de Goguryeo à partir du Vème siècle (aujourd’hui, c’est le territoire nord-coréen), il remonte le temps à l’époque des Trois royaumes de Corée avec Baekje (백제) et Silla (신라).
Les peintures murales de ces tombes-là sont une source unique de la connaissance sur la vie des élites de l’époque. Même si elles étaient influencées par l’esthétique chinoise, elles montrent le développement de l’étiquette à la cour de Goguryeo et de normes sociales propres déjà aux Coréens.
ill. 13. La tombe du roi Tongmyong, Ier siècle av. notre ère, Pyongyang ill. 14. Les peintures murales de la tombe Tokhung-ri, Nampo. Des responsables gouvernementaux félicitent le propriétaire de la tombe à l’occasion d’avoir obtenu une promotion.
L’art funéraire
L’ensemble de traditions présentées au-dessus (le chamanisme, le bouddhisme et le confucianisme) a naturellement formé l’art funéraire coréen. De nombreux symboles de la longevité rappellent que malgré toute la vanité terrestre, la vie de l’âme est vraiment infinie. En outre, on pourrait dire que cet « ars moriendi coréen » souligne plutôt la valeur de l’éternité que le défectibilité de la vanitas, dominant dans l’ancienne Europe.
Pour les membres de la classe moyenne et pour les agriculteurs, les funérailles et la tombe furent très simples. Il s’agissait d’accompagner le défunt, dont le corps fut emballé avec du tissu ressemblant le sobok, jusqu’à un endroit éloigné de la ville ou du village. Après avoir enterré le cadavre, il installa un obélisque en pierre, en forme d’une tablette ancestrale avec l’inscription qui contint le nom entier du défunt. S’il était impossible de préparer l’obélisque avant, il fit un petit monticule de terre, rincé parfois avec de l’alcool.
En comparaison avec les cimetières occidentaux, les lieux de sépultre coréens sont « minimalistes ». C’est un aspect particulier de la culture funéraire coréenne.
Commémorer les défunts contemporains
Aujourd’hui, le rituel de jesa (제사) est toujours le plus important parmi toutes les pratiques commémoratives en Corée du Sud. Il est célébré la date de l’anniversaire de la mort, mais aussi pendant des grandes fêtes annuelles comme le Nouvel An Coréen Seollal et la fête des récoltes Chuseok (추석), et aussi pendant le Hansik (한식). Ce dernier est « le jour des plats froids », lié à la fête chinoise de Qingming (traditionnel : 清明節; simplifié : 清明节), une journée de nettoyage des tombes en Chine.
Parmi d’autres formes de commémoration posthume, on trouve les cimitières et les monuments dédiés aux soldats et d’autres héros nationaux. Ceux-ci sont arrangés plutôt dans le style occidental séculaire, comme au Panthéon à Paris ou comme aux lieux de sépultre militaires américains mais avec un accent coréen.
ill. 16. Le rituel de jesa (제사) célébré par toute la famille qui porte des tenues traditionnelles, Seollal 2019 ill. 17. Une partie de la table pour le jesa. Voici « une explication » pourquoi il ne faut pas planter ni la cuillère ni les baguettes dans le bol de riz. Ce geste est réservé uniquement pour le repas des défunts (c’est pareil au Japon).
Fausses funérailles
Dans le contexte de la culture funéraire coréenne, il faudrait mentionner aussi une nouvelle mode sud-coréenne, ceci dit « les fausses funérailles ». Cette pratique a pour but de redonner le goût à la vie actuelle ainsi que de préparer des personnes de tous âges à ce vrai moment de départ au futur…
Les entreprises qui offrent les services des fausses funérailles, fournissent tout ce qui concerne une cérémonie funéraire « normale ». Alors, le client peut porter une voile de défunt, écrire sa dernière volonté et rester allongé(e) dans le cercueil pendant dix minutes. (Kim et Choi, 2019)
Par rapport aux nouvelles tendances funéraires, il y a aussi les funérailles écologiques qui arrivent en Corée du Sud. Cependant, cela pourra être plus problèmatique à accepter pour les Coréens au premier contact. Les sociétés confucéennes tiennent beaucoup à leurs traditions funéraires qui garantissent la continuité de la mémoire générationnelle.
Addenda :
*Dans mes recherches, je les appelle aussi « les rites de transgression ».
**Les cérémonies funéraires nord-coréennes font partie de la vie politique et sont entièrement subordonnées au juche (주체).
***Attention à ne pas confrondre le Baekjung (백중), fête bouddhiste pour les défunts et leurs âmes, avec le baekjeong (백정), soi-disant « intouchables », une classe sociale stigmatisée à l’époque de Goryeo (918-1392).
Bibliographie :
- Kim Daewoung, Choi Youngseo (2019). Dying for a better life: South Koreans fake their funerals for life lessons, 6.11.2019. En : (2019) Business Insider.
Les illustrations 1-10 :
- Image liminaire : Les figurines funéraires kkokdu (꼭두)
- ill. 1. Une scène du drama Tale of Nokdu (조선로코-녹두전 Joseolloko Nokdujeon, 2019) avec les fleurs fanant. Ce genre de scènes dans le K-drama contemporain font référence à l’aspect éphémère de la vie.
- ill. 2. Les décorations d’Halloween, Reading (Angleterre), Halloween 2019. Photo : Maria Anna Dudek
- ill. 3. La tombe de John Ronald Reuel Tolkien et de sa femme Edith Mary Tolkien, Cimetière de Wolvercote, Oxford (Angleterre), La Toussaint 2019. Photo : Maria Anna Dudek
- ill. 4. Cimetière de Powązki, Warszawa (Pologne), La Toussaint 2014. Photo : Maria Anna Dudek
- ill. 5. Cimetière de Wąwolnica (Pologne), La Toussaint 2013. Photo : Maria Anna Dudek
- ill. 6. Cimetière de Wąwolnica (Pologne), La Toussaint 2014. Photo : Maria Anna Dudek
- ill. 7. Vanité ou Allégorie de la vie humaine, Philippe de Champaigne, première moitié du XVIIème, huile sur bois
- ill. 8. Une partie de la table avec les offrandes aux morts dans la tradition chamanique
- ill. 9. Les prières dans le temple bouddhiste à l’occasion du Baekjung (백중). Une autre pratique bouddhiste signifiante dans le contexte funèbre est brûler des papiers votifs.
- ill. 10. Wipae (위패), une tablette ancestrale dans la tradition confucéenne
Les illustrations 11- :
- ill. 11. Une photo de deux hommes habillés en sobok (소복), Séoul, 1904
- ill. 12. Les figurines kkokdu (꼭두) installées sur une mise en bière
- ill. 13. La tombe du roi Tongmyong, Ier siècle av. notre ère, Pyongyang
- ill. 14. Les peintures murales de la tombe Tokhung-ri, Nampo. Des responsables gouvernementaux félicitent le propriétaire de la tombe à l’occasion d’avoir obtenu une promotion.
- ill. 15. Des tombes ordinaires en forme d’une tablette ancestrale, probablement XIXème siècle, l’île de Geoje (거제도), Corée du Sud
- ill. 16. Le rituel de jesa (제사) célébré par toute la famille qui portent des tenues traditionnelles, Seollal 2019
- ill. 17. Une partie de la table pour le jesa. Voici « une explication » pourquoi il ne faut pas planter ni la cuillère ni les baguettes dans le bol de riz. Ce geste est résérvé uniquement pour le repas des défunts (c’est pareil au Japon).
- ill. 18. Le cimetière national de Séoul pour les anciens combattants coréens
- ill. 19. Les fausses funérailles : les participants de l’événement « funérailles vivantes » qui fait partie du projet « Mourir bien », Séoul
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.
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