L’omniprésence du réseau télématique tel que l’internet a initié une nouvelle époque. Dans les méandres de notre vie quotidienne, récemment déstabilisée par la pandémie de Covid-19, on a l’impression qu’il n’existe pas une activité ou un service qui ne pourrait pas être réalisé ou rendu par l’internet. Il paraît que le culte et d’autres pratiques spirituelles n’y font pas exception.
Chamanisme coréen
Historiquement, le chamanisme est une religion autochtone sur la péninsule de Corée. En coréen, il porte le nom mugyo (무교; hanja : 巫敎), soit musoksinang (무속신앙; 巫俗信仰), soit musok (무속; 巫俗). Le préfixe mu (무; 巫) dénote la connaissance, la sagesse ainsi que les pouvoirs miraculeux. Ici, il est intéressant que la même connotation apparaît dans certaines langues slaves. En polonais, wiedźma, dérivé de wiedma (vědьma) en vieux russe, signifie « une sorcière » en français et witch en anglais. Wiedźma peut être traduit littéralement comme « celle qui sait / qui connaît » car il est lié au verbe wiedzieć qui signifie « savoir » ou « connaître ».
Il existe peu de sources qui permettent de reconstruire la version originelle du chamanisme coréen. Au cours des siècles, il fut influencé, parfois dominé par le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme, apportés de la Chine. L’une des théories suggère qu’il vint de la Sibérie ou de l’Asie Centrale. Le mythe de Tangun, la tradition du roi-chaman et certains ornements, trouvés dans les couronnes d’or de Gaya et de Silla (entre le Ier et VIème siècle), rapprochent la Corée de l’époque aux traditions altaïques.
Traditionnellement, on distingue quelques éléments qui caractérisent le chamanisme coréen :
- la chamane, mudang (무당; hanja : 巫堂), est l’intermédiaire entre la réalité humaine et divine. À l’origine, c’étaient les hommes et les femmes qui exercèrent la fonction de chaman(e). Au fil du temps, la pratique chamanique fut « féminisée » ce qui dure jusqu’à présent. Aujourd’hui, bien qu’on trouve des hommes qui sont formés pour devenir chamans, ils doivent s’adapter aux standards féminins : ils portent la tenue féminine et ils se maquillent ce qui introduit le cross-dressing dans la tradition.
- pour devenir chamane, d’abord il faut expérimenter le sinbyeong (신병; 神病 ; littéralement « maladie divine »), maladie initiatique, ou héritier les pouvoirs de la mère ou grand-mère. À noter que les chamanes n’utilisent pas des substances hallucinogènes et elles passent par les examens psychologiques et psychiatriques.
- la chamane accueille une déité qui devient son momjusin (몸주신; 身主神 ; littéralement « la déité qui habite le corps »).
- le gut (굿) est un rituel basique.
- la chamane peut prédire l’avenir ou donner d’autres conseils.
- selon la tradition, princesse Bari fut la première chamane dans l’histoire de la Corée.
La spiritualité en ligne
L’invention et ensuite le développement des réseaux sociaux ainsi que d’autres chaînes de communication virtuelle ont révolutionné le monde. Quand Virginia Woolf annonça sa fameuse constatation qu’« en décembre 1910, ou autour de cette date, la nature humaine a changé », il s’agissait du modernisme en tant que mouvement artistique et révolution technologique qui avait transformé l’esprit humain. On pourrait paraphraser sa pensée en disant qu’« en 2005, ou autour de cette date, la nature humaine a changé encore une fois. » Voici, la postmodernité…
Même si le chamanisme est toujours en voie de disparition en Corée du Sud, l’internet a accéléré sa renaissance. Aujourd’hui, la plupart des chamanes sud-coréennes possèdent leurs chaînes YouTube. lles président des rituels différents, entre autres les exorcismes. Cependant, il faudrait remarquer que ce sont les versions plutôt stylisées, plus performées que célébrées spontanément.
Hong Kali
Hong Kali (홍칼리 Hong Kalli) est une chamane sud-coréenne contemporaine et s’identifie comme personne queer. Elle a sa chaîne YouTube ainsi que son compte Instagram où elle partage ses idées sur la spiritualité. Elle perçoit le rituel gut plus comme un genre artistique qu’un acte religieux. De plus, elle essaie de lier des éléments culturels différents dans sa pratique chamanique, d’où le mot « Kali » dans son nom, référence à Kali (hindi : काली माता Kaali maataa) la déesse de la transformation et destruction hindoue. En 2021, elle a publié un recueil de ses essais sur le chamanisme et la spiritualité, The Spirit Is Watching Us (신령님이 보고 계셔 Sinryeongnimi bogo gyesyeo). Son cas est particulièrement intéressant dans le contexte de la culture coréenne traditionnelle.
D’où vient ce phénomène ?
Que ce soit la foi, l’influence de la tradition, la courtoisie ou encore la curiosité, la présence des chamanes coréennes dans les réseaux sociaux prouvent que les gens en ont besoin. Mircea Eliade a constaté dans son livre Le Sacré et le Profane (1965) que l’être humain ne peut pas se séparer entièrement de la spiritualité ; que l’élément spirituel fait partie intégrale de son existence. Peut-être, grâce à un moyen de communication global, les mudang ont trouvé une nouvelle audience qui pourra profiter de la connaissance de « celles qui savent (encore) » pour satisfaire ce besoin-là…
Illustrations
- Image liminaire : Hong Kali (홍칼리 Hong Kalli), chamane sud-coréenne contemporaine
- ill. 1. Une mudang contemporaine dans le trans chamanique : elle essaie d’attirer les déités ou les gwisin (귀신 ; 鬼神), fantômes différents.
- ill. 2. La couverture du livre The Spirit Is Watching Us (신령님이 보고 계셔 Sinryeongnimi bogo gyesyeo, 2021) de Hong Kali
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.
Pingback: Nongae et Hwang Jin-i - Planète Corée
Pingback: Divinités coréennes - Planète Corée