Sommaire
- Une étude de cas sur la Révolte coréenne Donghak de 1894 et la Révolution française de 1789.
- Qu’est-ce que l’histoire comparée?
- Catégorie : mouvements révolutionnaires
- Histoire comparée des contextes historiques
- Histoire comparée des causes des révoltes
- Le temps des révoltes
- Conséquences : simple révolte ou révolution ?
- Conséquences à long terme des mouvements révolutionnaires
- Addenda
- Sources
- Illustrations
Une étude de cas sur la Révolte coréenne Donghak de 1894 et la Révolution française de 1789.
Durant mon cursus universitaire, j’ai eu la chance de découvrir et d’apprendre à maitriser plusieurs disciplines. Si ma formation initiale concerne l’histoire, mon parcours personnel m’a mené à m’intéresser aux études anthropologiques[1], ethnologiques[2], mais aussi sociales ou économiques. Entre autres, j’ai pu cette année être initiée à la discipline de l’histoire comparée. Au sein de ce séminaire, il nous a été demandé de présenter un exposé sur une histoire comparée de notre choix. Ainsi, j’ai souhaité m’aventurer sur l’histoire comparée entre la révolte de Donghak (동학 ; 東學) et la Révolution française. Mais alors, pourquoi ce choix ? Tout simplement car je voulais démontrer que les mouvements révolutionnaires contre les dirigeants au pouvoir n’ont pas de frontières. Je souhaitais aussi démontrer que selon des contextes différents, les mouvements révolutionnaires ne parviennent pas toujours à leurs fins.
Qu’est-ce que l’histoire comparée?
L’histoire comparée est en fait une discipline au sein de laquelle on met en parallèle des faits historiques pour en faire ressortir les points communs ou les différences. L’objectif est de tirer des éléments de réflexions plus généraux sur l’histoire (sur les structures politiques, la société, les religions, les sociétés…). Elle apparait dans une certaine mesure durant l’époque des Lumières[3] au XVIIIe. Cependant, dans la démarche des Lumières, il était impensable de pouvoir comparer les sociétés dites « évoluées » et les sociétés dites « primaires ». En d’autres termes, il n’était pas pensable de mettre au même niveau d’analyse les sociétés européennes et les autres sociétés, trop différentes, sans objet de comparaison. On comparait plutôt les pays européens entre eux ou les époques historiques européennes entre elles.
Dans les années 1990, avec les nouveaux mouvements historiographiques de l’histoire globale ou de l’histoire croisée, l’approche méthodologique de l’histoire comparée évolue. C’est durant cette période que Marcel Detienne[4] publie Comparer l’incomparable. La contribution majeure de ce livre réside dans la proposition à transcender l’apparente incomparabilité entre différentes cultures grâce au système des catégories. Avec l’approche de Marcel Detienne qui compare au-delà des distinctions considérées logiques, on peut chercher des similitudes et des connexions. Ainsi, on enrichit notre compréhension de la diversité culturelle. Son approche permet à la fois de reconnaître des éléments partagés entre des cultures mais aussi de distinguer leurs spécificités.
Catégorie : mouvements révolutionnaires
La révolte Donghak a été un événement crucial dans l’histoire de la Corée à la fin du XIXe siècle. Une révolte est un soulèvement contre l’autorité, une rébellion. La Révolution française de 1789 est un événement majeur qui a profondément transformé la France et influencé les idées politiques et sociales à l’échelle mondiale. Une révolution est un changement brusque et violent dans la structure politique d’un État. Elle se produit quand un groupe se révolte contre une autorité en place et qu’elle parvient à prendre le pouvoir.
Afin de pouvoir comparer ces deux évènements, je devais trouver une catégorie dans laquelle je pouvais ensuite les mettre en regard. Ces évènements se déroulent au sein de sociétés où le pouvoir est détenu par des dynasties monarchiques. Les deux peuples ont pour point commun un mécontentement généralisé envers ce pouvoir, et notamment contre les élites corrompues, contre l’injustice sociale et contre l’absolutisme. De plus, ces peuples aspirent à de nouvelles réformes politiques et sociales. Les deux sociétés voient leur peuple se révolter contre un gouvernement, et cela mène à un changement dans le fonctionnement politique.
Alors, j’en ai conclu que ces deux évènements étaient des mouvements révolutionnaires. Avec cette catégorie, j’ai ensuite pu pousser mon analyse en me posant plusieurs questions. Tout d’abord, comment le peuple se révolte-t-il ? Qui sont les acteurs de ces révoltes ? Comment cela impacte-t-il l’Etat à court et long terme ? Ces mouvements révolutionnaires ont-ils le même impact et la même influence sur leurs sociétés ou à une échelle plus internationale ?
L’objectif sera de reconnaître les similitudes et les nuances culturelles, politiques et historiques spécifiques à chacun de ces mouvements révolutionnaires. Ainsi, nous pourrons comprendre comment un mouvement révolutionnaire partant d’une révolte se transforme en une révolution.
Histoire comparée des contextes historiques
Même si plus d’un siècle sépare les deux mouvements révolutionnaires, j’ai pu remarquer que leurs contextes historiques semblaient, sur bien des points, similaires. Alors, je pense qu’il est important de vous exposer dans un premier temps les situations de chacun des pays à la veille de leur révolte.
La Corée avant la révolte
La révolte de Donghak prend place à la fin du XIXe siècle. La Corée est alors gouvernée par la dynastie des Yi (朝鮮 ; 조선, 1392-1910) de la période de Joseon. C’est une société agraire et féodale[4]. La révolte de Donghak n’est pas un évènement nouveau puisqu’avant elle, de nombreuses révoltes avaient déjà éclaté en Corée. On peut notamment citer la guerre paysanne de Gwanseo (관서 ; 關西) de 1811 à 1812 ou encore les révoltes paysannes de Imsul en 1862 (임술 ; 壬戌).
Retrouvez toute la dynastie des Yi dans notre autre ressource pédagogique.
De plus, la Corée se trouve à l’époque dans une position toute particulière. Elle est très souvent disputée par les pays extérieurs comme le Japon ou la Chine qui veulent ses terres ou du moins, la gouverne des terres.
Il existait différentes classes sociales. D’abord, on retrouve les yangban (양반 ; 兩班). C’est l’aristocratie coréenne et la classe dirigeante. Ils exercent le pouvoir politique et possèdent tous les privilèges. Ensuite, on retrouves les jungin (중인 ; 中人). C’est la classe moyenne. Les marchands, les artisans et les paysans sont de la classe yangin (양민 ; 良民). Enfin, les cheonmin (천민 ; 賤民) sont les comédiens ambulants, les courtisanes coréennes, les bouchers, les fourreurs… On y inclue aussi ceux qui travaillent en contact avec la mort et le sang ainsi que les esclaves (노비 ; 奴婢).
La France avant la révolution
De son côté, la Révolution française de 1789 se place dans un contexte différent mais similaire sur certains points. Au XVIIIe siècle, la France est aussi une société agraire puisque plus de 80% de sa population est rurale et vit de l’agriculture. De plus, tout comme la Corée, c’est une société féodale.
Le 1er septembre 1715, le roi Louis XIV (1638-1715), aussi appelé le Roi Soleil, meurt. La régence est assurée par son neveu Philippe d’Orleans (1674-1723) en attendant que Louis XV (1710-1774) soit en âge de gouverner. C’est donc une période de rupture avec le grand siècle[5] qui était austère puisqu’il n’y avait pas beaucoup de place pour la libre expression, la libre pensée et la critique du régime. Il laisse place à un sentiment de soulagement et de détente. On délaisse même Versailles au profit du Palais Royal. Les idées des Lumières[6] sont de plus en plus librement discutées dans les salons et la nouvelle pensée prime l’individu.
Jusqu’au milieu du siècle, le pays jouit d’une certaine stabilité économique et d’une amélioration des conditions de vie. Cependant, en 1756, la France entre dans la guerre de Sept Ans[7] (1756-1763). Elle entre également dans divers conflits avec l’Angleterre.
De ce fait, lorsque Louis XVI devient Roi en 1774, il tentera d’améliorer les conditions de vie du peuple avec des réformes mais elles sont bloquées par les privilégiés. Alors, les inégalités se creusent de plus en plus entre les classes sociales que l’on appelle les trois ordres : la noblesse, le clergé et le tiers-état.
Les personnes aux origines des mouvements révolutionnaires
Le mouvement Donghak que l’on appelle également « Enseignement de l’Est » est fondé par Choe Je-u (최제우 ; 崔濟愚, 1824-1864). Durant sa vie, il vit l’injustice et la souffrance. Cela va l’inspirer à chercher des solutions aux problèmes sociaux. En 1860, on dit qu’il eut une vision. Elle marque la naissance du Donghak en tant que mouvement religieux. Il explique la doctrine dans l’ouvrage « Le livre de l’enseignement de l’Est » (동경대전 ; 東經大全). Cependant, le mouvement prend de l’ampleur et Choe Je-u est arrêté et décapité en 1864 pour déstabilisation de l’ordre public. Le Donghak est alors interdit mais continue d’être pratiqué en secret.
Le mouvement combine des éléments du bouddhisme, du taoïsme et du confucianisme. Il a une orientation particulière vers l’égalité sociale et la justice. On souligne l’unité de tous les êtres vivants, de la nature, des cieux et de l’univers. Le dogme du mouvement était « l’être humain et Dieu sont un ». Ce mouvement attire les membres de la classe paysanne qui cherchent des solutions aux problèmes systémiques qui les oppriment. Enfin, le mouvement prône l’autonomie de la péninsule dans une période où les influences étrangères grandissent (Exemple : Japon et Russie).
Choe Si-Hyeong (최시형 ; 崔時亨, 1827-1898) est le successeur de Choe Je-u. Il organisait des réunions religieuses clandestines. Grâce à lui, en 1892 de nombreux adeptes se manifesteront pour demander que l’on autorise de nouveau la pratique Donghak.
En France, plusieurs personnes joueront un rôle important. Ici, nous retiendrons principalement le nom de Maximilien Robespierre (1758-1794). Il joue un rôle majeur durant la Révolution française et sa place est centrale en tant que leader politique. Il continuera de jouer ce rôle central dans le gouvernement révolutionnaire qui sera fondé dès 1793.
Robespierre fut également un membre influent du Comité de salut public. C’est lui qui prôna l’utilisation de la violence d’État pour protéger la Révolution dans le gouvernement de 1793-1794. Son rôle a été controversé, et on l’associe souvent à la période la plus sombre de la Révolution, marquée par des exécutions de masse.
Histoire comparée des causes des révoltes
Les deux révoltes émergent du fait d’un mécontentement du peuple face au régime en place, face aux inégalités et à l’oppression de monarchies considérées comme autoritaires. Elles partagent des similitudes dans leur aspiration à des réformes sociales et politiques. Les deux mouvements étaient dirigés contre les inégalités socio-économiques. Cependant, les contextes différents furent déterminant concernant l’évolution de ces mouvements révolutionnaires.
La révolte Donghak
Les causes qui ont mené à la révolte de Donghak sont diverses. Tout d’abord, les conditions socio-économiques sont un facteur important. Les paysans coréens étaient soumis à des impôts élevés, à des corvées et à des injustices de la part des propriétaires des terres. De plus, ils subissaient des inégalités sociales qui constituaient des sources majeures de frustration.
Ensuite, l’oppression féodale était à son paroxysme. Le système féodal prévalant en Corée à l’époque imposait des restrictions strictes puisque les paysans étaient souvent liés à la terre et de fait, ils étaient soumis aux propriétaires de ces terres.
Les tentatives du gouvernement Joseon pour résoudre les problèmes socio-économiques étaient perçues comme insuffisantes et souvent au profit des élites. Un profond mécontentement du peuple envers les élites au pouvoir grandit. Elles étaient considérées comme corrompues, oppressives et éloignées des intérêts du peuple qui voyait cela comme une injustice sociale. Aussi, les nouvelles idées étrangères participaient à influencer les idées du peuple. Elles ont alimenté le mécontentement en encourageant la remise en question des structures sociales existantes.
De la Révolution de 1789
Les causes qui ont mené à la Révolution française de 1789 sont également diverses et semblables aux causes coréennes. La noblesse et le clergé bénéficiaient de privilèges et d’exemptions fiscales. Le tiers-état lui supportait une part disproportionnée de la charge fiscale. Le peuple considéra cela comme une forme d’injustice économique et sociale.
De plus, depuis le milieu du siècle et la prise de pouvoir par Louis XVI, le pays faisait face à divers problèmes économiques. La hausse des prix des denrées alimentaires et l’augmentation du chômage accentuèrent les difficultés déjà ancrées du tiers-état. Les récoltes défaillantes ont contribué aux pénuries alimentaires, intensifiant le mécontentement. Les problèmes économiques étaient tels que le gouvernement avait une dette croissante de plus de 200 millions de livres.
La France était particulièrement endettée en raison de la participation aux guerres coûteuses, des dépenses excessives de la cour et d’une fiscalité inefficace. Les tentatives de réformes financières étaient entravées par l’opposition de la noblesse et du clergé. Tout comme en Corée, le peuple considéra que les élites au pouvoir étaient corrompues et qu’elles agissaient dans leur propre intérêt. Même si à la fin de l’année 1788, Louis XVI doubla le nombre de députés du tiers-état, ils restèrent minoritaires face à la noblesse et au clergé. Cela ne permit donc pas d’inverser la tendance.
Le temps des révoltes
Dans l’histoire comparée, il faut aussi distinguer les différences. L’une des différences majeures réside dans le fait que les acteurs de la Révolution française n’étaient pas seulement le peuple. C’était aussi des membres d’ordres plus importants au sein même du gouvernement. La révolte ne fut pas seulement rurale comme en Corée ; elle fut aussi interne. Cela réside dans le fait qu’en France, les membres des trois ordres étaient représentés au sein du gouvernement. En Corée, ce n’était pas le cas. Les membres des différentes classes n’étaient pas représentés au sein du gouvernement. De plus, en Corée, les écarts entre les classes étaient plus importants. Les classes les plus riches semblaient se satisfaire de la situation du pays. En France, l’insatisfaction générale se répandait dans tous les ordres, pas seulement chez les plus pauvres.
Histoire comparée de l’émergence des mouvements
Du côté de la Corée, Choe Je-u, le fondateur du mouvement de Donghak, critiquait ouvertement le gouvernement coréen et le système féodal en place. Les adeptes de Donghak commencèrent à se rassembler en nombre croissant, formant une communauté de personnes partageant les mêmes idéaux. Le mécontentement généralisé s’est rapidement transformé en un mouvement de protestation actif avec des manifestations pacifiques. Cependant, le gouvernement y répondit par la répression. Cela intensifia encore plus les tensions.
En France, à l’aube même de la Révolution, afin de résoudre la crise financière, Louis XVI convoqua au printemps 1789 les Etats Généraux. Les députés du Tiers Etat espéraient des réformes, et faute de cela, ils refusèrent de se soumettre au pouvoir royal. Refusant de siéger par ordre, ces députés s’allièrent avec quelques autres députés du clergé et de la noblesse. Ensemble, ils constituèrent l’Assemblée nationale le 17 juin 1789.
Le roi s’opposera à cette Assemblée en faisant fermer la salle de réunion où ils se réunissaient à Versailles. Alors, le 20 juin, les députés se rendirent dans une salle proche et firent le Serment du Jeu de Paume. Ils lancèrent le processus révolutionnaire en affirmant la souveraineté nationale au détriment de la souveraineté du roi. Dans le serment, ils s’engageaient à ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une nouvelle Constitution :
« Nous jurons de ne jamais nous séparer et de nous réunir partout où les circonstances l’exigeraient, jusqu’à ce que la Constitution du royaume fût établie et affermie par des fondements solides ».
Déroulé du conflit de Donghak et intervention étrangère
Le mouvement révolutionnaire de Donghak débute réellement avec le soulèvement du 15 février 1894 à Gobu (고부, de nos jours appelé Jeongeup ; 정읍시) dans la province du Jeolla du Nord (전라북도). Les fermiers locaux se révoltèrent contre le gouverneur au sujet des taxes. Cette insurrection fut menée par un homme appelé Jeon Bong Jun (전봉준 ; 全琫準, 1854-1895). Ainsi, les Coréens en révolte prirent le contrôle de l’administration. Mais le gouvernement reprendra la province en mars et réprimera sévèrement les révolutionnaires avec des punitions sur les taxes et des exécutions.
Malgré cet échec, d’autres villages décideront de se rallier au mouvement. En mai, toute la province fut sous l’influence du leader Jeon Bong Jun et ils décidèrent alors de renverser le gouvernement. Pour cela, ils se dirigèrent vers Séoul, et en juin, le gouvernement de Joseon demanda de l’aide à son allié de longue date : la Chine. Elle envoie alors 2000 soldats. Dans le même temps, les Japonais envoient eux aussi des troupes pour aider à pacifier la rébellion mais aussi pour protéger leurs intérêts dans le pays. Le 11 juin 1894, un accord est signé entre les autorités coréennes et les paysans, rétablissant la paix pour une courte période. La Chine et le Japon ayant chacun des ambitions impérialistes en Corée profiteront de la situation pour étendre leur influence. Ils ne quittent pas la péninsule malgré la résolution du conflit.
Le 22 octobre, les paysans se soulèvent de nouveau et éclate la bataille de Ugeumchi (우금치) qui dura jusqu’au 11 novembre 1894. Mais les Japonais sont mieux armés, plus entrainés et plus nombreux que les forces paysannes et ils réprimeront la révolte. Une autre bataille éclate le 28 novembre ; c’est celle de Yaein. Mais elle sera un échec pour les paysans. Les autorités arrêtent Jeon Bong Jun en décembre 1894 et l’exécute en mars 1895. Les derniers à résister dispersent leurs troupes en décembre. Choe Si hyeong finit lui aussi par être capturé et exécuté en 1898.
Déroulé du conflit de 1789
En France, c’est le 14 juillet 1789 qui marque l’apogée des tensions. En ce jour, les Parisiens prirent d’assaut la prison de la Bastille, symbole du despotisme royal. Cet événement a galvanisé le mouvement révolutionnaire. Suite aux diverses tensions au sein de la monarchie et du peuple, l’Assemblée Nationale adopte des mesures radicales. Les plus importantes sont décidées le 4 août 1789. On retrouve l’abolition des privilèges féodaux et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ils proclament l’égalité, la liberté et la fraternité.
Par la suite, la France a connu une série de réformes politiques, y compris l’établissement d’une monarchie constitutionnelle[7] et l’élection de la première Assemblée législative[8]. Cependant, les divisions politiques persistent et Louis XVI s’oppose à beaucoup de mesures. La monarchie constitutionnelle s’avère donc être un échec.
Tout comme la Corée, en France, Louis XVI est persuadé que seule une intervention étrangère pourrait lui permettre de restaurer l’absolutisme monarchique. Alors, le 20 avril 1792, l’Assemblée législative déclare la guerre à l’Autriche sur la proposition du roi. Mais les premières batailles seront un échec pour la France. Le 25 juillet, une déclaration austro-prussienne menace même de détruire la capitale française. Ces menaces excitent les aspirations républicaines des révolutionnaires. Le roi tentera de fuir à Varennes et l’hostilité du peuple à son encontre grandit.
Le 10 août 1792, la foule des sans culottes[9], envahit le palais des Tuileries. Ils emprisonnent le roi et sa famille. Le pouvoir revient alors totalement à la Convention Nationale. L’Assemblée est élue à la suite de l’insurrection du 10 août et elle déclare la royauté abolie le 21 septembre.
Conséquences : simple révolte ou révolution ?
Nous l’avons vu, la révolte de Donghak implique la Chine et le Japon. Ils se disputèrent la Corée et la première guerre sino-japonaise éclatera en 1894, avec la Corée comme l’un des principaux théâtres d’opérations. Les forces japonaises ont émergé victorieuses, conduisant à la signature du Traité de Shimonoseki en 1895. Le régime mis en place en Corée change, mais le changement n’est pas suffisamment concret et témoin d’une vraie révolution puisque le dirigeant monarchique coréen reste au pouvoir. Le peuple coréen en révolte n’a pas réussi à détrôner le pouvoir en place.
La Révolution française cependant parvient à ses fins. Le procès de l’ancien roi ouvre le 11 décembre 1792. Il est reconnu coupable de « conspiration contre la liberté publique et la sûreté générale de l’Etat » le 15 janvier 1793 puis exécuté le 21 janvier. La radicalisation du mouvement a abouti à l’abolition de la monarchie en 1792 et à la proclamation de la Première République. L’exécution de Louis XVI en janvier 1793 symbolise le rejet concret du passé monarchique. On peut parler d’une révolution puisque le peuple a pu faire un coup d’état et changer le gouvernement sur le long terme.
La révolte paysanne permet tout de même l’instauration entre 1894 et 1896 des réformes Gabo (갑오 개혁) qui interdisent les discriminations à cause du système des castes, mais aussi l’esclavage ou encore le mariage des mineurs. De plus, les réformes réduisent l’autorité du roi au profit d’un conseil des ministres. Par la suite, en 1897, le roi Gojong (고종) de la dynastie des Yi devient un empereur de l’empire de Daehan Jeguk (大韓帝國 ; 대한제국, 1897-1910). Il est le premier empereur de Corée et met ainsi fin à un règne monarchique, la période de Joseon, qui fut long de plus de 500 ans.
La Révolution prend une tournure radicale avec la montée en puissance du Comité de salut public. Il est dirigé par Maximilien de Robespierre à partir de 1793. Il décrète un gouvernement révolutionnaire dès le 10 octobre 1793. Ce gouvernement sera appelé La Terreur. Il est marqué par une répression violente, des bouleversements politiques majeurs, mais aussi par des exécutions de masse qui visaient à éliminer les ennemis de la Révolution. Entre l’été 1793 et l’été 1794 on estime que le gouvernement aurait fait plus de 30 000 exécutions. La période de la Terreur se termine en 1794 avec l’exécution de Maximilien de Robespierre lors du coup d’État du 9 thermidor.
Conséquences à long terme des mouvements révolutionnaires
Le traité de Shimonoseki marque la fin de la suzeraineté chinoise sur la Corée. Cependant, la victoire japonaise et les réformes de Gabo permettent au Japon de s’immiscer dans les affaires coréennes. Cela conduira à l’annexion formelle de la Corée par le Japon en 1910.
En France, la Révolution a entraîné des changements majeurs dans la société, y compris l’abolition des privilèges, la sécularisation des biens de l’Église et l’émergence d’une nouvelle classe politique. Elle mène la France d’une monarchie à la première république puis au consulat. Les deux pays voient, dans des mesures différentes, leur statut de gouvernance changer.
Bien que le mouvement de Donghak n’ait pas réussi à atteindre ses objectifs immédiats, ses idéaux d’égalité et de justice sociale ont laissé une empreinte durable sur la conscience collective coréenne. La religion Donghak s’appelle aujourd’hui cheondoisme (천도교 ; 天道教). Elle a continué de s’investir dans des mouvements de révolte et notamment contre les Japonais lors de la révolte du 1er mars 1919 où trente signataires Coréens de la Déclaration d’indépendance étaient membres du Donghak.
Contrairement à la Corée, les idéaux révolutionnaires français ont eu un impact au-delà des frontières nationales. Ils inspirèrent des mouvements révolutionnaires dans d’autres parties de l’Europe. Cela a également suscité des réactions hostiles de la part des monarchies européennes qui avaient peur que la situation ne se reproduise dans leur pays.
Les conséquences à long terme des deux révoltes ont également été différentes. La révolte française aboutit à la Révolution française qui a contribué à l’établissement de la République en France, tandis que la révolte de Donghak a conduit à des réformes limitées en Corée, avec des conséquences plus complexes en raison des influences extérieures.
L’histoire comparée nous a permis de constater que les deux mouvements ont des phases tumultueuses, avec des soulèvements populaires, des réformes et des conflits internes. Ce qui marque ces deux évènements, ce sont les périodes de violence et de bouleversements sociaux. Cependant, la Révolution française a eu un impact majeur à l’échelle mondiale tandis que la révolte coréenne de Donghak a été davantage circonscrite à la région. On peut tout de même noter que dans les deux pays, les mouvements révolutionnaires ont impacté les idéaux du peuple face à l’oppression ou à la liberté individuelle, et ce, au niveau national ou international. Finalement, avec l’approche comparative de l’histoire comparée de Marcel Detienne, proposant des nouvelles formes de réflexions, nous avons pu comparer deux sociétés et deux évènements auparavant incomparables.
Addenda
[1] Au départ, l’anthropologie est une science qui étudie les caractères anatomiques et biologiques de l’espèce humaine. Elle fut beaucoup utilisée durant le temps des Lumières pour valoriser des groupes au détriment d’autres groupes. Aujourd’hui, c’est l’ensemble des sciences qui étudient l’homme en société (anthropologie culturelle qui étudie les croyances, les techniques, les institutions, les structures sociales…) (Le Robert, Dico en ligne).
[2] l’ethnologie, c’est l’étude des peuples et de leur organisation, de leurs coutumes (du grec ethnos, peuple) (Larousse). Historiquement, les études ethnologiques se concentrent sur l’étude des sociétés traditionnelles extra européennes. (N.DROUGUET, Chap. 1, 2015)
[3] Marcel Detienne est né le 11 octobre 1935 à Liège en Belgique et mort le 21 mars 2019 à Nemours. C’est un philologue, helléniste et anthropologue comparatiste du XXe siècle.
[4] Le grand siècle : « La seconde moitié du XVIIe siècle français, époque dominée par le roi Louis XIV, qui vit la France devenir la première puissance européenne et avoir un rayonnement culturel inégalé ; le siècle de Louis XIV ». (Définition par La Langue Française)
[5] Les idées des Lumières sont caractérisées par la volonté des philosophes européens du XVIIIe siècle de combattre les ténèbres de l’ignorance par la diffusion du savoir. Ce mouvement eut une intensité plus marquée en France, en Angleterre et en Allemagne. Il est né dans un contexte technique, économique et social particulier avec l’ascension de la bourgeoisie, le progrès technique, le progrès des sciences etc. Les philosophes des Lumières témoignent d’un optimisme envers l’histoire fondé sur la croyance dans le progrès de l’humanité. L’affirmation de ces valeurs les conduit à combattre l’intolérance religieuse et l’absolutisme politique. (LAROUSSE)
[6] La guerre de Sept Ans est la première guerre véritablement mondiale puisque les combats se déroulèrent sur plusieurs fronts, en Europe, en Amérique et en Inde. Le conflit oppose principalement la France alliée à l’Autriche, contre la Prusse alliée à l’Angleterre. La Prusse sort victorieuse de la guerre et la France abaissée. La fin de la guerre, en 1763, consacre l’échec français puisqu’elle est évincée du continent nord-américain. Elle perd également l’essentiel de ses possessions aux Indes. Cette guerre fut désastreuse pour Louis XV qui perd 200 000 hommes.
[7] La monarchie constitutionnelle est une brève période de la Révolution française. C’était l’étape entre la monarchie absolue et la république. Elle dure du 3 septembre 1791 au 21 septembre 1792.
[8] L’Assemblée législative fut élue pour deux ans au suffrage restreint. Elle avait pour compétence de voter les lois et l’impôt, de fixer les dépenses publiques, de ratifier les traités et enfin de déclarer la guerre. Elle siégeait de plein droit et ne pouvait être dissoute. Le roi qui était détenteur du pouvoir exécutif ne disposait que d’un droit de veto suspensif. Elle succède à l’Assemblée nationale de 1789.
[9] « Sans-culottes » est un terme qui fait référence aux révolutionnaires français. Ces personnages important de la Révolution française se distinguent par leurs tenues. En effet, ils ne portaient pas la culotte courte mais un simple pantalon. C’était souvent les membres du tiers-état qui s’habillaient ainsi, ceux également qui prirent les armes durant la Révolution française.
Sources
Bibliographie
BIANCI, Serge, « Présentation de la question », in Des Révoltes aux Révolutions : Europe, Russie, Amérique (1770-1802), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 9-18
DUDEK, Maria-Anna, « Donghak, l’enseignement de l’Est », in Planète Corée, 06 juin 2021
GALOIN, Alain, «10 août 1792 : de la monarchie constitutionnelle à la république », Découvrez toutes nos études, in L’Histoire par image, août 2014
Webographie
« Histoire de l’Assemblée nationale », Histoire, in Assemblée Nationale
« La guerre de Sept Ans (1756-1763) », in Gallica Les essentiels Littérature
« Serment du Jeu de Paume, 20 Juin 1789 », Découvrir, L’histoire, Les grandes dates, in Château de Versailles
Illustrations
ill.1 Les révoltes paysannes de Imsul en 1862 (임술 ; 壬戌), auteur inconnu.
ill.2 Deux Yangban jouent au « Go-ban », l’un d’eux est Yun-Woong-Niel, ministre Coréen de la guerre (à gauche) dans sa maison à Séoul, 1904. Public Domain, United States Library of Congress’s Prints and Photographs division.
ill.3 Deux hommes jungin (au milieu) en tenue blanche, années 1900, auteur inconnu.
ill.4 Les paysans coréens (yangin), 1899-1900, auteur inconnu.
ill.5 Les esclaves (nobi), années 1880-1890, auteur inconnu.
ill.6 Un portrait classique de Cho Je-u, date inconnue, auteur inconnu.
ill.7 Gravure de Maximilien Robespierre, elle annonce son exécution le 28 juillet 1794 (10 Thermidor an 2 du nouveau calendrier du régime), auteur inconnu, Paris, 1796. Source gallica.bnf.fr / BnF
ill.8 Serment du Jeu de Paume : le 20 juin 1789. Langlois, Vincent-Marie (1756-1796?), graveur. Source gallica.bnf.fr / BnF
ill.9 L’arrestation de Jeon Bong-Jun en 1895, auteur inconnu.
ill.10 Choe Si Hyeong possiblement lors de son arrestation en 1898, auteur inconnu.
ill.11 « The Destruction of the Bastille » 14 juillet 1789, July 14th 1789, peinte par H. Singleton, gravée par Nutter, William (1754-1802). Source gallica.bnf.fr / BnF
ill.12 Caricature du rois Louis XVI en animal, critique de la royauté suite à la fuite du roi à Varenne, 1791, auteur inconnu, Paris. Source gallica.bnf.fr / BnF
ill.13 « Siège du château des Tuileries par les braves sans culottes et les intrépides Marseillois le 10 aoust 1792 », auteur inconnu, Paris, Source gallica.bnf.fr / BnF
ill.14 « Mort de Louis XVI le 21 janvier 1793 à 10 heures 10 minutes, la tête de Louis Capet fut séparée de son corps, et ensuite montrée au peuple, à l’instant les cris de vive la République se firent entendre de toutes parts. Cette exécution se fit place de la Révolution, ci-devant place Louis XV », imprimerie des révolutions, Paris, 1793. Source gallica.bnf.fr / BnF
ill.15 Le Roi Gojong (고종)어진 portrait officiel.
ill.16 « Le gouvernement de Robespierre : la scène se passe sur la place de la Révolution », auteur inconnu, Paris, 1794. Source gallica.bnf.fr / BnF
Diplômée d'une bi-licence d'Histoire-anglais depuis 2022. Étudiante en Master d'Histoire, Civilisations et Patrimoine, parcours mondes à l'Université Paris-Cité. Fascinée par le Soft-Power sud-coréen et l'histoire de Corée. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2024.