Oubliées Du Confucianisme ? Le Destin Des Femmes Sous Joseon

Le néo-confucianisme, qui a profondément marqué la dynastie Joseon (1392-1897), a instauré un ordre social patriarcal rigide et a restreint considérablement le rôle des femmes. La société leur imposait des règles strictes en matière de mariage, de chasteté et d’héritage, les confinant principalement à la sphère domestique. Pourtant, derrière cette apparente uniformité, la réalité révélait une situation plus nuancée. Certaines femmes jouissaient d’un statut influent, tandis que d’autres contournaient les restrictions imposées par les normes sociales. Cet article explore l’impact du confucianisme sur la condition féminine sous Joseon, en mettant en lumière à la fois les contraintes et les marges de manœuvre des femmes dans cette société patriarcale.

1. Le confucianisme et l’imposition d’un modèle patriarcal

Deux érudits (Sadaebu) de l'époque de Joseon habillés en blanc assis à côté
Deux érudits (Sadaebu) de l’époque de Joseon
Femme portant le changot
Illustration de Gwon Osang (권오상) d’une femme portant le changot (장옷)

Avec l’avènement de la dynastie Joseon en 1392, les érudits sadaebu (사대부) attribuèrent la chute de la dynastie précédente, Goryeo (고려), à un relâchement des mœurs publiques. Afin d’y remédier, ils instaurèrent des normes strictes, inspirées du néo-confucianisme, visant à réguler la vie des femmes selon des idéaux de vertu et d’obéissance sous la dynastie Joseon.

Les lois de la dynastie Joseon imposaient de lourdes restrictions concernant les apparitions publiques des femmes et leurs déplacements. Le naewoebŏp (내외법), principe de séparation des sexes, renforça la distinction entre les sphères publiques, réservées aux hommes, et domestiques, associées aux femmes.

Le roi Sejong (세종), qui régna de 1418 à 1450, renforça ces restrictions : il interdit aux femmes de fréquenter les monastères, limita leurs déplacements et leur imposa des règles vestimentaires strictes. Ainsi, les femmes aristocrates (yangban 양반) devaient porter le changot (장옷), tandis que les femmes de la classe inférieure (roturières) devaient couvrir leur visage avec le ssuge chima (쓰개치마), un voile porté en public. Ces mesures visaient à garantir leur chasteté et à limiter leurs interactions avec les hommes.

Erudit et femme portant le 쓰개치마
Femme portant le sseugaechima (쓰개치마)

Sous le règne de Seongjong (성종) (1469-1494), le Kyŏngguk taejŏn (경국대전), le Code national, comprenait des lois strictes concernant la participation des femmes aux festivités ou aux rites traditionnels, en imposant des sanctions sévères.

Parallèlement, les autorités encadrèrent rigoureusement l’éducation des femmes en s’appuyant sur les principes néo-confucéens. Des ouvrages tels que le Samgang haengsildo (삼강행실도 – Commandements moraux) et le Naehun (내훈 – Education des femmes nobles) enseignaient la soumission aux hommes, ainsi que l’importance de la pudeur, de l’apparence soignée et des compétences domestiques.

Texte appelé Samganghaengsildo
Samganghaengsildo (삼강행실도) : Commandements moraux
Texte appelé Naehun ( Guide destiné aux femmes)
Naehun (내훈) : Guide destiné aux femmes (1475), rédigé par la reine Sohye

2. Mariage et rôle des femmes dans la famille sous la dynastie Joseon

Les familles organisaient les mariages sous la dynastie Joseon en fonction de considérations familiales et sociales, cherchant avant tout à assurer la continuité de la lignée paternelle et à accomplir les rites ancestraux.

L’âge du mariage et la régulation sociale

Sous le règne de Sejong (세종), le roi imposa un âge strict pour le mariage des femmes : il les obligea à se marier entre 14 et 20 ans. Les familles qui ne respectaient pas cette règle risquaient des sanctions. Cette mesure visait à renforcer le contrôle des familles sur le destin des jeunes filles.

Les épouses légitimes et les concubines

Sous la dynastie Joseon, la société classait les femmes mariées en deux catégories : les épouses légitimes (chŏ 조 妻) et les concubines (chŏp 첩 妾). Elle accordait aux épouses légitimes un statut social protégé, tandis qu’elle marginalisait souvent les concubines et leurs enfants. Dans le cadre de la monarchie, le concept de concubine royale était particulièrement important. Le roi vivait avec une concubine royale sans être marié à elle. Son statut était inférieur à celui de la reine, mais supérieur à celui des femmes ordinaires. Le palais royal reconnaissait le statut des concubines royales et les considérait comme membres de la famille royale.

Inégalité de traitement entre épouse légitime (조) et les concubines du roi (첩)
Inégalité de traitement et de statut entre épouse légitime (Chŏ 조) et concubines du roi (Chŏp 첩)

L’évolution du système matrimonial : de Goryeo à Joseon

Sous la dynastie Goryeo, le système Namgwiyeogahon (남귀여가혼), dans lequel l’époux rejoignait la maison de l’épouse, offrait aux femmes une certaine autonomie et influence au sein du foyer. Sous la dynastie Joseon, les autorités remplacèrent ce système par le Chinyeong (친영), qui obligeait les femmes à s’installer dans la famille de leur mari. Ce changement renforça la domination patriarcale et limita l’indépendance des femmes.

Le remariage et la fidélité des veuves

Sous le règne du roi Sejong, les autorités reconnaissaient encore le droit au remariage, mais elles commencèrent peu à peu à le restreindre. Plus tard, sous le règne du roi Seongjong, elles interdirent aux veuves de se remarier et exclurent leurs descendants de la fonction publique. Après les invasions de Hideyoshi (1592-1598) et les invasions mandchoues (1627-1636), la société valorisa fortement l’idéal de la « veuve fidèle », poussant certaines femmes à se suicider après la mort de leur mari.

Le divorce et l’inégalité des sexes

En matière de divorce, les femmes étaient largement désavantagées. Seul le mari ou l’État pouvait initier une séparation, souvent pour des raisons telles que l’adultère ou l’absence d’héritier masculin. En cas d’adultère, la femme risquait une dégradation sociale, des travaux forcés ou même la peine de mort. En revanche, un mari tuant son épouse pour infidélité bénéficiait d’une clémence judiciaire, illustrant ainsi l’inégalité flagrante entre les sexes dans les lois influencées par le néo-confucianisme de l’époque de Joseon.

3. Héritage et transmission du patrimoine

Au début de Joseon, l’héritage était relativement égalitaire, un vestige des traditions de Goryeo qui accordaient aux filles une part équitable des biens familiaux. Toutefois, à partir du XVIIe siècle, la montée du patriarcat et l’influence croissante du Chinyeong (친영) réduisirent drastiquement les droits des femmes en matière d’héritage.

Le système passa d’une distribution équitable à une transmission exclusivement masculine, où le fils aîné devenait l’unique héritier. Les filles furent progressivement exclues, recevant au mieux un tiers des biens parentaux. Par ailleurs, elles furent interdites de participation aux rites ancestraux, auparavant partagés entre les deux sexes.

Cette évolution reflète la consolidation du confucianisme sous la dynastie Joseon, où la transmission du patrimoine et des responsabilités familiales reposait exclusivement sur les hommes.

4. Marges de manœuvre et contournement des restrictions

Malgré les nombreuses restrictions imposées par le néo-confucianisme aux femmes de la société Joseon, certaines sont parvenues à s’affirmer et à exercer une influence notable. Dans le cadre familial, les mères jouaient un rôle crucial dans l’éducation des enfants, en leur transmettant les valeurs confucéennes. Cette position d’éducatrice leur conférait une autorité morale considérable, surtout au sein des familles aristocratiques (yangban), où elles veillaient à la transmission des traditions et à la formation des futures générations.

Femme de l'époque de Joseon
Portrait de Heo Nanseolheon (허난설헌)

Certaines femmes de l’élite, grâce à leur érudition et leur influence, se distinguèrent dans des cercles lettrés, défiant les conventions qui limitaient l’accès des femmes au savoir. Des figures comme Heo Nanseolheon (허난설헌) et Shin Saimdang (신사임당) se firent particulièrement remarquer pour leurs talents exceptionnels dans la poésie, la peinture et la calligraphie.

Heo Nanseolheon (1563-1589), poétesse de génie de la dynastie Joseon, excellait aussi dans la peinture et l’écriture. Connue sous son nom de naissance, Heo Chohee, elle composa plus de 200 poèmes au cours de sa courte vie. Son frère, Heo Gyun, un écrivain réputé, publia ses œuvres dans un recueil qui se diffusa en Chine et au Japon, lui attribuant le titre de « plus grande poétesse de Joseon ».

Portrait d'une femme de l'époque de Joseon
Portrait de Sin Saimdang (신사임당)

Shin Saimdang (1504-1551), quant à elle, se distingua non seulement par son talent artistique, mais aussi par son rôle de mère de l’illustre érudit Yi I (이이). Artiste renommée, elle excella dans la poésie, la calligraphie et la peinture, en particulier dans ses œuvres telles que Jarido (자리도), Chochungdo (초충도) et Noando (노안도). Grâce au soutien de son mari, elle put exprimer pleinement son talent artistique. Ses œuvres, marquées par un réalisme délicat et une élégance raffinée, étaient particulièrement prisées. En plus de son rôle traditionnel de femme et de mère, Shin Saimdang réussit à se tracer une voie indépendante, affirmant son statut dans une société confucéenne.

Peinture de fleurs et végétaux de l'époque de Joseon
Chochungdo (초충도) de Sin Saimdang

Les femmes de la dynastie Joseon, bien que souvent confinées à des rôles domestiques, ont également joué un rôle crucial dans les activités économiques. En effet, de nombreuses femmes, en particulier celles de la classe des marchands, géraient des commerces et participaient à des activités agricoles ou artisanales, contribuant non seulement à la stabilité économique de leur famille, mais aussi à l’autonomie sociale et à une redéfinition progressive de leur statut.

Portrait d'une femme de Joseon
Portrait de Kim Man Deok

Par exemple, ce fut le cas de Kim Man-deok (김만덕), devenue une figure de proue dans le commerce tout en restant fidèle à ses engagements sociaux : elle symbolise cette transformation du rôle des femmes dans une société confucéenne. Orpheline dès son jeune âge, elle fut élevée par une kisaeng, qui lui transmit son art. Par la suite, elle devint l’une des divertisseuses les plus célèbres de Jeju, puis se réinventa en commerçante, défiant les normes restrictives de son époque qui limitaient fortement les femmes dans le domaine des affaires. En exploitant le commerce du riz et du sel, elle introduisit des méthodes novatrices, notamment le transport de marchandises par bateau plutôt que par cheval, contribuant ainsi à son ascension en tant qu’entrepreneure influente.

La dynastie Joseon imposa un modèle patriarcal rigoureux sous l’influence du néo-confucianisme, restreignant drastiquement les droits et libertés des femmes. Cependant, ces dernières ne furent pas de simples spectatrices de leur destin. En jouant un rôle central dans l’éducation, en s’affirmant dans les arts ou en trouvant des moyens de contourner les restrictions, elles contribuèrent à façonner leur propre place dans la société. Ainsi, cette complexité montre que, bien que limitées par des normes strictes, les femmes de Joseon ne furent jamais totalement privées d’influence ni d’agentivité.

Sources

  • Kim, Youngmin, and Michael J. Pettid. Women and Confucianism in Chosŏn Korea: New Perspectives. Albany: State University of New York Press, 2011.
  • Yoo, Jaebin. « Feminine Space in Court Paintings of Late Joseon Dynasty. » International Journal of Korean History 6, no. 1 (2004): 113–160.
  • Han, Hee-sook. « Women’s Life during the Chosŏn Dynasty. » International Journal of Korean History 6 (2004): 113–160.
  • Jungmann, Burglind. « Changing Notions of ‘Feminine Spaces’ in Chosŏn-Dynasty Korea: The Forged Image of Sin Saimdang (1504–1551). » Archives of Asian Art 68, no. 1 (2018): 47–66.


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