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Depuis le premier journal coréen privé publié par Seo Jae-pil (서재필) en 1896, le Tongnip sinmun (독립신문, Journal de l’indépendance), la presse en Corée du Sud a suivi un parcours complexe marqué par des périodes de contrôle étatique, de restriction et de censure, mais également par des phases d’expansion et de diversification. Cette trajectoire met en lumière les rapports étroits entre l’évolution du champ médiatique et le contexte politique du pays, où chaque changement de régime a laissé son empreinte sur la presse nationale. La question de la liberté de la presse se trouve ainsi au cœur de l’histoire médiatique coréenne, oscillant entre répression et ouverture, et reflétant les tensions qui accompagnent la démocratisation progressive de la Corée du Sud. C’est cette dynamique, entre contraintes et conquêtes, que nous nous proposons d’analyser dans le cadre de cet article. coucou ça va ?
Colonisation japonaise
Le 22 août 1910, le traité d’annexion de la Corée par le Japon marque la dissolution du gouvernement coréen et l’intégration de la péninsule à l’Empire impérial. La presse devient alors un instrument essentiel de la domination coloniale. Les autorités japonaises instaurent une politique de censure stricte : tous les journaux coréens passent sous contrôle et se doivent de relayer la propagande japonaise. Certains journaux comme le Chosun Ilbo (조선일보) et le Dong-a Ilbo (동아일보) (1920) reçoivent l’autorisation de paraître, mais uniquement dans un cadre limité et sous surveillance constante.
Ces journaux, malgré leur autonomie réduite, tentent tout de même d’exprimer des critiques indirectes et de défendre l’identité nationale coréenne, en publiant par exemple des articles sur la culture et l’histoire de la Corée, ou encore en rapportant discrètement les mobilisations nationales patriotiques, comme celles liées au mouvement du 1er mars 19191. Ces décisions leur valent régulièrement des suspensions temporaires ou des fermetures de l’administration coloniale. Le seul quotidien autorisé à paraître sans interruption et à échapper au contrôle direct des autorités japonaises est le Maeil Sinbo (매일신보), titre officiel publié dès 1910 par le Gouvernement Général Japonais2. Ce journal fait office de principal relais de la propagande coloniale, diffusant notamment les politiques d’assimilation culturelle (Naeseon Ilchae, 내선일체)3, et promouvant l’image d’une modernisation attribuée au Japon.

En somme, la période coloniale illustre une double dynamique dans le contexte de la presse : d’une part, l’information est étroitement surveillée et contrôlée, contrainte de servir les intérêts du gouvernement général japonais, d’autre part, des journaux tels que le Chosun Ilbo et le Dong-a Ilbo constituent des espaces restreints de résistance culturelle et politique, jusqu’à leur interdiction définitive en 1940 par les autorités coloniales.
Première République et liberté d’expression proclamée
À la suite de la capitulation du Japon en août 1945, la Corée recouvre son indépendance après trente-cinq ans de colonisation. La péninsule est cependant divisée : l’armée soviétique occupe le nord, tandis que les forces américaines administrent le Sud. Dans cette zone, le Gouvernement militaire américain4 prend le contrôle et proclame la liberté d’expression. Les journaux privés reparaissent et la presse ne fait plus l’objet d’une censure systématique. Toutefois, cette liberté s’avère être sélective et partielle. Toute publication à caractère progressiste ou soupçonnée de sympathie communiste subit une répression sévère, conformément à la politique anticommuniste adoptée par les États-Unis dans le contexte de la guerre froide naissante. Malgré son officialisation, la liberté d’expression reste fortement limitée dans un contexte de tensions idéologiques et de polarisation politique.
Presse sous Rhee Syngman
La Première République de Corée5 est proclamée en 1948. Rhee Syngman (이승만), pro-américain, devient président. Son régime interdit le communisme et criminalise toute activité progressiste, assimilés à une menace contre l’État. Cette orientation entraîne la fermeture ou la répression de nombreux journaux jugés hostiles au gouvernement. Un exemple particulièrement parlant est celui du journal Kyunghyang (경향신문), un quotidien catholique qui se distingue notamment par ses prises de positions critiques. Dans un contexte où le catholicisme est perçu comme proche des mouvements progressistes, (en opposition aux protestants, généralement plus conservateurs), ce dernier subit une forte pression avant d’être contraint à la fermeture en 1959. Cet exemple met en exergue les limites structurelles de la liberté d’expression selon la Constitution de 19486 : bien que officiellement proclamée dans les textes, elle demeure, en pratique, subordonnée aux exigences politiques et sécuritaires du régime.

La chute de Rhee Syngman le 27 avril 1960, à la suite des manifestations d’étudiants massives dans le cadre de la Révolution d’avril7, ouvre un nouveau chapitre.

Un gouvernement parlementaire s’installe, dirigé par le président Yun Bo-seon (윤보선) et le Premier ministre Jang Myeon (장면). Cette période, qualifiée de Deuxième république8, se caractérise par une liberté de presse quasi totale. En effet, l’État n’exerce plus de contrôle direct, entraînant ainsi une explosion des publications. Le nombre d’hebdomadaires augmente de 96 % entre 1959 et 1960, mais cette expansion s’accompagne de dérives : plusieurs cas de corruption journalistique émergent, certains rédacteurs acceptant des pots-de-vin pour taire ou publier certaines informations. L’absence de régulation génère également une grande instabilité politique, la presse se livrant à des attaques ouvertes envers les différents partis et leurs dirigeants.
Une liberté questionnée
Dans ce contexte, si la Deuxième république a constitué une période de liberté d’expression inédite pour les médias, elle a également mis en lumière les failles d’un système médiatique dépourvu de cadre institutionnel solide. La presse, basculant entre censure autoritaire et liberté anarchique, apparaît dès lors comme un objet de tensions profondes au sein de la démocratie sud-coréenne.
Sources
- JAPANESE PRESS POLICY IN COLONIAL KOREA, KYU HO YOUM, Journal of Asian History (1992)
- The U.S. Military Government in Korea and the Origins of the Korean War. Journal of Asian Studies, Kwak. S, 1999
- Évolution de la liberté de la presse en Corée du Sud depuis la colonisation japonaise – Sa Eun suk, 2009, Researchgate
Addenda
- Mouvement du 1er mars 1919 (삼일운동) : Manifestation pacifique pour l’indépendance de la Corée vis-à-vis du Japon. ↩︎
- Gouvernement Général Japonais : Autorité coloniale japonaise en Corée de 1910 à 1945. ↩︎
- Naeseon Ilchae (내선일체) : Doctrine de l’unité Japon-Corée prônant l’assimilation culturelle forcée. ↩︎
- Gouvernement militaire américain : Administration dirigée par les États-Unis en Corée du Sud entre 1945 et 1948. ↩︎
- Première République de Corée (제1공화국) : Régime dirigé par Rhee Syngman entre 1948 et 1960. ↩︎
- Constitution de 1948 : Première constitution de la République de Corée, instaurant une démocratie présidentielle. ↩︎
- Révolution d’avril (4·19 혁명) : Soulèvement étudiant ayant entraîné la démission de Rhee Syngman en 1960. ↩︎
- Deuxième république (제2공화국) : Gouvernement parlementaire sud-coréen ayant duré d’avril 1960 à mai 1961. ↩︎


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