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Quelque part à Séoul, on entend le son des petites roues de skate qui résonne dans le bruit urbain. Aux skateparks, mais aussi dans des rues oubliées, les skaters sud-coréens expérimentent avec les styles, tricks et d’autres figures acrobatiques impressionnantes. En outre, leurs pratiques peu convetionnelles questionnent le modèle de société où les choix de l’individu souvent ne correspondent pas aux attentes du collectif.
Les premières planches à roulettes
L’émergence des grandes villes a donné naissance aux pratiques comme le parkour, le freerun ou encore le skateboard. Ces disciplines sportives sont donc indissociables du contexte urbain. Pourtant, l’idée de la planche à roulettes, telle qu’on la connaît aujourd’hui, a été issue des planches de surf. Aux États-Unis des années 1950, notamment en Californie et à Hawaï, le surf était déjà une discipline très populaire. On se posait la question : serait-ce possible de glisser sur une autre surface que les eaux de mer ? Par exemple, dans les rues et trottoirs ?
Peu de temps après, Larry Stevenson, inventeur américain considéré comme le pionnier du skateboard moderne, a introduit les kicktails, les parties à l’arrière de la planche qui permettent de la lever pour faire des figures, tricks etc. Ces éléments, qui déterminent le fonctionnement du skateboard, ont déclenché le développement de l’industrie du skateboard. En 1963, Stevenson a présenté ses premiers skateboards, plus connus sous le nom de Makaha, équipés déjà de kicktails.
À mentionner que Larry Stevenson a participé à la guerre de Corée (1950-1953) en tant que mécanicien d’armes dans la marine nationale américaine.
La (sous-)culture du skateboard
Après l’introduction des kicktails, le skateboard a gagné en popularité, surtout parmi les jeunes pour lesquels faire du skateboard n’était pas uniquement une forme de divertissement. Il s’agissait d’un mode de vie alternatif qui ne réduisait pas le vision du monde au succès éducatif, économique ou familial. Le skateboard a créé l’univers, plus ou moins égalitaire, où ni origine sociale ni éthnique n’avait d’importance. Cela a engendré toute la (sous-)culture du skateboard, intégrée au fil du temps dans la street culture, la culture de la rue et tous ses dérivés, un contre-poids pour ce qu’on appelle souvent la haute culture. Et c’est dans esprit-là que le skateboard américain avec ses idées a été greffé au sol sud-coréen.
Seukeiteuboding
En coréen, le terme de seukeiteuboding (스케이트보딩) n’est qu’une retranscription du mot anglais skateboarding, un emprunt lexical. À ne pas confondre avec seukeiteu (스케이트) qui dénote le patinage artistique.
L’histoire du skateboard sud-coréen remonte au début des années 1990 quand par l’intermédiaire des skaters provenant du Japon et les soldats américains stationnant toujours sur la péninsule, la discipline s’est propagée. En 1992, la première boutique de skateboard, Tussa Skateboards, a été ouverte à Séoul.
Aujourd’hui, parmi les skateboarders sud-coréens, on trouve Choi Jae-seung (최재승 Choe Jae-seung) vel Jason Choi. Malgré la croissance en popularité du skateboard au Pays du Matin Clair, les noms de ses adeptes sont toujours peu connus du grand public. À rappeler aussi Daewon David Song, américain skater d’origine sud-coréenne qui a obtenu le titre de « Skater of the Year » en 2006, décerné par Thrasher Magazine.
Le skateboard est pratiqué dans les skateparks comme le parc Ttukseom Hangang (뚝섬한강) de Séoul, mais surtout dans de divers espaces urbains. Les planches à roulettes se caractérisent par le design moderne, parfois enrichi avec les éléments de référence nationaux comme l’image du drapeau sud-coréen et le taegeuk (태극). On peut y trouver également… le Petit Prince d’Antoine Saint-Exupéry !
Hell Joseon, Hell Korea
Depuis 2015, la société de ppalli ppalli (빨리 빨리) affronte la critique surnommée Hell Joseon (헬조선 Hel joseon). Ce terme renvoie à la sujeogyegeumnon (수저계급론), la théorie de la classe de cuillère, selon laquelle la classification socio-économique des individus dépend du niveau de revenu de leurs parents et de leur statut matériel. Pour simplifier, il s’agit d’une vielle distinction entre les riches et les pauvres, entre ceux qui sont privilégiés et marginalisés, qui marque la vie dans l’ancienne Corée féodale.
Le phénomène de Hell Joseon a été évoqué dans un roman Parce que je déteste la Corée (한국이 싫어서 Hangugi sireoseo, 2015) de Chang Kang-myoung (장강명 Jang Gang-myeong). C’est l’histoire d’une jeune Coreénne qui part en Australie « parce qu’elle déteste la Corée » ; parce qu’elle ne supporte plus les normes imposées par la société « sous la tyrannie de l’excellence » ; parce qu’elle veut vivre aussi pour soi-même, pas seulement pour satisfaire les attentes des autres.
Dans une telle optique, l’univers du skateboard paraît un refuge, l’endroit où le port du masque sociale, la fameuse persona freudienne, n’est pas obligatoire ; le monde où il suffit juste d’être soi-même.
Pratique-t-on le skateboard en Corée du Nord ?
Le skateboard en tant qu’invention américaine ne trouve pas la grâce aux yeux de l’État nord-coréen. Cependant, le premier skatepark a été ouvert au public à Pyongyang en 2012 (평양 로라스케트장 Pyeongyang Rora seuketujang). Le parc fait partie du Centre de santé de Ryugyeong (류경).
Cette initiative représente la nouvelle politique de Kim Jong-un (김정은 Gim Jeong-eun), lancée après son arrivée au pouvoir le 17 décembre 2011. Il s’agit d’un certain « dégel idéologique » qu’on observe depuis dix ans en Corée du Nord. En 2012, le premier groupe de K-pop nord-coréenne, Moranbong Band (모란봉악단 Moranbong akdan), a été créé. Ensuite, en 2015, un moine bouddhiste sud-coréen a confirmé qu’une nouvelle génération de moines a été formée dans la communauté monastique nord-coréenne.
Illustrations
- Image liminaire
- ill. 1. Larry Stevenson et ses Makaha skateboards, 1963
- ill. 2. Lance Mountain, skater professionnel américain qui a débuté dans les années 1980
- ill. 3. Les skaters dans la ville de Gwangju
- ill. 4. Le skatepark de Pyongyang
Née en 1993, Polonaise. Diplômée d'une licence en cultures d'Extrême-Orient (Université Jagellon de Cracovie - Pologne, 2012-2015) et d'un master en Arts Libéraux (Université de Varsovie - Pologne, 2016-2018). Étudiante en master à la Faculté des Études Asiatiques à l'Université Jagellon de Cracovie depuis 2021. Fascinée par la civilisation confucéenne et par les interactions interculturelles. Collaboratrice avec Planète Corée depuis 2018.
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