Sommaire
Le métro est un moyen de transport connu à travers le monde. Dans chaque ville, le métro possède ses particularités et son identité propre. A Paris par exemple, on reconnait le métro par ses couloirs carrelés, ses anciens wagons verts… A Londres, on reconnait le métro par la forme sphérique de ses wagons, ses stations construites très profondément… En Corée du Nord, on reconnait le métro par la décoration, les couloirs ou les wagons plongés dans un ancien temps. Alors, j’aimerais que l’on s’intéresse un peu plus à l’histoire du métro nord-coréen. Ensemble, revenons sur sa construction, son identité et ses particularités. Entre 300 000 et 700 000 Coréens l’emprunteraient chaque jour. Enfin, il est totalement ouvert aux touristes depuis 2014.
Construction et mise en service du métro
En Corée du Nord, le métro se situe à Pyongyang (평양지하철도 ; 平壤地下鐵道), la capitale. Il se compose de deux lignes : la ligne nord-sud cheollima[1] (천리마선) et la ligne est-ouest hyeoksin[2] (혁신선). La construction de la ligne cheollima débute en 1968 à l’initiative de Kim Jong-Il (김정일 ; 金正日) qui l’inaugure en 1973. Celle de la ligne hyeoksin débute deux ans après et se termine en 1975. C’est en fait après une visite du métro de Pékin lors d’un déplacement en Chine en 1966 que Kim Jong-il décida de faire construire des métros dans la capitale nord-coréenne. L’URSS et la République populaire de Chine auraient aidé à financer la construction du projet.
En 1973, la Corée du Nord devenait ainsi le troisième pays d’Asie à posséder un chemin de fer métropolitain. Le premier pays d’Asie était le Japon, avec le métro de Tokyo dès 1927 et le métro de Nagoya dès 1957. Ensuite, c’est la Chine qui inaugura le métro de Pékin en 1965. Quant à la Corée du Sud, elle inaugure le métro de Séoul en 1974, soit après son voisin du nord (tout comme pour le projet spatial).
Initialement, la ligne cheollima devait passer sous le fleuve de Taedong (대동강 ; 大同江) qui traverse la capitale. Cependant, en 1971, un tunnel s’effondre à la station Ponghwa (봉화). Cet incident tua plus de 100 personnes. Il y eu d’autres tentatives pour construire la ligne sous la rivière mais elle furent abandonnées et on décida finalement de dévier la ligne. Aujourd’hui, les deux lignes suivent le tracé en surface des principales rues de Pyongyang.
Histoire des rames du métro
Les premières rames du métro nord-coréen furent construites en Chine par la compagnie Changchun Car Company. La Chine les exporte en Corée du Nord entre 1972 et août 1973. En 1998, la Corée du Nord renvoit certaines rames à la Chine pour laisser place à de nouvelles rames de métro. La Chine réutilisera d’ailleurs ces rames sur la ligne 13 à Pékin à son ouverture en 2002.
Entre 1996 et 1997, les autorités nord-coréennes achètent 120 rames de métro du modèle Gisela à l’Allemagne. Ces modèles avaient été construits à Hennigsdorf près de Berlin entre 1978 et 1982. Cependant, il semble que ce modèle ne fut qu’une option temporaire puisqu’il n’est plus en service depuis 2001. Les trains allemands se sont tout de même révélés être nettement plus fiables que les modèles chinois.
En 1998, la Corée du Nord décide de racheter d’autres modèles de métros à l’Allemagne. Elle achète 108 métros du modèle Dora qui sont plus larges que les précédents. Ils furent construits à Berlin-Ouest par les sociétés DWM (Deutsche Waggon- und Maschinenfabriken Berlin) et O&K (Orenstein und Koppel) entre 1957 et 1965. Comme pour les métros Gisela, les Allemands prévoyaient de les démolir. Mais, la Corée du Nord s’intéressa au modèle et pu l’acquérir pour un moindre prix.
Comme vous pouvez le voir ci-dessus, les métros allemands furent réhabilités avant leur mise en service en Corée du Nord. On remplaça la peinture extérieure jaune par une peinture rouge et verte. Les graffitis présents sur les métros furent (en partie) enlevés. On remplaça les numéros de séries allemands et on retira les écriteaux allemands au dessus de la vitre du conducteur.
En 2012, on pouvait encore retrouver les premiers modèles de métros d’origine chinoise ainsi que le modèle allemand Dora. Depuis 2016, des nouveaux trains électriques construits en Corée du Nord ont été mis en service sur la ligne cheollima. Ils n’ont cependant pas totalement remplacé les anciennes rames qui circulent toujours. Elles seraient équipées de panneaux d’affichages électroniques. Ces derniers affichent les stations d’arrêt et la vitesse du métro. L’intérieur est plus lumineux et aménagé pour les personnes âgées ou en situation de handicap. Le dirigeant Kim Jong-un ( 김정은 ; 金正恩) a lui même visité les nouvelles rames.
Identité visuelle du métro en Corée du Nord
Nous en parlions en introduction, comme tous les métros du monde, celui de Pyongyang possède une identité visuelle propre. Elle se retrouve tout d’abord à l’entrée du métro avec ce « logo ».
A Paris par exemple, le symbole du métro est un « M » à l’entrée et la sortie de nos stations. A Pyongyang, le symbole est « 지 ». Cela signifie littéralement « sol ». C’est aussi la première syllabe du mot « ji-ha-chol » ( 지하철 ; 地下鐵) qui signifie « métro » en coréen.
Ensuite, l’identité visuelle se retrouve dans les couloirs et les quais du métro. En effet, de nombreuses stations sont décorées de plus d’une centaine de fresques murales, de mosaïques, de luminaires, de moulures… Le tout est particulièrement propre et soigné. Les touristes visitent généralement les stations les plus décorées. Il y a la station Puhung (부흥), la station Kaeson (개선) et la station Yonggwang (영광).
Les œuvres d’art nord-coréennes que l’on retrouve représentent les anciens leaders nord-coréens ou mettent en valeur le socialisme coréen. Par exemple, à la station Puhung, on peut apercevoir une fresque du leader Kim Il-sung (김일성) entouré de travailleurs (infirmières, pompiers, ouvriers…). Cela permet de représenter l’idéal du leader, proche de tous, outre les statuts et les fonctions de chacun.
Chaque station présente des mosaïques, des travaux en bronze et des éclairages décoratifs souvent liés au thème de la station. C’est l’Atelier Mansudae (만수대창작사) qui réalise ces décorations. C’est une fabrique d’art fondée en 1959 à Pyongyang mais aussi l’un des plus grands centres de production artistique du monde. Cet atelier est à l’origine de la majorité de l’art public en Corée du Nord. D’ailleurs, certains l’ont peut-être déjà remarqué, mais les stations nord-coréennes ressemblent beaucoup aux stations du métro de Moscou en Russie. Ce n’est pas anodin puisque pendant de nombreuses années, la Corée du Nord était une sorte de vitrine de la réussite socialiste de l’URSS.
Particularités du métro en Corée du Nord
L’une des premières particularités du métro de Pyongyang en Corée du Nord est son système souterrain. En effet, le métro possède l’un des systèmes des plus profonds au monde et les lignes sont entièrement souterraines. De plus, le métro se situe en moyenne à 120 mètres sous terre et cela prend environ 4 minutes en escalator pour atteindre les quais (de quoi rater son train!). Si la Corée du Nord a construit le métro aussi profondément, c’est pour que les souterrains puissent servir d’abris antiatomique en cas d’attaque nucléaire. Le pays est en fait expert dans la construction de tunnels souterrains, et offre d’ailleurs son expertise à plusieurs pays ; un énième domaine dans lequel on ne l’attend pas forcément.
Ensuite, la particularité du métro en Corée du Nord réside dans l’esthétique au sein de ses rames. A l’intérieur, les wagons sont simples et on ne retrouve pas de panneaux publicitaires (comme partout en Corée du Nord où le concept d’enseigne publicitaire n’existe pas). Dans les anciens wagons, on ne retrouvait pas non plus de plan. Les seules images ou photos visibles sont celles des anciens leaders Kim Il-sung et Kim Jong-il. Leur portrait est affiché en chaque bout et fin de wagon. Les nouvelles voitures de métro disposent aujourd’hui des panneaux d’affichage afin de suivre la progression du trajet et les lieux célèbres associés à chaque arrêt.
De plus, dans de nombreux systèmes de métro à travers le monde, le nom des stations est généralement lié à l’emplacement correspondant. Cependant, à Pyongyang, le nom des stations est fondé sur des thèmes révolutionnaires nord-coréens tels que « Réunification » ou « Camarade de guerre ».
Prendre le métro en Corée du Nord
Aujourd’hui, le métro à Pyongyang compte un total de 17 stations distantes d’environ 1500 mètres. La ligne hyeoksin mesure 10 kilomètres de long et dessert 9 gares. La ligne cheollima parcours environ 12 kilomètres et dessert 8 gares. Généralement, le métro circule normalement, c’est à dire toutes les 4 à 10 minutes. Aux heures de pointe, il peut passer toutes les deux minutes.
Les billets sont en papier. Ils sont bleus et ont l’impression « 지 ». On les réserve plutôt aux touristes puisque les nord-coréens utilisent des cartes de métro. Le métro de Pyongyang est peu cher et de ce fait, supposément accessible à l’ensemble de la population. Un ticket de métro coûte 5 wons coréens soit environ 0,05 dollar américain.
En attendant le métro, si vous savez lire le coréen, vous pourrez lire le journal officiel du Parti du travail, le « Rodong Sinmun » (로동신문). Ces journaux sont exposés sur les colonnes que l’on retrouve au milieu des quais. En première page, le journal traite des activités récentes du dirigeant. Ensuite, on retrouve des articles sur le communisme, la politique intérieure, l’économie, les nouvelles nationales et internationales (surtout sur la Corée du Sud, les Etats-Unis et le Japon).
Lorsque le métro participe à la mystification du régime
Pendant de nombreuses années, seules deux stations étaient accessibles aux touristes : celle de Puhung et celle de Yonggwang. De plus, on organisait les visites touristiques en milieu de matinée, et de ce fait, de nombreux voyageurs pensaient que les personnes dans le métro n’étaient que des acteurs, qu’il n’existait en réalité que ces deux stations et que le tout était une mise en scène. D’autres rumeurs affirment qu’en réalité, le métro nord-coréen ne fonctionnerait que pendant les heures de pointe. Le reste du temps, le métro serait fermé à cause du manque d’électricité. Mais, depuis 2010, les autorités nord-coréennes ont assoupli la mesure d’interdiction d’accès aux stations de métro pour les touristes, permettant de lever le doute sur certaines de ces rumeurs.
Enfin, certains suspectaient la Corée du Nord de posséder des lignes secrètes. Cette rumeur trouve son origine chez la compagnie chinoise Changchun Car Company. A l’époque, cette dernière avait déclaré avoir exporté 345 wagons à la Corée du Nord. Cependant, il est dit que seulement 144 rames furent mises en service. La question autour des 201 wagons manquants alimenta ce mythe d’un réseau secret construit au même moment que les deux lignes publiques et utilisé par le gouvernement nord-coréen.
D’une certaine manière, le métro en Corée du Nord semble refléter l’identité du pays. Il est un symbole du régime nord-coréen et incarne un mythe rempli de secrets aux yeux de la scène internationale. Enfin, pour en apprendre encore plus sur le métro de Pyongyang, il existe en Corée du Nord un musée du métro de Pyongyang dédié à l’histoire et à la construction du système de métro de la ville.
Addenda
[1] Le nom de cette ligne provient du nom du cheval ailé mythique dans les croyances coréennes anciennes.
[2] Le nom de cette ligne peut aussi signifier « Restauration » en français.
Bibliographie
- « 평양지하철, 전광판 설치된 신형 전동차 운행 개시 », 뉴스홈, in 연합뉴스, 1 janvier 2016
- HARRIS, Mark Edward, Inside North Korea, Chronicle Book, 8 mars 2007, 191p.
- VELY, Yannick, « Prendre le métro en Corée du Nord », International, in Paris Match, 20 avril 2017
Webographie
- Les incroyables photos de TORDEUR, Mathieu disponibles sur « CORÉE DU NORD : Courir un marathon à Pyongyang », in Mathieu Tordeur, avril 2016
- « The Pyongyang Metro | North Korea Travel Guid », Transport, in Koryo Tours, 29 janvier 2019
- « The Pyongyang Metro trains, Internet archives », in WaybackMachine, 20 janvier 2012
Filmographie
- DENNISON, Tariq, « Pyongyang metro – 6 stops visited in April 2014 », YouTube, 26 avril 2014, 21min25
- « Vidéo. Pyongyang : un métro tout neuf pour les Nord-Coréens », EuroNews, 6 janvier 2016, 1min28
Illustrations
- Image liminaire : métro en Corée du Nord, 2023. Source : mediaryugyong.com
- ill.1 Plan du métro en 2010. Photo retouchée, version originale : Pyongyang Metro Map
- ill.2 Une rame de métro du modèle allemand Gisela à la station Puhung du métro de Pyongyang. Source : WaybackMachine
- ill.3 Métro allemand modèle Dora avant réhabilitation pour rouler en Corée du Nord, Source : site des fans du U-Bahn Berlin
- ill.4 Métro allemand modèle Dora en service en Corée du Nord après réhabilitation. Source : Travel-Images.com
- ill.5 Le leader Kim Jong-un à bord du nouveau modèle de rame du métro, 2015, Source : « Rodong Sinmun », le journal officiel du Parti du travail
- ill.6 Logo du métro à Pyongyang
- ill.7 Fresque de Kim Jong-il devant le Mont Paektu (백두산 ; 白頭山) où il serait né. Station de Yonggwang. Avril 2016 © Matthieu Tordeur
- ill.8 Le quai de la station Puhung. 10 septembre 2015, © Mario Micklisch
- ill.9 La station Komsomolskaya du métro de Moscou, Russie. Source : Beware! Magazine
- ill.10 Les escaliers menant au métro, 6 septembre 2013. © 2015 World-Adventurer.com
- ill.11 Intérieur des rames de métro (modèle allemand Dora) avec la photo des leaders nord-coréens : Kim Il-sung et Kim Jong-il. 1er mai 2019
- ill.12 Heure de pointe ? quai du métro Yonggwang. Avril 2016 © Matthieu Tordeur
- ill.13 Homme qui lit le journal « Rodong Sinmun ». Avril 2016 © Matthieu Tordeur
- ill.14 Couloirs du métro. Les illustrations mettent en valeur les réalisations du socialisme nord-coréen. Avril 2016 © Matthieu Tordeur
Diplômée d'une bi-licence d'Histoire-anglais depuis 2022. Étudiante en Master d'Histoire, Civilisations et Patrimoine, parcours mondes à l'Université Paris-Cité. Fascinée par le Soft-Power sud-coréen et l'histoire de Corée. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2024.