Sommaire
Il y a quarante-et-un ans, Gwangju (광주), ville située dans la province du Jeolla du Sud (전라남도 Jeollanam-do), est devenue un lieu des manifestations sanglantes. Il s’agit du soulèvement de Gwangju (광주 민주화 운동 Gwangju minjuhwa undong) de 1980 qui a laissé son empreinte douloureuse dans la société sud-coréenne, impossible à oublier.
Un prélude épouvantable
Le 12 décembre 1979, suite à l’assassinat du président de la République, Park Chung-hee (박정희 Bak Jeong-hui, 1917-1979), qui eut lieu le 26 octobre 1979, le général Chun Doo-wan (전두환 Jeon Du-hwan, né 1931) conduisit un coup d’État militaire. Cet événement mit fin à une période courte de la démocratisation en Corée du Sud. Quelques mois plus tard, le 17 mai 1980, il proclama la loi martiale dans tout le pays ce que le peuple ne pouvait plus supporter.
Bain de sang
Le 18 mai 1980, les étudiants de l’Université nationale du Chonnam (전남대학교 Jeonnam Daehakgyo) se rassemblèrent à la porte de leur Almæ Matris pour protester contre sa fermeture. Cependant, des manifestations différentes ont déjà eu lieu à Séoul et à Gwangju quelques jours avant. C’était une réponse des citoyens aux arrestations et à la fermeture des universités.
Les troupes militaires et la police mobilisèrent. D’abord, ils contrôlèrent le déplacement des manifestants, qui se dirigeaient vers le centre de la ville, pour commencer à réprimer la protestation. Un type de confrontation pénible, mais connu des histoires de nombreux pays, où les mains tremblantes et les bouteilles « essaient de battre » les carabines…
D’après le bilan officiel, 160 personnes étaient mortes et 70 ont été reconnues comme disparues. Cependant, un vrai nombre de victimes peut être deux ou même trois fois plus grand par rapport aux statistiques offcielles du gouvernement sud-coréen.
Les répercussions
La fin du soulèvement ne fut pas la fin des persécutions. Les personnes qui étaient présumées d’avoir participé aux manifestations ou de les soutenir de quelque manière que ce soit, ont été arrêtées et interrogées. Certaines personnes ont été même tuées. Cela rappelle le conflit entre les groupes socialiste et prodémocratique à la fin des années 1940, quand la nation coréenne, libérée de l’occupation japonaise, commença à opprimer ses propres enfants. Une tragédie se transforma en une autre.
Le début de la fin
Bien que le soulèvement de Gwangju ait duré uniquement neuf jours, il a eu une grande résonance dans la sociéte sud-coréenne. Le peuple a perdu une bataille mais pas la guerre. De fait, c’était le début de la fin de la dictature :
La « puissance du peuple » est tellement énorme qu’elle ne puisse pas être détruite juste par les moyens violents oppresifs. Telle puissance, venant du peuple, diffuse un esprit qui sera transmis de génération en génération. (Katsiaficas, 2000, p. 86)
En 1987, les Coréens organisèrent des nouvelles manifestations ; cette fois-ci, pour commémorer les victimes de 1980. Un an plus tard, en 1988, le gouvernement sud-coréen reconnut le massacre de Gwangju et commença une investigation. Dans les années 1990, quelques hommes politiques et militaires ont été condamnés, mais graciés juste après, parmi lesquels Chun Doo-wan. Cette clémence a été appliquée dans le cadre de la réconcilisation nationale, initiée par Kim Dae-jung (김대중 Kim Dae-jung, 1925-2009), homme politique et nota bene victime de l’ancien régime.
Commémorer les victimes
Les victimes du soulèvement de Gwangju ainsi que de ses répercussions, ont été inhumées au cimètiere national du 18 mai à Gwangju. C’est un grand complexe funéraire, construit en 1997 pour rendre hommage à tous ceux qui étaient morts dans leur lutte pour la liberté dans les années 1980. Une tour commémorative de 40 mètres de haut, qui domine cet endroit particulier, symbolise la puissance de la vie et la résurrection des idées.
Chiffrer un message
Le soulèvement de Gwangju est aussi appelé o-il-pal (오일팔 ; 五一八) en coréen ce qui signifie « cinq-un-huit ». Ce nom vient de la date de l’événement, lise en ordre mois-jour. De fait, c’est un phénomène caractéristique pour les pays de la civilisation confucéenne, parfois utilisé pour chiffrer un message et contourner la censure.
Le 28 février 1947, un soulèvement anti-gouvernemental eut lieu à Taïwan. Il est connu sous le nom du massacre 228 ou tout simplement 228 (en chinois traditionnel et simplifié : 二二八事件 èr’èrbā shìjiàn) ce qui fait référence à la date de l’événement. En Chine, à son tour, les chiffres 6 et 4 désignent les manifestations de Tian’anmen qui se déroulèrent entre le 15 avril et le 4 juin 1989 à Pékin. Vu la censure dans les médias chinois, les gens ont commencé à utiliser les chiffres 6 et 4 qui dénotent ensemble le dernier jour des manifestations, c’est-à-dire le quatre juin (六四 liùsì). Néanmoins, cette « abréviation numérique » a été aussi bloquée par les autorités chinoises. Aujourd’hui, on parle officiellement de « l’incident 64 » (六四事件 liùsì shìjiàn) qui reste toujours problématique pour le gouvernement chinois.
Le soulèvement de Gwangju dans la culture
Les événements tragiques de 1980 sont souvent évoqués par les écrivains, cinéastes, musiciens et d’autres artistes sud-coréens. Ils sont déjà devenus un motif indépendant qui entretient la mémoire du passé sombre, mais toujours important.
Dans la littérature et au cinéma
On trouve le motif du soulèvement de Gwangju dans plusieurs ouvrages littéraires. Un recueil de trois nouvelles de Choe Yun (최윤, née 1953), Là-bas, sans bruit, tombe un pétale (저기 소리 없이 한 점 꽃잎이 지고, 1988), donne un aperçu de la réalité sud-coréenne où des souvenirs traumatiques de la guerre civile (1950-1953), et ensuite du soulèvement de 1980, dominent la mémoire collective. Ce livre a inspiré le cinéaste Jang Sun-woo (장선우 Jang Seon-u) qui a réalisé un film dédié à la même problématique. C’était Un pétale (꽃잎 Kkotip, 1996) qui raconte une histoire d’une fille, témoin du massacre à Gwangju.
ill. 7. La couverture de Là-bas, sans bruit, tombe un pétale (1988) de Choe Yun, édition sud-coréenne ill. 8. L’affiche du film Un pétale (1996) de Jang Sun-woo
En 2000, Hwang Sok-yong (황석영 Hwang Seok-yeong) a publié un roman Le Vieux Jardin (오래된 정원 Oraedoen jeongwon) où l’un des personnages principaux est persécuté par les autorités publiques à cause de sa participation au soulèvement de Gwangju. Semblablement au cas du recueil Là-bas, sans bruit, tombe un pétale, ce livre a inspiré un autre cinéaste, Im Sang-soo (임상수 Im Sang-su), qui a réalisé un film sous le même titre en 2006.
ill. 9. La couverture du Vieux Jardin (2000) de Hwang Sok-yong, édition sud-coréenne ill. 10. L’affiche du film Le Vieux Jardin (2006) d’Im Sang-soo
En 2016, Han Kang (한강) a sorti un livre Celui qui revient (소년이 온다 Sonyeani onda) qui évoque aussi le sujet du soulèvement.
Dans les arts visuels
Hong Sung-dam (홍성담 Hong Seong-dam, né 1955), l’un des participants des manifestations, a créé une série d’estampes qui est une narration iconographique des événements de Gwangju. En 1996, il a effectué également une muraille à l’Université nationale du Chonnam qui commémore le fameux soulèvement.
Dans la K-pop
En 2010, Suga (슈가) du groupe BTS a composé une chanson sous un titre signifiant, 518-062, pour rendre hommage aux victimes du soulèvement. Les chiffres 5-1-8 designe la date des premières manifestations et le nombre 062 est un indicatif téléphonique interne pour la ville de Gwangju en Corée du Sud.
En 2013, le groupe SPEED (스피드 Seupideu) a sorti un clip pour la chanson That’s my fault (슬픈약속 Seulpeunyaksok). Sa version longue se déroule durant le soulèvement de Gwangju.
Un sujet toujours controversé ?
Malgré son bilan tragique et son importance historique, le soulèvement de Gwangju est toujours un sujet qui divise la société sud-coréenne :
Cet épisode très sombre de l’histoire de la péninsule divise aujourd’hui encore profondément la population sud-coréenne, certains conservateurs voyant dans ce mouvement pro-démocratie une révolte fomentée par les communistes soutenus par Pyongyang.
Le Figaro, 18.05.2020
Il est possible de constater que le discours sur le soulèvement de Gwangju implique également la problématique de la division géopolitique sur la péninsule. C’est dans cette optique que la critique des manifestations de 1980 devient un facteur déstabilisant ou désintégrant pour la société sud-coréenne.
L’évaluation des événements historiques génère toujours une dichotomie : ceux qui sont « pour et ceux qui sont « contre ». Il paraît que c’est impossible de s’échapper de la dialectique hégélienne qui détérmine les lois de l’histoire. Quoi qu’il en soit, le soulèvement de Gwangju reste un événement historique important qui ne pourra pas être facilement effacé de la mémoire collective sud-coréenne.
Sources
- (2020) Corée du Sud : hommage aux victimes du soulèvement de Gwangju, il y a 40 ans. En : Le Figaro, 18.05.2020
- Breen Michael (2010). General Chun Doo-hwan took power in a coup. In: The Korea Times, 23.05.2010.
- Katsiaficas George (2000). Remembering the Kwangju Uprising. In: Socialism and Democracy, January 2000, p. 85-107.
Illustrations 1-5
- Image liminaire
- ill. 1. Chun Doo-wan à la conférence de presse en octobre 1979
- ill. 2. Les manifestations devant l’Université nationale du Chonnam, mai 1980, Gwangju
- ill. 3. Les manifestations à Gwangju, mai 1980
- ill. 4. L’une des photos les plus connues du soulèvement de Gwangju, mai 1980
- ill. 5. Chun Doo-wan (à droite) lors de son procès en 1996
Illustrations 6-12
- ill. 6. Cimetière national du 18 mai, Gwangju
- ill. 7. La couverture de Là-bas, sans bruit, tombe un pétale (1988) de Choe Yun, édition sud-coréenne
- ill. 8. L’affiche du film Un pétale (1996) de Jang Sun-woo
- ill. 9. La couverture du Vieux Jardin (2000) de Hwang Sok-yong, édition sud-coréenne
- ill. 10. L’affiche du film Le Vieux Jardin (2006) d’Im Sang-soo
- ill. 11. La couverture du livre Celui qui revient (2016) de Han Kang, édition sud-coréenne
- ill. 12. Le soulèvement de Gwangju, Hong Sung-dam, les années 1990
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.
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