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Revenons sur l’histoire du sanctuaire de Jongmyo (宗廟 ; 종묘). Situé à Séoul, ce sanctuaire vieux de plus de 600 ans se mêle aujourd’hui à l’architecture moderne de la capitale sud-coréenne. Riche d’une tradition ancienne, ce grand lieu revêt d’une importance primordiale dans les rites aux ancêtres de la dynastie des Yi (朝鮮 ; 조선, 1392-1910) de la période de Joseon. C’est ici que les rois organisaient les cérémonies en mémoire de leurs ancêtres. Il représente un symbole tangible de l’héritage dynastique et incarne le plus grand site cérémoniel de la Corée. En 1995, il est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Aujourd’hui, c’est un lieu historique et emblématique visité par des milliers de touristes chaque année.
Lors de la visite du sanctuaire, nous nous retrouvons soudainement bercés par un calme étonnant. Pourtant, le site se situe en plein centre de la capitale sud-coréenne. Mais, la verdure environnante et les bâtisses figées dans le temps nous permettent d’oublier, le temps d’un instant, la folie bruyante de la capitale. Alors, j’ai souhaité que nous explorions ensemble l’histoire de ce sanctuaire. Revenons sur sa construction, ses évolutions, ses symboles et ses pratiques rituelles afin de comprendre un peu plus, à travers le sanctuaire de Jongmyo, l’histoire dynastique, religieuse et culturelle de la Corée.
La construction du sanctuaire de Jongmyo
Le sanctuaire de Jongmyo est un sanctuaire royal et confucéen. En son sein, les coréens y gardent les tablettes abritant les esprits des rois, des reines et empereurs de la période de Joseon et de l’empire de Daehan Jeguk (大韓帝國 ; 대한제국, 1897-1910).
Au début de la dynastie des Yi en 1394, la capitale de la Corée est déplacée. A l’époque, cette nouvelle capitale fut nommée hanseong (漢城 ; 한성), l’ancien nom de Séoul. Dans le même temps, le roi fondateur Taejo (太祖 ; 태조), le premier de la dynastie des Yi, ordonna la construction du sanctuaire de Jongmyo. La construction de ce dernier se termina en 1395. Il fut par ailleurs construit en même temps que le palais royal Gyeongbokgung (景福宮 ; 경복궁) et se trouve à l’Est de ce dernier, à environ deux kilomètres.
Le sanctuaire sera reconstruit une fois au début du XVIIe siècle à la suite des invasions japonaises en Corée de 1592 et 1597 que l’on appelle la guerre d’Imjin en Corée (壬辰倭亂 ; 임진왜란). Ensuite, il sera restauré ou agrandi à plusieurs reprises. Mais à chaque fois, on s’attache à employer le même type de matériaux et les mêmes techniques pour conserver l’authenticité du lieu.
Les bâtisses
Le sanctuaire de Jongmyo représente un modèle d’architecture traditionnelle coréenne en bois. Il est composé de deux bâtisses dans lesquelles on conserve les tablettes ancestrales et dans lesquelles on célèbre les rites. Outre les bâtisses principales, nous retrouvons d’autres salles. Elles nous témoignent des nombreuses richesses qu’offre ce site et de l’histoire toute particulière des rites coréens.
Lorsque nous entrons sur le site par la porte extérieure, nous retrouvons dans un premier temps un étang et une bâtisse abritant les cadeaux destinés aux rituels. Ensuite, nous avançons et découvrons le lieu au sein duquel le roi et le prince se purifient avant chaque rituel. Un peu plus haut, nous retrouvons une cuisine consacrée aux sacrifices des animaux. Enfin, nous découvrons les deux bâtiments principaux du sanctuaire. En leur sein, on consacre des bâtisses aux dieux et aux tablettes des fonctionnaires méritants. Enfin, nous pouvons retrouver deux puits. Le domaine de forme ovale mesure dix-neuf hectares.
Bâtiment principal : Jeongjeon
Le bâtiment principal appelé Jeongjeon (正殿; 정전) est le sanctuaire en bois le plus long du monde. Les Coréens l’ont bâti sur un stéréobate* avec de la roche. Cette salle principale est particulière puisqu’elle fut agrandie au fur et à mesure que l’on y ajoutait des tablettes ancestrales. Lorsque l’on observe le toit, on peut remarquer les modifications apportées à la bâtisse. De part et d’autre de la structure centrale, l’usure des tuiles est différente et permet de constater l’agrandissement du bâtiment. Aujourd’hui, la façade mesure 101 mètres de long.
La structure du Jeongjeon possède trois entrées. Selon la croyance, on réserve la porte au Sud connectée aux esprits. Puis, on réserve la porte à l’Est au roi et aux officiants. Enfin, on réserve la porte Ouest aux musiciens et aux danseurs. La plate-forme en pierre au-devant du bâtiment mesure 109 mètres de large et 69 mètres de long. Au milieu, un long chemin mène au sanctuaire.
Dans le Jeongjeon il y a quarante-neuf tablettes ancestrales consacrées aux rois et reines de la dynastie des Yi. Elles sont rangées par ordre chronologique dans dix-neuf « chambres d’esprits ». A la mort du roi ou de la reine, le peuple coréen entrait dans un deuil long de vingt-sept mois. Suite à ce deuil, ils érigeaient les tablettes au nom de leurs défunts souverains. Puis, on les amenaient et on les rangeaient dans les chambres spirituelles du Jeongjeon. Chaque chambre est séparée de l’autre par une cloison.
De plus, au sein du Jeongjeon on retrouve le Chilsadang (七祀堂 ; 정전칠사당). C’est un lieu de prière et de culte. On y retrouve les tablettes spirituelles des sept dieux du ciel et de la terre de la croyance chamanique coréenne. Les Coréens vénèrent ces dieux en fonction des saisons. Par exemple, au printemps on vénère les dieux de la « récompense et de la punition » et des « entrées et sorties ». Durant l’été, on vénère les dieux des « cuisines et de la nourriture » et des « salles et résidences ». Ensuite, en automne on vénère les dieux des « portes » et des « seigneurs féodaux ». Enfin, en hiver, on vénère le dieu des « routes ». Ce rituel suivait la philosophie confucéenne ainsi que les pratiques religieuses folkloriques.
Enfin, à l’est du palais, on retrouve le Gongsindang (功臣堂, 공신당). Cette salle abrite les tablettes de 94 fonctionnaires méritants. Il s’agit de sujets qui ont assisté les rois et les reines durant leurs règnes. A l’origine, ce bâtiment contenait trois chambres, puis il fut agrandi et compte aujourd’hui seize chambres.
Bâtiment du confort éternel : Yeongnyeongjeon
Le second bâtiment le plus important du sanctuaire s’appelle le Yeongnyeongjeon (永寧殿, 종묘 영녕전). Il fut érigé en 1421 durant la troisième année du règne du roi Sejong le Grand** (세종대왕, 1397-1450). Il se situe à l’ouest du Jeongjeon. Initialement, cette salle sacrée comporte dix chambres spirituelles. On destinait ces chambres à accueillir les quatre grands ancêtres du roi Taejo, le roi fondateur de la dynastie. Quant aux six salles de gauche et de droite, on y conserve les tablettes commémoratives des rois et reines qui ont été déplacées de la salle principale. En tout, ce bâtiment abrite trente-quatre autres tablettes ancestrales.
Tout comme le Jeongjeon, ce temple n’est pratiquement pas ornementé et on utilise une gamme limitée de couleurs. La raison est qu’il s’agit d’un lieu où les âmes des ancêtres demeurent. Il doit ainsi rester solennel et sobre.
les bâtisses secondaires
Tout d’abord, le Jaegung (齋宮 ; 재궁) est le lieu où le roi et le prince héritier séjournaient afin de se préparer aux rites ancestraux. Il se compose de trois bâtiments. Le premier s’appelle l’Eojaesil (御齋室 ; 어재실), puis il y a la salle du prince héritier (世子齋室 ; 왕자의 스튜디오). Enfin, le troisième bâtiment s’appelle l’Eomogyokcheong (御沐浴廳 ; 어목욕청). Les trois bâtisses se trouvent au nord, à l’est et à l’ouest de la cour centrale. Le roi et le prince héritier entraient par la porte principale du palais. Ils passaient successivement dans ces pièces et prenaient leurs ablutions, purifiaient leurs vêtements, leur corps et enfin leur esprit.
Dans le Hyangdaecheong (香大廳 ; 향대청), on stocke les cadeaux des cérémonies, par exemple : l’encens et les messages de félicitations. C’est généralement le roi lui-même qui offrait ces cadeaux à la veille des rites ancestraux.
Le Jeonsacheong (典祀廳 ; 전사청) abrite les cuisines. En ce lieu, on préparait la nourriture destinée aux rituels. C’est également là que l’on stockait les ustensiles tels que les récipients destinés aux offrandes. Devant le bâtiment, il y a le Chanmakdan (饌幕壇 ; 찬막단) où l’on inspecte la nourriture cérémonielle avant de la déposer sur l’autel. On retrouve aussi le Seongsaengwi (省牲位 ; 성생위) sur lequel on inspecte les animaux sacrificiels (vache, mouton et cochon).
L’allée centrale
Depuis l’entrée principale du sanctuaire jusqu’au-devant de chaque bâtisse, nous pouvons remarquer la présence d’un chemin appelé le Samdo (삼도). Ce terme signifie littéralement les « trois voies ».
Ces trois voies ont une signification toute particulière. On réserve la voie centrale aux esprits des rois décédés. Le roi en fonction quant à lui utilise la voie de droite. Le prince héritier utilise la voie de gauche.
On utilise ces voies lors des cérémonies des rituels aux ancêtres. L’allée centrale est toujours strictement réservée aux défunts. Par ailleurs, dans les coutumes coréennes, on considère que marcher sur cette allée centrale est une grande forme d’irrespect et symbole d’un mauvais présage.
Les gardiens des tablettes du sanctuaire de Jongmyo
Les tablettes
Le sanctuaire de Jongmyo abrite les tablettes ancestrales des trente-cinq rois et quarante-sept reines ayant régné durant la dynastie des Yi. Elles incarnent les origines et l’authenticité de la dynastie car elles sont une preuve tangible de leur existence.
On appelle les tablettes des esprits Sinju (神主 ; 신주). Elles sont faites en bois et leur forme est rectangulaire avec un sommet arrondi. Dessus, on y écrit le nom de la défunte personne.
Sur chaque tablette, on retrouve généralement le nom d’un roi ou d’une reine ainsi que d’autres informations d’importance. Par exemple, on peut y noter les années de naissance et de mort, le statut de la personne ou la durée du règne. Dans la croyance commune, ces tablettes renferment l’esprit de celui dont le nom est écrit. La face avant est percée d’un trou par lequel on croyait que les esprits pouvaient entrer et sortir.
Retrouvez toute la dynastie des Yi dans notre autre ressource pédagogique.
Les Subok, les gardiens cachés du sanctuaire de Jongmyo
Les Subok (守僕 ; 수복) étaient les gardiens du sanctuaire qui devait constamment être surveillé et entretenu. Les Subok du sanctuaire de Jongmyo étaient des esclaves (奴婢 ; 노비) du gouvernement.
On les affecta à la garde et à l’entretien du sanctuaire, des autels et des tombeaux royaux. Pourtant, du fait de leur statut social, leur existence et leur rôle resta longtemps méconnu. Cependant, dans les 8 volumes du Jongmyo Uigwe***, on retrouve plusieurs mentions sur la fonction des Subok et des tâches que l’on pouvait attendre d’eux.
Le terme Subok apparait pour la première fois en 1438. Le mot est un dérivé de la combinaison de deux termes chinois confucéens : « 守僕 ». Le premier terme signifie « gardien du sanctuaire ancestral » et l’autre signifie « servant » ou « esclave ». Les deux termes font référence à ceux qui nettoyaient et entretenaient les tombes royales et les sanctuaires abritant les tablettes ancestrales.
Les Subok n’étaient pas seulement les gardiens du sanctuaire du Jongmyo, ils possédaient également une connaissance immense du sanctuaire. Le roi lui-même leur demandait parfois conseil concernant la tenue des rites ancestraux. A l’approche de ces rites, les Subok s’occupaient notamment de préparer et de placer les ustensiles nécessaires pour les offrandes. Par exemple, durant chaque rituel, ils devaient placer soixante-trois plats devant les tablettes de chaque roi et de leur reine. De plus, ils étaient chargés de guider tous les officiants qui participaient à la cérémonie. Malgré leur statut de classe, les Subok étaient essentiels au bon déroulement des rituels au sanctuaire de Jongmyo.
Le déroulement du Jongmyo jerye au sanctuaire de Jongmyo
C’est durant la période de Joseon que la forme des rituels s’aligna selon les principes confucianistes puisque cette dernière devint la philosophie fondamentale en Corée. De ce fait, il devint important pour les rois de Joseon de vénérer leurs ancêtres.
C’est ainsi qu’apparu le Jongmyo Jerye (宗廟祭禮 ; 종묘제례). Ce terme désigne le déroulement des rites qui honorent les ancêtres de la période de Joseon au sanctuaire de Jongmyo. Ils suivent les principes du confucianisme. En ce sens, durant les rituels, on codifie les actions et le déroulement est formaliste, lent et solennel. De plus, la présence dynastique durant chaque rituel participait à rendre ces cérémonies fastueuses et empreintes d’une grande solennité. Ces cultes aux mânes des anciens rois prenaient une part considérable des cultes religieux durant la période de Joseon.
Les rituels ancestraux se déroulaient cinq fois par an au Jeongjeon. En effet, il y avait un rituel à chaque saison, puis à la fin de l’année pour le Nabil (납일, la fête de la lune). Dans le Yeongnyeongjeon, il y avait trois rituels par an : au printemps, à l’automne puis à la fin de l’année. Ces rites étaient tenus par le roi, les officiants et la famille royale. Le rite se découpe en trois procédures. La première consiste à inviter les esprits au sein du rituel. La seconde procédure consiste à divertir les esprits. Enfin, la dernière procédure consiste à demander la bénédiction aux esprits.
Les prières
Pour ce faire, au cours de la cérémonie, on lisait un texte d’invocation et de prière. On lisait les prières lors de la dépose des offrandes aux esprits. Par exemple, le roi pouvait prier pour la paix nationale, pour la prospérité et le bonheur de la famille royale. Pendant ce temps, le reste des personnes présentes se prosternent et s’inclinent quatre fois. A la fin de la prière, on brûlait le texte pour finalement l’enterrer.
Les offrandes
A l’occasion des cérémonies aux ancêtres, les rois et les reines défunts recevaient des offrandes. Le déroulement des offrandes se caractérise de la façon suivante : devant une tablette inscrite du nom de l’esprit qu’elle représente, on dispose des offrandes d’encens. Ensuite, on dépose des offrandes d’alcool servies par le roi, le prince, puis le premier ministre de la dynastie pour accueillir les esprits des ancêtres défunts. Enfin, on dépose des mets dont la quantité et la variété dépendaient du niveau d’importance de la cérémonie. On considérait que les esprits n’absorbaient que l’essence des choses. Ainsi, à la fin, les personnes présentent partageaient les offrandes précédemment offertes aux ancêtres. Enfin, elles s’inclinaient quatre fois pour renvoyer les esprits.
Selon l’Administration du patrimoine culturel coréen, le fait d’offrir des aliments crus lors des rituels remonte à d’anciennes traditions de la préhistoire coréenne lorsque l’on consommait la nourriture crue. A l’époque, les Coréens défendent la philosophie confucéenne qui explique que les aliments crus, séchés ou rouges sont considérés « Yang ». Les aliments morts, aqueux ou de couleurs blanche représentent le « Yin ».
La musique et la danse durant les rituels : Jongmyo Jeryeak
De plus, à partir de 1464, on ajoute aux rituels de la musique instrumentale, du chant, mais aussi de la danse rituelle. On appelle cette performance musicale le Jongmyo jeryeak (종묘제례악). Le Jongmyo Jeryeak désigne la musique rituelle ancestrale royale jouée à Jongmyo. Avec le Jongmyo Jerye, ils sont inscrits au patrimoine culturel oral et immatériel de l’humanité à l’UNESCO depuis 2001.
Les chants Akjang
Les chants appelés Akjang (樂章 ; 악장) font référence aux versets récités dans les musiques de la cour. Lors des rituels du Jongmyo Jeryeak (宗廟祭禮樂 ; 종묘제례악), on les appelle Jongmyo Akjang (宗廟 樂章 ; 종묘 악장). Ils furent écrits afin de narrer l’histoire de la fondation de Joseon.
C’est en fait le roi Sejong le Grand qui se trouve à l’origine des pièces musicales qui accompagnent le rituel depuis plus de 500 ans. Avant cela, on accompagnait les rituels d’une musique de cour de style chinois. Le roi ressentit la nécessité de proposer quelque chose de nouveau et de plus formel pour louer les exploits de ses ancêtres. Alors, il composa en 1449 deux nouvelles pièces sur la base de pièces existantes. Les Coréens les utilisèrent dès 1463 et rythment les différentes étapes des rituels. Parmi les pièces musicales jouées durant les rites, nous retrouvons :
- Le Botaepyeong (保太平): on le composa à l’origine pour le banquet des officiels de la cour en 1447. Il porte le caractère du Yang. Il loue les accomplissements du roi fondateur.
- Le Jeongdae-eop (定大業): on le composa également pour le banquet des officiels de la cour en 1447. Il porte le caractère du Yin. Il loue les accomplissements militaires. Il commence par le verset suivant : « Le ciel a aidé les rois fondateurs à construire la nation et à réaliser des exploits militaires ».
La musique Akki
Les instruments musicaux de l’ensemble orchestral appelés Akki suivent le rythme lent et solennel de la cérémonie selon les principes confucianistes. Les instruments qui composent la musique Akki se divisent en trois types d’instruments officiels. Alors, on retrouve le A-akki (雅樂器). Ce sont les instruments de la cour. Ensuite, il y a le Dang-akki (唐樂器), qui remontent à la dynastie chinoise des Tang. Enfin, il y a le Hyang-akki (鄕樂器). Ces instruments étaient fabriqués hors de la Chine.
Par exemple, on joue du pyeongyeong (編磬, 편녕), un instrument traditionnel chinois, pendant le Jongmyo Jeryeak. Selon les croyances, le rythme de cet instrument suit les concepts du Yin, du Yang et des cinq éléments. Comme le pyeongyeong, le son des instruments utilisés lors du rituel au sanctuaire de Jongmyo suivent les principes confucianistes. Leur rythme et leur son s’accordent à une philosophie de vie très particulière de l’époque.
La danse Ilmu
Enfin, il y a la pratique de danse Ilmu (佾舞 ; 일무). Les mouvements doivent rester d’une simplicité élémentaire et suivre un rythme solennel. Ilmu signifie littéralement « danse en ligne » et fut importé de Chine vers le XIIe siècle. D’abord, on la dansait durant les fête de la cour durant le règne du roi Sejong. C’est le roi Sejo**** (조선 세조, 1417-1468) qui décida d’ajouter le style de danse Ilmu au Jongmyo Jerye. Ici encore, nous retrouvons des principes confucéens qui dirigent le style de la danse, la position des danseurs et leurs mouvements.
Le Ilmu est divisé en deux catégories. Tout d’abord, le Munmu (文舞 ; 문무) est une danse civile que l’on performe afin de rendre gloire aux accomplissements du roi régnant. Alors, accompagné de la musique du Botaepyeong et de 36 musiciens, les danseurs dansent. Ils tiennent dans leur main gauche un Dangjeok (당적, c’est une flute en bambou à trois trous). Dans leur main droite, ils tiennent une barre en bois ornée de plumes de faisan). Ces éléments reflètent l’harmonie confucéenne du Yin et du Yang.
Ensuite, le Mumu (武舞 ; 무무) est une danse militaire que l’on performe afin de rendre gloire aux exploits militaires des anciens rois. Pour cette danse, il n’y a pas de mouvement fixe et formel. On accompagne la danse de la musique du Jeongdae-eop. Les danseurs au nombre de 36 tiennent des sabres en bois, et parfois des lances, des arcs et des flèches.
En effet, selon les croyances coréennes, on souhaitait regrouper les œuvres de l’humanité en deux catégories : en arts littéraires et en arts martiaux. Ainsi, le Munmu représente les arts littéraux est on l’exécute au début du rituel. Il accueille les esprits avec la première offrande de vin. Le Mumu quant à lui représente les arts martiaux. On l’exécute lors des procédures de la deuxième et de la troisième offrande de vin.
De nos jours : la célébration du Jongmyo jerye
Depuis sa création, le Jongmyo Jerye fut interrompu durant l’invasion japonaise Imjin waeran après la guerre de Corée (1950-1953) pendant environ 30 ans.
Cependant, aujourd’hui, le Jongmyo Jerye est de nouveau célébré. Il est donc possible d’assister à la représentation annuelle traditionnelle au temple de Jongmyo. Cette représentation d’une durée de trois heures a lieu le premier dimanche du mois de mai. Elle permet également d’assister à la représentation du Jongmyo Jerye et du Jongmyo Jeryeak.
Le premier dimanche du mois de mai, 140 officiants de cérémonie se regroupent pour diriger le rituel ancestral. L’héritier WON Yi, le dernier de la dynastie, participe également au rituel. Les officiants continuent de porter les tenues traditionnelles que l’on retrouvait à l’époque selon les positions sociales de chacun.
Aujourd’hui encore, les Coréens adressent la prière suivante aux esprits des ancêtres :
« En cette belle occasion, veuillez déguster un certain nombre de plats cérémoniels qui ont été préparés avec le cœur tout en suivant les conseils appropriés »
Le temple, de par son existence matérielle et immatérielle par le biais du Jongmyo Jerye et du Jongmyo Jeryeak, s’inscrit aujourd’hui comme témoin de l’histoire dynastique, religieuse et culturelle de la Corée.
Addenda
* Un stéréobate est un piédestal supportant une colonnade. C’est la base de certaines bâtisses surélevées comme par exemple dans les édifices de l’époque romaine. C’est un soubassement réuni et continu formant un avant-corps suivant les ressauts d’une façade.
**Le roi Sejong le Grand est le quatrième monarque de la dynastie des Yi de la période de Joseon et l’inventeur du Hangeul.
*** Le Jongmyo Uigwe est un ensemble de livres compilés entre 1706 et 1842. Ils contiennent plusieurs informations importantes à partir de la fondation du sanctuaire de Jongmyo. Ces livres racontent l’histoire du sanctuaire, témoignent des cérémonies que l’on y tenait, et expliquent comment on entretenait le sanctuaire. On y retrouve notamment des illustrations inédites permettant de démontrer comment se déroulaient les rites ancestraux et d’autres événements du quotidien au sanctuaire. Il a été reconnu par l’UNESCO comme document du patrimoine mondial.
****Le roi Sejo est un roi coréen de la dynastie des Yi de la période de Joseon. Il est le second fils du roi Sejong le Grand. Il occupe la fonction de premier ministre à partir de 1453 et devient roi en 1455 à la suite d’un coup d’Etat.
***** Pour aller plus loin, vous pouvez consulter « Visual history of Korea » par Hyungwon Kang.
Sources
Bibliographie
- Auteur(e) inconnu(e), « Tradition of worshipping the heavens continues in 21st century Korea », Visual history of Korea, in The Korea Herald, 28 mai 2022
- Auteur(e) inconnu(e)« Un rituel enrichi au cours du temps : Le Jeryeak de Jongmyo (Musique rituelle pour les ancêtres royaux », in Centre Culturel Coréen, p.122-135
- BATILLIOT, Jacques, « Jongmyo Jeryeak, musique et danse rituelles pour les ancêtres royaux », L’actualité culturelle, in Culture Coréenne, Printemps / Eté 2015, n°90, p.20-22
- KIM, David W., BANG, Won-il, « Royal religiosity : Confucian thoughts in Joseon Jongmyo shrine », in Cogent Social Sciences, 05 septembre 2021
- KOREA TOURISM ORGANIZATION, « UNESCO, World Heritage in Korea », Korea tourism Organization, 2021, 164p.
- RII, Hae Un, « Jongmyo (royal shrine) : iconography of Korea », conférence du 14th ICOMOS General Assembly and International Symposium : Place, memory, meaning: preserving intangible values in monuments and sites, 2003, 5p.
- SHIN, Dong Hoon, OH Chang Seok, SHIN, Young Moon, CHO, Chi Wook, KI, Ho Chul, SEO, Min, « The pattern of ancient parasite egg contamination in the private residence, alley, ditch and streambed soils of Old Seoul City, the Capital of Joseon Dynasty », in International Journal of Paleopathology, 17 avril 2013, Volume 3, p.208-213
Webographie
- National Gugak Center, « Jongmyo jeryeak : The Royal Sacrificial Ritual Music of the Joseon Dynasty, Carried on Over Five Hundred Years, and Remaining as Everlasting Music at the Everlasting Space »
- UNESCO, « Jongmyo Shrine »
- UNESCO, « Le rituel royal ancestral du sanctuaire de Jongmyo et sa musique »
- KANG, Hyungwon, « The Great Jongmyo Rite 종묘대제 », 2023
Filmographie
- K-HERITAGE.TV, « Jongmyojeongjeon, a main hall of Jongmyo Shrine | KOREA », 25 septembre 2017
- NATIONAL GUGAK CENTER, « [Daily Gugak] Day 10 – « Jongmyo Jeryeak », Royal Ancestral Shrine Ritual Music and Dance of Korea », 28 avril 2020
- UNESCO, « Le rituel royal ancestral au sanctuaire de Jongmyo et sa musique », 28 septembre 2009
- UNESCO, « Uigwe (Royal Protocol of Joseon Dynasty) – 1. Bookbinding and Decoration », 13 mai 2022
- UNESCO, « Uigwe (Royal Protocol of Joseon Dynasty) – 2. People in the Uigwe », 13 mai 2022
Illustrations
- image liminaire, Centre des Palais et Tombes Royaux de l’Administration du Patrimoine Culturel
- ill.1 Carte de Séoul, 1840~1850 par le cartographe Kim Jeongho. Conservée à la Bibliothèque nationale de Corée, © Juliette Lefebvre tous droits réservés
- ill.2 carte de Jongmyo en 1706, d’après le Jongmyo uigwe. Dans « La Corée de Choson » de MACOUIN Francis. Conservé au Kyujanggak (奎章閣), l’Institut d’études coréennes de l’Université nationale de Séoul.
- ill.3 Le Jeongjeon, photo par Jean-Pierre Dalbéra, 12 novembre 2019
- ill.4 Le Yeongnyeongjeon. Photo par Centre des Palais et Tombes Royaux de l’Administration du Patrimoine Culturel
- ill.5 Jaegung. photo par Centre des Palais et Tombes Royaux de l’Administration du Patrimoine Culturel
- ill.6 Hyangdaecheong. photo par Centre des Palais et Tombes Royaux de l’Administration du Patrimoine Culturel
- ill.7 Jesancheong. On peut apercevoir le Chanmakdan et le Seongsaengwi. photo par Centre des Palais et Tombes Royaux de l’Administration du Patrimoine Culturel
- ill.8 Allée menant aux différents bâtiments du sanctuaire Jongmyo, photo par © Juliette Lefebvre tous droits réservés, 02 juin 2023
- ill.9 Tablette spirituelle de la reine Jeongsun entreposée dans le hall principal du sanctuaire de Jongmyo. Photo par 나무위키, 03 janvier 2024
- ill.10 Représentation d’un Subok en tenue traditionnelle, photo par Sungkyunkwan, 2022
- ill.11 Représentation d’un rituel au sanctuaire de Jongmyo. 05 juin 2021. photo par l’administration du patrimoine culturel
- ill.12 Offrandes d’aliments, Sanctuaire Jongmyo, Seoul. Photo par © Hyungwon Kang
- ill.13 Représentation du Jongmyo jeryeak avec les danseurs et les musiciens. Jongmyo, Séoul, 2023. Photo © Hyungwon Kang
- ill.14 Musicien jouant du Bianqing pour Jongmyo Jeryeak au sanctuaire de Jongmyo, Séoul, 02 mai 2008
- ill.15 Représentation du Ilmu Munmu, Jongmyo, Séoul, 02 mai 2008
- ill.16 Couronne portée par le descendant de la dynastie des Yi, Monsieur Yi Won lors de sa participation au rituel annuel du sanctuaire de Jongmyo. Séoul, 07 mai 2023, Photo par © Hyungwon Kang
Diplômée d'une bi-licence d'Histoire-anglais depuis 2022. Étudiante en Master d'Histoire, Civilisations et Patrimoine, parcours mondes à l'Université Paris-Cité. Fascinée par le Soft-Power sud-coréen et l'histoire de Corée. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2024.